Une histoire littéraire traitée comme un roman policier : Montaigne
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Philippe Desan, *Montaigne La Boétie. Une ténébreuse affaire*, Paris,
Odile Jacob, 382 p., 2024, 22.9 €
Ce n'est ni de la littérature ni de la philosoph...
lundi 29 avril 2019
Apologie du bon débarras. Sérié télé américaine
Tidying up with Marie Kondo (Ranger avec Marie Kondo), série, première saison, 8 épisodes d'une demi-heure à trois quarts d'heure chacun. Janvier 2019.
Voici une étonnante émission de la télévision américaine, diffusée par Netflix. Le principe en est le suivant : un foyer a accumulé tellement d'objets devenus inutiles, l'habitation est tellement encombrée qu'il lui devient inconfortable d'y vivre, pénible même. L'espace domestique est rongé par d'incessantes accumulations : la société de consommation est une société de gaspillage et de dons où acheter (shopping) est un passe-temps, une activité en soi dont il est bon de se plaindre (cf. la corvée des cadeaux de fin d'année, le rituel des achats pour la rentrée scolaire). En revanche, il y a des moments de la vie qui appellent le débarras : le départ des enfants ("empty nest", épisode 2) ou le veuvage (épisode 4), l'arrivée d'un enfant (épisode 7) ou un mariage ("When two (messes) become one" - dernier épisode).
Tout le monde a beaucoup de mal à jeter, à se débarrasser de tant d'objets habituels et pourtant inutiles, dénués de valeur : jouets, vêtements, collections, chaussures, gadgets divers, cartes postales, courrier. D'autant qu'à chacun de ces objets relégués reste associé à un souvenir.
Alors il faut faire appel à une spécialiste du rangement : c'est Marie Kondo. Elle est japonaise ; dans l'émission, elle parle un peu anglais, surtout japonais et fait appel au truchement de son interprète. Paradoxalement, cette distance linguistique facilite la communication et les exigences du rangement s'en trouvent moins brutales, amorties par le délai de traduction et la bonne humeur tenace de Marie Kondo. Les mots sont moins offensants, plus cordiaux, acceptables.
Mari Kondo a publié plusieurs livres vantant sa méthode (de-cluttering) ; la série s'en inspire largement. Le livre sur l'art japonais du rangement se veut un "manifeste mystique" (sic !) ; il y a aussi une version manga ; le rangement selon Mari Kondo, inspiré du shintoïsme, prend volontiers une dimension métaphysique. Marketing oblige.
Fée des logis, Mari Kondo, docteur ès-rangement, établit bientôt un diagnostic au cours de la visite de l'habitation tandis que les téléspectateurs font connaissance de ses habitants, qui confessent leur impuissance. Cela tient de la thérapie et du coaching. Voyeurisme. La caméra s'introduit dans l'intimité de la vie d'un couple : vivre ensemble, n'est-ce pas d'abord s'accorder avec son partenaire, sur le rangement des choses de la vie ?
La réalisation fait d'abord prendre conscience des monceaux d'objets sans intérêt, des placards qui débordent et prennent la place de l'essentiel. Spectaculaire ! Au vu du diagnostic, les habitants s'engagent à se débarrasser de tout cet encombrement et le déblaiement planifié peut commencer, pièce par pièce. Le tri ne conserve que ce qui amène la joie ("what sparks joy") et qu'il faut mettre en valeur.
Marie et l'équipe de tournage reviennent chaque semaine visiter l'habitation, pour juger de l'avancement des travaux des Hercules domestiques. Marie Kondo leur montre des trucs : comment plier les vêtements (impressionnant !), placer des objets dans des boîtes de différentes tailles... Mettant en scène une situation courante dans laquelle tout téléspectateur peut se reconnaître, la série exerce une fonction cathartique. Les téléspectateurs, qui sont eux aussi plus ou moins débordés par des années de vie quotidienne, par la crue des possessions, et la cruauté des dépossessions, déclarent s'être mis à ranger, à mettre de l'ordre chez eux et, par voie de conséquence, à effectuer des donations charitables, des ventes de voisinage (garage sales)... Tous admettent retirer un bénéfice psychologique de la clarté et de l'organisation nouvellement conquises, du bonheur de prendre le temps de retrouver de l'espace. Esthétique cartésienne du sobre, du clair et distinct. C'est un créneau que la presse de la maison et de la décoration occupe depuis longtemps.
La méthode Marie Kondo peut s'appliquer plus généralement à toute gestion : celle du budget domestique et des achats, à la gestion du temps... Discours de la méthode domestique, règles pour la direction de l'esprit. Toujours hiérarchiser pour ne garder que l'essentiel, se débarrasser du reste. Voilà qui vaut sans doute pour le fatras de connaissances que l'on accumule sur les réseaux sociaux, pour les entreprises aussi. Gérer, c'est ranger, et arranger.
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