mercredi 15 mai 2019

La presse cuisine, on en n'a pas soupé !


La Grenouille à Grande Bouche. La société à travers ce que l'on mange, 116 p, 13€

Derrière (sous) ce titre étrange, se trouve un fort beau magazine qui intéressera ceux qui s'intéressent à l'histoire sociale et/ou ceux qui aiment cuisiner. Les auteurs sont d'origines, d'âges et de compétences diverses (crowd sourcing oblige) ; la publicité est absente : le lecteur est le payeur, pas la marchandise. Une seule page, quand même pour des cafés et chocolats acheminés et fabriqués à Morlaix (Grain de Sail) selon des normes respectueuses de l'environnement. La soupe, c'est d'abord loin de la frime et de la gastronomie pédante, la maison maternelle, le chez soi, la famille.

Chaque numéro est thématique. Le premier numéro est consacré à la soupe ; le suivant sera consacré au lait. La ligne éditoriale est déclarée par le sous-titre : sciences sociales et alimentation, on est ce que l'on mange, dit-on aussi. L'alimentation est traitée par les auteurs comme un analyseur des sociétés. Alors, que dit, que révèle la soupe à propos des sociétés, de leur organisation, de leurs contradictions, de leurs illusions aussi.

Cela commence par une histoire des soupes industrielles conçues pour nourrir à bon marché la population ouvrière et maintenir la force de travail en état de produire : Liebig et Royco, Knorr, le bouillon KUB. Bel éclairage, une lumineuse leçon d'économie sur le capital humain. Avec des avis sans concessions de l'UFC-Que Choisir et de Foodwatch.
La dominante régionale du titre est bretonne mais on trouve aussi des éléments concernant le Nord ("la Louche d'or") et la Champagne troyenne  ("Kantinetik"). Un article évoque la tradition de la soupe au lait pour célébrer les mariages en Bretagne. Non loin du folklore, on trouve quelques pages de Germinal (Emile Zola) pour se rappeler la qualité des portraits du romancier et la vie ouvrière dans le Nord en pays minier où la soupe occupait une place essentielle dans l'alimentation.
Beaucoup d'idées de lecture (la soupe aux livres) y compris de livres dits "d'enfants". Une playliste pour des soupes à écouter !

Beaucoup de recettes, d'origines diverses, sont expliquées, commentées. Un gros plan sur les soupes de poisson avec l'interview d'un poissonnier de Rennes (qu'en dirait un poissonnier de Toulon ?), un article sur la soupe miso (Japon) et des recettes de soupes "anti gueule de bois".
Bien sûr, chaque lectrice regrettera l'absence de certaines soupes qui lui sont proches : celle de la garbure (du Béarn), celle de la chorba des dîners de Ramadan (ah! la chorba blanche algéroise !), celle des gaudes avec son lait froid (Bresse), "the chicken soup" (pas celles de Campbell qu'a peintes Andy Wharol (1968) et auxquelles allude la une du magazine mais celle, traditionnelle, que recommandait Maïmonide, dite parfois "Jewish penicillin", soupe qui requinque. Manque aussi "l'alphabet soup" qui permet aux enfants d'écrire leur nom sur le bord de l'assiette mais qui désigne aussi la surabondance d'acronymes rencontrés dans les médias, le web et la publicité. Et la soupe à la queue de boeuf (Ochsenschanzsuppe ou Oxtail soup)... La grenouille a de quoi publier un second numéro consacré aux soupe.

Il y a des tests produits, appétissants (il y a des enfants testeurs, bien vu). Il y a un point lexical sur la soupe, clair et  bien utile (vous saurez enfin la différence entre soupe et potage, consommé et bouillon, etc.) ; il y a des rubriques santé et des tests de trois lieux d'achat ("le panier de la grenouille"), des faits divers, les épices, les herbes : en fait, il y a de tout chez cette grenouille, sauf l'explication du titre (je ne l'ai pas trouvée : a-t-il été tiré au hasard dans la dictionnaire, comme Bourbaki ?). Une géographie de la France des soupes serait bienvenue.

La revue se veut "participative", elle est parrainée par un animateur de France Inter ("on va déguster"). Lisez l'édito (ci-contre) : tout y est (bien) dit. Richement illustré, la diversité de ce magazine en fait un véritable "lieu de savoir" culinaire.
Notons la créativité continue des magazines de presse cuisine française : cf. le trimestriel 180°C . Des recettes et des hommes.

N.B. Pour la presse cuisine dans ce blog, cliquer ici.

lundi 6 mai 2019

The Big Bang Theory : c'est la dernière séance


La série TBBT qui finit par s'achever fait la une d'un numéro de l'hebdomadaire Entertainment Weekly , "The Ultimate Guide to the Big Bang Theory", $13,99, publié par  Meredith Corp. en mai 2019.

Le tournage du dernier épisode (qui dure une heure) de la plus longue des séries multi-caméra de la télévision américaine vient de s'achever en présence du public. 279 épisodes pour CBS, le network national, produits par WarnerMedia. Immédiatement après le dernier épisode (le 16 mai 2019), CBS diffusera une sorte de rétrospective de 30 minutes, "Unraveling the Mystery: A Big Bang Farewell", animée par deux des acteurs, Johnny Galecki et Kaley Cuoco.

Succès d'audience en prime time depuis 12 ans, donc succès publicitaire pour ce média traditionnel (legacy), nombreuses nominations pour des Emmy Awards et les Golden Globe. Entre la première diffusion et la rediffusion en syndication (reruns sur TBS depuis 2011, en exclusivité, et sur de nombreuses stations, dont les stations O&O de Fox), le succès aurait rapporté gros, y compris aux acteurs de la série, dont les revenus seraient comparables à ceux des acteurs de "Friends" (NBC).

Conclusions ? 
  • Alors que commencent les ventes publicitaires (upfront market), le modèle télévisuel le plus traditionnel, network national de stations locales puis syndication, semble encore fonctionner et les annonceurs américains s'y engagent toujours. Bien sûr, les audiences ne sont plus ce qu'elles furent, bien sûr l'audience se répartit autrement dans la durée, bien sûr la consommation en streaming (OTT) ne compense pas l'érosion de la diffusion linéaire et des MVPD (cord cutting et cord shifting). Mais, pour une marque, rien ne vaut une série comme TBBT, pour sa puissance sur une une cible large de consommateurs. 
  • La diffusion en syndication off-network (second marché télévisuel, broadcast et chaînes câble satellite) continue de bien se tenir, de même que les ventes à l'étranger qui, depuis des années, en font une série télévisuelle presque mondiale.
  • TBBT a été produite et lancée avant la réussite du streaming, avant l'ère de Netflix et Amazon Prime Vidéo et de la vente directe aux consommateurs : qu'en sera-t-il dans le nouveau marché de la vidéo, marché dit parfois "flixocalyptic" ?


Références
"The Big Bang Theory : des hommes savants, des geeks ridicules", Media Mediorum, octobre 2016.