Une histoire littéraire traitée comme un roman policier : Montaigne
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Philippe Desan, *Montaigne La Boétie. Une ténébreuse affaire*, Paris,
Odile Jacob, 382 p., 2024, 22.9 €
Ce n'est ni de la littérature ni de la philosoph...
mardi 5 mai 2020
Inégalités ? Les familles responsables, et complices, de reproductions inégalitaires qui durent
Céline Bessière, Sibylle Gollac, Le genre du capital. Comment la famille reproduit les inégalités, Paris, La Découverte, 326 p.
Le monde social est loin d'être parfait et il vaut mieux s'y trouver riche que pauvre, et notamment plutôt homme que femme. Car comment dans les familles s'accumule et se transmet le capital économique ? Comment se reproduit la division de la société en classes par l'appropriation, majoritairement masculine, du capital économique ?
Le livre mêle habilement, pour le plaisir des lecteurs, des faits divers touchant des personnes célèbres (les Bezos de Amazon, l'héritage de Johnny Halliday, etc.) à des événements plus courants concernant le commun des mortels.
Les auteurs conduisent l'ouvrage en associant sans cesse des histoires opposant, dans des divorces difficiles, des femmes à leur mari, qui s'en sort toujours mieux.
L'une, Céline Bessière est Professeur à Dauphine, l'autre, Sibylle Gollac, normalienne, est chargée de cours au CNRS. Elles ont enquêté sur les pratiques de transmission du capital qui aboutissent presque toujours à une dépossession des femmes lorsqu'il y a séparation conjugale et héritages. Le livre exploite un échantillon de dossiers en matière familiales (10% des décisions rendues). Il repose également sur un grand nombre d'entretiens et d'observations conduites par les auteurs.
Quels sont les facteurs qui interviennent dans la transmission du capital économique, malgré les lois qui organisent a priori l'égalité des hommes et des femmes ? Comment la société de classes se reproduit-elle ? Les "biens structurants" vont plutôt aux héritiers mâles ; c'est là le fait d'une comptabilité sexiste défendue par les avocats et notaires, hommes et femmes qui, eux-mêmes souvent héritiers, défendent les mâles. En cas de divorce, une femme perd 20% de ses revenus, en moyenne. Les auteurs déconstruisent en fait l'unité économique où peut s'observer le mieux l'inégalité économique, le ménage : "qui possède quoi dans le ménage et pourquoi ?" Le ménage est l'unité d'observation économique majeure et il est encore mal traité par les sciences économiques et la gestion. Et c'est dommage.
Comment en sortir ? La rémunération du travail non rémunéré doit être prise en compte : "ce que le travail gratuit des femmes rapporte aux hommes qui ne sacrifient rien de leur carrière professionnelle". Ou ne faut-il pas que ce travail soit mesuré et comptabilisé, et donc payé ? Le travail des femmes est très souvent mal mesuré, mésestimé. Le droit entre hommes et femmes est certes égalitaire, formellement, pour l'essentiel, en France (droit de la famille et droit de la propriété, optimisation fiscale) mais la pratique, notariale notamment, continue de favoriser les hommes. Il y va sans doute aussi du rôle du capital culturel qui s'entremet dans la division du travail. La répartition du capital culturel se fait pourtant de plus en en plus en faveur des femmes, de mieux en mieux dotées mais cela ne suffit pas encore à compenser les avantages informels dont bénéficient les hommes.
La conclusion est nette : "le constat statistique est sans appel : dans le capitalisme contemporain, les inégalités de richesse s'accentuent. Des groupes sociaux s'approprient le capital économique et parviennent à le transmettre à leurs enfants, tandis que d'autres en sont durablement privés".
La nécessité de mieux connaître le fonctionnement réel de ménages est une des clefs du problème : il faut disposer de statistiques moins parcellaires. Ce n'est pas seulement un travail d'économistes mais aussi d'ethnologues auquel se sont livrées les auteurs. Faut-il pour autant réclamer une "sociologie féministe de la famille ?" Une sociologie scientifique n'y pourvoirait-elle pas ? "Scientifique" me paraît constituer une garantie suffisante (mais ma fille aînée en est moins sûre !). Alors, disons, nécessaire, capable d'armer le discours des militant-es. Revendiquer l'association du capital économique et du capital culturel est central dans la conclusion des deux auteurs et cela doit être mieux marqué et peut-être démontré par la suite : il faut poursuivre le travail de Pierre Bourdieu dans ce sens, et revenir à l'économie donc. Les inégalités sont genrées, certes : "les femmes travaillent mais n'accumulent pas". Aussi ce livre se veut-il une contribution à la "littérature, relativement nouvelle en France, sur le genre du droit".
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