Yann Sordet, Histoire du livre et de l'édition. Production & circulation, formes & mutations, Editions Albin Michel, 798 p. Bibliogr., Index. Postface de Robert Darnton
Voici un très gros ouvrage qui dresse le bilan de quelques siècles d'écriture et d'édition. L'auteur qui dirige actuellement la bibliothèque mazarine aurait peut-être dû rédiger deux ou trois tomes, ce qui aurait facilité l'accès à son travail. Pour une nouvelle édition peut-être ? Parce que, bien sûr, à lire cet ouvrage de près, on ne manque pas de regretter l'absence de tel ou tel développement, sur la Chine par exemple, ou sur l'hébreu, entre autres.
D'abord, le papyrus (papier) et le volumen bien sûr, qui mènent au parchemin, au papier et aux livres imprimés. En Europe et en Chine surtout, mais la Chine de Mateo Ricci est traitée bien rapidement, trop rapidement. Tout comme l'Islam et l'hébreu. Les pugillares (tablettes enduites de cire) pour les usages scolaires et comptables aussi, de même que les feuillets de bois (aulne, bouleau ou tilleul) sont évoqués de même que les rouleaux qui persistent sous la forme de rotulus (le rôle des administrations).
C'est surtout avec le papier que commence le livre ; on passe rapidement sur la Chine pour atteindre la renaissance carolingienne et le rôle fondamental de l'Eglise avec Augustin et Grégoire le Grand. C'est l'époque des
scriptoria dans les abbayes et surtout l'époque de Charlemagne. De là, on passe aux
librarii. Rachi est évoqué, trop rapidement, à propos du livre hébreu. Evoquées en passant, aussi, l'édition musicale et l'écriture neumatique (du grec
pneuma,
πνεῦμα, souffle) qui anticipent l'écriture avec les lignes de portée ouvrant la voie à la musique polyphonique. Avant Gutenberg, l'impression xylographique se développe en Chine puis en Europe mais c'est l'imprimerie qui assurera signera sa fin.
La technique typographique est analysée en détails : cela commence avec la B42 (Bible à 42 lignes) en 1455 qui succède au Donat (une petite grammaire latine). Mais surtout l'imprimé se traduit par un changement d'échelle : en un demi-siècle, on a produit deux fois plus de livres que pendant les dix siècles du Moyen-âge. De 1450 à 1600, Paris domine la production éditoriale (47 620 éditions contre 31 235 pour Venise et 23 186 pour Lyon).
Après la période de création de l'imprimerie, l'ouvrage de Yann Sordet fait succéder "l'invention" des médias avec la presse vendue d'abord par abonnement et colportage. La Gazette de Théophraste Renaudot est le premier titre français, hebdomadaire, né en 1631 et déjà lié au pouvoir (Richelieu puis Mazarin, et puis, bien sûr, Louis XIV). Avec le XIXème siècle, commence "la mutation du monde typographique" et "l'innovation cumulative" propre à la révolution industrielle que connaît l'Europe (disponibilité de capitaux, les nouvelles sources d'énergie, la rapidité des moyens de transport) qui enclenche toute une "dynamique des inventions" (p. 508) : la photocomposition au XXème siècle, le "règne de l'image" puis de la photographie qui va permettre le photoreportage. L'auteur traite de la presse de masse, du feuilleton, l'imprimerie comme "moteur de l'instruction publique" avec "Le Tour de la France par deux enfants" (Augustine Fouillée), avec la guerre des manuels qui opposera la Ligue de l'Enseignement, "rationaliste et laÏque", à l'Association des pères de famille "créée par les évêques les plus anti-républicains de France".
La septième partie traite de la progressive dématérialisation et de l'arrivée des géants que sont surtout les GAFAM, avec Amazon (avec ses kindle). La fin s'exténue en évoquant des regroupements avec le jeu vidéo, la chute des dictionnaires, etc.
L'ouvrage se lit agréablement, même s'il est bien lourd à porter , et incomplet !
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