Myriam Boucharenc, L'écrivain et la publicité. Histoire d'une tentation, Paris, Champ Vallon, 2022, 338 p., Index, Bibliogr.
La publicité est à la fois célébrée mais aussi dénoncée par les artistes. Célébrée pour son originalité par les poètes - Guillaume Apollinaire, l'un des premiers, souligna son apport au paysage urbain, à la ville - et appréciée pour les revenus qu'elle apporte à ceux qui en ont besoin ou en veulent toujours davantage. Mais il est généralement aussi de bon ton de s'en offenser, voire de s'en détourner, en apparence du moins.
Ce livre dresse le bilan des relations entre les écrivains et le monde de la publicité. A lire la liste impressionnante de ceux et celles qui y ont gagné de l'argent, qui ont été payés par la publicité, on a du mal à imaginer qui n'a rien touché !
Avec Jean-Paul Sartre (les montres Universal) et Francis Ponge (le vin Margnat, le soutien-gorge Maryse, le Poulet du Roy), il y a tout le monde dont Céline, le Docteur Ferdinand Destouches, qui fut collaborateur médical des laboratoires Cantin ; il avait des revenus réguliers de la pharmacie. Colette touchait beaucoup (dont ceux de Ford qui fait la couverture du livre), Paul Morand (les trains de luxe de la Revue des Wagons-lit) et Mac Orlan (qui oeuvrait pour Peugeot, ou pour La Grande Maison de Blanc), Armand Salacrou, alors journaliste à L'Humanité qui travailla pour le vermifuge Lune et la pommade Marie Rose contre les poux en tirait des revenus raisonnables et réguliers. Jean Cocteau fut "conseiller artistique" de Coco Chanel et vanta les bas de femme (Kayser) mais aussi un anxiolythique, et un téléviseur (Ribet-Desjardins) : en fait, ses contributions qui s'étalent sur 40 ans sont très nombreuses. Le surréaliste Robert Desnos qui en fit tellement (pour la Loterie Nationale, pour l'amer Picon, l'anis Berger, etc.), Jean Anouilh, François Mauriac, Claude Roy, Jacques Audiberti, Frédéric Mistral, Jean Giono (Klébert-Colombes), Blaise Cendrars, Louise de Vilmorin (le parfum Lanvin, le cognac Rémy Martin), Léon-Paul Fargue, Paul Guth, Marcel Pagnol (pour les cigarettes Lucky Strike), Françoise Sagan (Simca, l'huile de moteur BP Energol), François Coppée (pour les petit-beurre LU), Roland Dorgelès (Hotchkiss), Philippe Soupault et la Compagnie Transatlantique, etc. La liste est longue que dresse l'auteur : il s'agit plus que d'une "tentation", c'est un modèle économique ! Tous "ou presque - ont oeuvré partiellement à la publicité". Mais on ne le sait guère, on l'a oublié : c'est "l'histoire occultée d'une liaison sulfureuse", comme le souligne l'auteur. L'histoire de la littérature est décidément bien mal traitée y compris, notamment, par les manuels scolaires et universitaires. Ou plutôt tellement bien traitée !
"Souscrivez à Dada, le seul emprunt qui ne rapporte rien", proclamaient, réalistes, les Dadaïstes, qui, en matière de publicité ne s'y trompaient guère. Myriam Boucharenc prend aussi l'exemple des académiciens (pp. 121-127) : ils ont tous "touché", Paul Valéry pour les Aciers de France, ou pour un laboratoire pharmaceutique (L'idée fixe ou deux hommes à la mer), Paul Claudel ("La Mystique des pierres précieuses", publié pour Cartier) et tant d'autres... Le livre s'achève sur des moments contemporains qui ne retiendront pas l'attention. Pour terminer, citons, avec l'auteur, Louis Aragon : "Toute femme élégante est cliente du Printemps", à la bonne heure ! Mais défense de crier en vers "Du travail et du pain".
Voici un très bon livre où l'on apprend beaucoup sur l'histoire de la littérature, sur l'histoire mal connue encore aujourd'hui de ses fréquentations publicitaires. Il y a bien quelques pages consacrées rapidement à l'économie de cette publicité littéraire mais il faudrait maintenant un travail plus complet, plus rigoureux pour que l'on s'y retrouve et que l'on puisse y voir clair, vraiment clair, dans l'économie de la littérature. C'est le talent de l'auteur que de faire mieux percevoir cette absence., mais il reste du travail !
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