samedi 10 septembre 2022

Un siècle de vies en Allemagne : une micro-histoire majeure

 Sonja-Maria Bauer, Ganz normale Leute. Eine Familie und ihr Traum vom sozialen Aufstieg (1850-1950),  Verlag Regiolakultur, Heidelberg, Stuttgart, Basel, Ubstadt-Weiher, 230 Seiten, Quellen (227-229), 19.90 € ("Des gens tout à fait normaux. Une famille et son rêve d'ascension sociale")

C'est l'histoire d'une famille normale, de gens tout à fait normaux, emportés lentement dans l'ascension sociale, l'industrialisation, les guerres, le nazisme, la paix retrouvée. Une famille allemande, européenne, examinée dans les détails de ses mouvements : démographie, mobilité et immobilité sociales, économie du travail.

L'auteur(e) a accompli un formidable travail de recueil et d'analyse de quantité de documents concernant sa propre  famille. L'analyse est plutôt simple, en apparence du moins, ce qui rend ce travail de lecture agréable. Beau travail d'auteur donc. Pas de charabia inutile : l'auteur donne à voir le monde sans les lunettes sociologiques ou historiques habituelles, pour que l'on puisse voir le monde tel qu'il est, tel qu'il est perçu par la population à laquelle il appartient. Le confort et la rigueur de la lecture sont accrus par la documentation photographique de grande qualité et aussi par les résumés généalogiques placés à la fin du livre, en annexes ("Anhang" : "Übersicht über die Generationen", p. 217-222).

On peut tirer de multiples conclusions de ce travail minutieux. Mais surtout, d'abord, on y perçoit parfaitement la situation des femmes, fatiguées par les naissances multiples et le travail domestique. La mortalité infantile est très élevée et celle des mères aussi qui souvent meurent bien jeunes. Dommage que l'on n'ait pas ou très peu d'informations sur les situations médicales de ces familles et sur leur encadrement médical et religieux vécu. Leur destin semble difficile et l'auteur souligne qu'il est souvent mal perçu par les historiens de la société de l'époque ("die Rolle, die das Schicksal der Frauen und Kinder für die Familien der Zuwanderer spielte"). Affirmation essentielle de l'historienne.

L'auteur a travaillé sur sa famille, certes ; ceci pourrait constituer une objection méthodologique mais le sérieux, le volume et la finesse des observations historiques compensent largement les déficits - nécessaires - de la micro-sociologie, ou micro-histoire ("Mikrohistorie") mises en oeuvre. Très vite apparaît d'ailleurs la constitution d'idéal-types dans l'immigration dans les villes, ce phénomène majeur.

Voici donc un très beau livre d'histoire (et d'histoires !) dont la lecture approfondira les connaissances que nous avons de l'Allemagne de ce siècle (1850-1950). 

Bien sûr, on voudrait parfois en savoir plus : sur l'exécution de la population juive, à parti de 1933, par exemple. Quelles furent alors les réactions de la population ? Que pouvait-elle faire ? Qu'aurait-elle voulu faire ? Mais le saura-t-on jamais ? Et comment le savoir ? Histoire sociale impossible qui rend le secret bien gardé ! Et de connaître l'effet des bombardements de la ville de Stuttgart ne compense pas ! Mais tout cela fut la vie des Allemand-e-s de cette époque, de tous ces gens tellement normaux.

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