lundi 26 août 2024

Le style de vie "bourgeois" de l'exilé Bertold Brecht

 Ursula Muscheler, Ein Haus, ein Stuhl, ein Auto. Bertolt Brechts Lebensstil, Berenberg Verlag, Berlin, 158 Seiten, 2024, 26 €

Voici un livre original et bien conduit, bien fait, très agréable à lire. Et qui fait penser. Bien sûr, on apprend beaucoup sur Brecht et son environnement, sur son style de vie ... "bourgeois", assurément. L'auteur est architecte et elle a publié diverses études sur le Bauhaus, sur la Tour Eiffel, sur Le Corbusier, et sur l'histoire de l'architecture. Son approche de l'histoire de Brecht est inattendue, et bienvenue.

Bert Brecht avait "prolétarisé" son nom qui était Eugen Berthold Friedrich Brecht. Il aimait les habitations confortables, un mobilier adéquat, des voitures de qualité, plutôt sportives ; il aimait les cigares et les bonnes bières. Il selectionnait son mobilier : dans le livre, il y a de beaux passages sur ses fauteuils ! 

Brecht était inscrit sur les listes noires (Schwarze Liste) établies par les autorités nazies aussi devait-il fuir sans cesse, et devancer l'arrivée des troupes allemandes, tout comme Thomas Mann, Heinrich Mann, Walter Benjamin et bien d'autres intellectuels allemands. Où qu'il fût, exilé très souvent, en Suède, en Californie (Santa Monica), au Danemark, en Suisse (à Zurich où il avait ouvert un compte en banque), à Moscou, en Finlande (Helsinki), Brecht chercha à acquérir de l'immobilier. Il finira sa vie, après guerre, en Allemagne, dans la zone d'occupation soviétique, à Berlin-Est (Sowjetische Besatzungszone, appelée aussi Deutsche Demokratische Republik). 

Brecht donc aimait beaucoup les voitures de sport et il voulait son confort pour travailler. Cela paraît banal mais ne l'était pas à son époque, surtout pour un écrivain célébrant la classe ouvrière. Mort en 1956  d'une crise cardiaque, quelque temps auparavant, il avait acheté une maison au Danemark pour une de ses collaboratrices. Son style de vie que l'on appelle "bourgeois" était sa manière de vivre compte tenu du monde dans lequel il lui fallait vivre : une optimisation, en quelque sorte.

L'ouvrage d'Ursula Muscheler donne à voir, souvent dans les détails, des aspects du style de vie brechtien (et l'on n'aborde pas la relation de l'écrivain aux femmes !). La vie de Brecht apparaît aujourd'hui plutôt agréable, sans doute parce que l'auteur ne met pas l'accent sur les soucis et les difficultés de Brecht qui dut gagner la vie de sa maisonnée. Mais surtout, Brecht durant toutes ces années d'exil puis de retour en Allemagne a écrit de nombreuses pièces de théâtre et des poèmes. Son oeuvre restera et certaines de ses propriétés en deviendront des lieux de célébration.

dimanche 11 août 2024

N'apprenez pas l'anglais, puisque vous le savez déjà !

Bernard Cerquiglini, "La langue anglaise n'existe pas". C'est du français mal prononcé, Paris, Gallimard, 2024, 196 p., Index des mots commentés, bibliographie. 

Bernard Cerquiglini est un bon linguiste. Normalien, Professeur des Universités, membre de l'OULIPO, auteur de nombreux livres, il a fait carrière dans l'étude et l'histoire du français mais, surtout, et le titre du livre le rappelle, il a gardé un peu d'humour : affirmer que la langue anglaise n'existe pas ne manque pas de culot ! Mais la démonstration rappellera aux Français les grandes étapes linguistiques de la conquête du monde par la langue anglaise, "vainqueur de la mondialisation". Victoire que l'anglais devrait au français - mais pas seulement - qui lui a fourni "tout ce qui a fait d'elle une langue internationale recherchée, employée, estimée comme telle". Conclusion : "l'essor mondial de l'anglais est un hommage à la francophonie", tel est le parti pris, a priori paradoxal, de ce livre.

La démonstration commence par un peu d'histoire, entre 1066 (bataille d'Hastings) à 1400, le français est d'abord la langue de l'Angleterre, puis il devient une langue seconde pour les Anglais raffinés. Ensuite, l'anglais l'emporte totalement mais en empruntant beaucoup de français : donc, "qui s'exprime en anglais parle largement français". Un résultat arithmétuque le souligne : 29% des mots anglais viennent du français, 29% viennent du latin, 26% du germanique. Après des chapitres historiques, vient un chapitre intitulé : "comment on a fabriqué la langue anglaise", dont la première phrase dit l'essentiel "la langue anglaise est un français régional". Mais le livre n'aborde pas les questions grammaticales ; d'où viennent les structures syntaxiques de l'anglais ? Qu'ont-elles de commun avec celles du latin et celles du français ? Et puis, quelles sont les conditions économiques et militaires de la domination de l'anglais ? Pour le reste, la démonstration est éloquente et le livre est bien conduit. Alors, améliorez votre anglais amis anglophones : mêlez-y donc un peu de français et de latin !