dimanche 1 décembre 2024

Entrer dans la carrière universitaire. Pour n'en plus sortir ? Pierre Bourdieu

Victor Collard, Genèse d'un sociologue,  Paris, CNRS éditions, 2024, Index, Bibliogr., 447 p. 

De son enfance lycéenne aux débuts de sa carrière universitaire comme philosophe puis sociologue, vous saurez tout de Pierre Bourdieu, en passant par son service militaire en Algérie. Tout ou presque. Enfin, le livre est illustré de divers documents et photographies : documents scolaires, du baccalauréat à la liste des thèses que Pierre Bourdieu a dirigées, essentiellement des 3e cycle (dont la première est celle de Fanny Colonna sur les instituteurs algériens), de son service militaire au Gouvernement général à Alger : il est pistonné et il n'aura donc pas à "crapahuter dans le bled".

On le suit du lycée de Pau jusqu'à la classe préparatoire littéraire à Paris au lycée Louis le Grand puis enfin élève à l'Ecole Normale Supérieure. Le livre est copieux et c'est bien, il fourmille de détails sur les condisciples de Bourdieu, sur ses examens. L'épisode algérien est décrit par le menu qui se termine par la prise d'un poste d'enseignant à la faculté d'Alger. Ensuite, de retour en France, se situe l'épisode Raymond Aron, qui le recrute mais qui décrira (dans ses Mémoires, p. 350) un Pierre Bourdieu devenu "un chef de secte, sûr de soi et dominateur, expert aux intrigues universitaires, impitoyable à ceux qui pourraient lui faire ombrage". Bon, un patron, quoi ! Mais qui ne le devient pas ?

Pierre Bourdieu commence une thèse sous la direction de Georges Canguilhem, résistant et médecin, épistémologue "dur", thèse qu'il abandonnera bientôt. Mais Bourdieu gardera toujours un intérêt pour les productions philosophiques (cf. par exemple, son travail sur Martin Heidegger) et il dialoguera régulièrement avec son professeur de l'Ecole normale, Louis Althusser, marxiste, et qui n'était pas encore un assassin. Pierre Bourdieu, universitaire donc, d'abord, sans doute.

Pierre Bourdieu épouse Marie-Claire Brizard en 1962. Ils auront trois fils qui seront tous les trois normaliens. Mais l'auteur du livre ne mentionne pas Marie-Claire Bourdieu (née Brizard), absente même de l'index, mais qui pourtant signa des articles avec son mari ; ils se séparent en 1983. Ainsi, par exemple, "Le paysan et la photographie" (Revue française de sociologie, VI, 1965, pp. 164-174) article signé par Pierre et Marie-Claire Bourdieu ou encore "Goûts de femmes" (Acte de la recherche en Sciences Sociales, octobre 1976). Curieuse biographie, quelque peu bancale donc, prudence de l'auteur qui craint peut-être un procès, ignorance classique des biographies universitaires ? Allez savoir. La genèse promise par le titre reste finalement limitée à une vie scolaire puis universitaire : presque rien sur l'accent, sur les petites amies, sur les copains de rugby, sur les bistrots, sur la "vraie vie" donc. On le dit pourtant quelque peu insolent, mécontent souvent. On aurait bien aimé connaître mieux ce Bourdieu là. Mais cela restera encore la face non éclairée de sa biographie. 

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