dimanche 6 août 2017

Etats de la presse écrite. Réponses à quelques objections

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Rappelons d'abord que la numérisation de la presse aura été entièrement payée par les revenus tirés du papier. En effet, la presse a laissé s'installer, à son corps défendant, un curieux modèle économique : donner sur le web ce qu'elle vend en magasin. Bonne propagande pour le développement du Web, triste marketing pour le réseau des points de vente presse forcés de financer leur concurrent, réseau déjà bien mal en point. Déficit d'invention, d'innovation, de clairvoyance, de témérité, d'investissement ?
Aujourd'hui, de grands prédicants évoquent la fin du papier comme un destin qui les accable. On croirait du Racine !
"Puisqu'après tant d'efforts ma résistance est vaine // Je me livre en aveugle au destin qui m'entraîne" (Andromaque, I, 1).
Distinguons pourtant le destin, auquel on ne peut que se laisser aller "en aveugle", tacitement, et la volonté stratégique, dont il faut prendre en compte lucidement les raisons sociales, culturelles et politiques, dont les aides à la presse sont un pilier et une manifestation comptable. A l'économie de la presse correspond en France une volonté de l'Etat, qui traduit et exécute la volonté générale : fonction de service public pour satisfaire un intérêt général (lois de Rolland : continuité, mutabilité, égalité).

Avec Weborama et IPSOS, nous avons publié un Livre blanc sur la presse. Suite à diverses réactions, objections, nous souhaitons, en retour respecteux, réaffirmer, modaliser quelques points.



  • Ce livre blanc part du constat primordial, vérifié et validé chaque jour, depuis des années (source : Base MM de plus de 39 200 titres et hors série, juin 2018) : constat de vitalité et de créativité continues (ainsi en 2017, on compte plus de 2100 nouveaux titres et hors-série). Effet de la loi Bichet, entre autres, et des diverses aides à la presse.



  • Le papier, c'est la vie, et c'est la ville. Son réseau de distribution, ses vitrines, étalages et linéaires confèrent aux contenus de la presse une remarquable et incomparable visibilité et notoriété, un rythme temporel aussi (attentes, etc.). 



  • La presse, rédactionnel et publicité confondus, constitue le vaste mode d'emploi de tous les domaines de la vie courante, privée. Une encyclopédie permanente. Pas de titre sans présentation d'un produit ou d'un service, sans analyses comparatives, sans guide de consommation. Pas d'innovations sans nouveaux titres et hors série. Rôle économique. 



  • La multiplicité, la variété des opinions exprimées sont garantes de la démocratie politique et sociale ; la presse participe du ciment social et de la formation de l'opinion publique. Faite par des journalistes, dirigée par des comités de rédaction, la presse se tient par construction à l'abri des fake news.



  • La presse s'avère une école permanente, parallèle, a-t-on dit parfois, mais pas concurrente. Elle ne remplace pas l'école, mais elle s'appuie sur la culture que transmet à tous l'école publique, laïque, obligatoire et gratuite (externalité positive). Elle la renforce. Elle illustre cette culture en commençant par l'expression écrite de la langue française. En contrepartie de cette fonction culturelle et sociale, la presse est un produit aidé par l'impôt.



  • Lutter contre le "duopole" publicitaire américain ? D'abord, il s'agit de bien davantage que d'un duopole, il faut y inclure amazon et Microsoft, entre autres (cf. "Anatomy of a hegemony"). Et ne perdons pas de vue que la puissance innovante de cet oligopole provient d'investissements scientifiques et technologiques considérables. La question n'est donc pas seulement celle de la concurrence publicitaire, c'est surtout celle, plus profonde, plus grave, de concurrence technologique touchant au mode de production et de collecte des données. En donnant accès à son lectorat pour profiter du réseau de distribution numérique, la presse, par le même mouvement, brade son contenu et laisse piller ses données. On a confondu une question de distribution et d'accès (par des réseaux sociaux, des moteurs de recherche), et une question de prix du produit (bradé). La distribution a un coût, le produit en a un autre. Le prix de vente public doit intégrer ces deux coûts. Lorsqu'un groupe de l'industrie alimentaire négocie avec des hypermarchés pour qu'ils référencent et distribuent ses produits, il ne les donne pas (pas de vente à perte). Or la valeur de la presse est celle de ses données. Comment résister à la puissance armée des technologies de pointe des GAFAM ? La puissance ne suffit pas si elle n'est pas servie par la technologie. Des coalitions suffiront-t-elles aux régies publicitaires ? On parle en Europe de Verimi, de Emetriq, de Gravity, de Log-in Alliance, de SkyLine... Evoquons encore Criteo Commerce Marketing Ecosystem : Criteo, qui dispose d'un fort capital scientifique et technique, proposera aux détaillants, aux marques, aux publishers, une "coopérative" comme base de résistance à Amazon, base où rassembler leurs données (anonymisées ou non). A suivre...



  • Valeurs et data. La notion de "monnaie unique" appliquée à des mesure d'audiences des médias est l'un des récents lieux communs du milieu - topoï - pour mettre en avant sa puissance pluri-média. Le seul commun dénominateur possible entre les médias est constitué par les data, atomes de sens, agrégeables, concaténables. Les données collectées peuvent donner lieu à un traitement transversal à fins d'analyse comparée, de ciblage, de répartition. Seules les données peuvent constituer une sorte d'équivalent général, vers lequel toute connaissance converge. Pas les audiences, si mal connues, si floues.



  • La presse, média hybride. Pourquoi est-ce si important ? Parce que la couverture spaciale et sociale du numérique est loin d'être universelle. La France est tachée de zones blanches (ou grises) où le numérique est défaillant et l'accès à une version numérique de la presse est par conséquent aléatoire. Problème classique de modernisation (mutabilité) et d'aménagement du territoire que connaissent d'autres services publics (poste, santé, enseignement, transports, etc.). A cela s'ajoutent les écarts d'équipement donc d'ergonomie, de compétence (le numérique, on l'oublie facilement, est un média d'héritiers, comme toute culture)... Cf. infra, document ARCEP ou l'étude de l'association Que Choisir? "7,5 millions de consommateurs privés d’une connexion de qualité à Internet !" (septembre 2017). Parce que la presse est un média hybride, elle seule est accessible, presque tout le temps, par presque toute la population de la France. L'hybridation papier / numérique (mutabilité) est une valeur de la presse.

  • ARCEP, L'état d'Internet en France, mai 2017, p. 6

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