dimanche 31 juillet 2011

Google et toute la mémoire du monde

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Beau titre dans le quotidien espagnol El Pais : "Google ya es parte de tu memoria" (Google est déjà une partie de ta mémoire). Le quotidien part de la recension d'une recherche parue dans Science Magazine sur l'évolution de la mémoire (Betsy Sparrow, Jenn Liu, Danial M. Wegner, "Google Effects on Memory: Cognitive Consequence of Having Information at our Fingertips", July 14, 2011) pour approcher de manière plus générale l'effet des moteurs de recherche sur la mémoire des utilisateurs.
Que les appareils que nous utilisons quotidiennement tranforment la manière dont nous retenons les informations et dont nous accédons à leur mémorisation est probable. Retenir, en Grèce ancienne puis dans l'empire romain, reposait sur une mnémotechnique (repérage, classement des objets à mémoriser, association de ces objets à des lieux, etc.). Dans cette opération de mémorisation, l'organisation, la langue, le classement alphabétique, la versification jouent leur rôle ; la rhétorique, "ouvrière de persuasion", cultive la mémoire (cf. Ciceron, Quintilien, etc.). Quant aux appareils externes pour enrichir la mémorisation, ils existent depuis longtemps, indispensables pour la comptabilité commerciale des entreprises et des banques, des Etats (fiscalité), pour la religion (prière, étude, calendriers etc.), indispensables aussi pour leur portabilité : tablettes, rouleaux, puis livres de toutes sortes. La recherche peut être alphabétique, on met bientôt en place des index puis des systèmes de renvois anticipant les liens hypertexte (cf. L'Encyclopédie de Diderot et D'Alembert).

Google, les logiciels de contacts, de fiches organisant le savoir pour apprendre et retrouver, de listes (de courses, de choses à faire, etc.), ne font qu'enrichir cet outillage. Avec le numérique, les tablettes ont accru leur capacité mémoire et amélioré leurs ergonomies. De la tablette qu'utilise Don Quichote ("un librillo de memoria") à l'iPhone et ses applis, les mécanismes de la mémorisation et des accès à la mémoire exploitent les évolutions technologiques. En revanche, les principes de ces outils sont constants : améliorer la rentabilité du travail intellectuel (productivity) et des opérations de gestion. Les travaux, les réflexions sur ce sujet et leur application aux médias sont anciens. De Marshall McLuhan à Jack Goody, par exemple.

Les résultats des expériences évoquées par Science démontrent que nous gérons au mieux notre espace mémoire. L'ordinateur, la tablette, le smartphone, chaque appareil nous permeet de l'exploiter différemment notre capacité mémoire au mieux (optimisation).
Deux conclusions majeures de cet article :
  • Avec la fréqentation continue et approfondie des outils de recherche s'élaborent de nouveaux habitus cognitifs et une dépendance envers la connection  ("We must remain plugged in to know what Google knows"). En ce sens, Google est une entreprise radicalement différente de Facebook qui s'apparente plus, pour l'instant, à un gadget. Google comme Bing gèrent l'accès à des outillages pour connaître. En cela, ils sont différents. On peut encore vivre sans réseau social, on ne peut plus travailler sans moteur de recherche. Le savoir n'existe que si, et seulement si, on peut le mobiliser, s'il a été organisé. Etre, c'est être en ligne.
  • "We are becoming symbiotic with our computer tools". Dans son principe, cela aurait pu être affirmé d'outils de savoir tels que les encyclopédies, les outils pour écrire (stylets et pinceaux, crayons, papier, etc.) ou pour calculer (boulier, planches anatomiques, tables diverses, etc.). Microsoft et Apple orchestrent cette nouvelle symbiose, et Google aussi (Android).
De même qu'il a été fondamental pour l'industrialisation de populariser l'éducation aux outils de travail intellectuel (lire, écrire, compter, mesurer), il devient tout aussi fondamental de populariser la bureautique aujourd'hui. De même que la République fit construire des écoles primaires dans chaque commune, il faut aujourd'hui construire partout des infrastructures de connection. Sans perdre de vue que, à la base de tout cela, se trouve la maîtrise de la première des technologies, celle qui préside à la compréhension et à la production langagières : la langue maternelle ("No se debe perder el valor de la palabra", souligne Beatrix Azagra dans El Pais). Ecole et web : même combat.


Sur le même sujet :
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mercredi 27 juillet 2011

Apple : OS X Lion, facteur d'habitus

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Un nouvel O.S. bouge toujours un peu l'habitus de ses utilisateurs et l'enrichit de nouveaux gestes. D'ores et déjà aujourd'hui les outils numériques ont développé chez leurs utilisateurs des gestes, des réflexes dont l'essentiel est hérité des interfaces utilisateur d'Apple (Mac OS, 1984) et de Windows (Microsoft, 1985).
Certains sont propres à un appareil, d'autres sont communs à tous les appareils. Apple développe des habitudes spécifiques à ses appareils (iPhone, iPad et Mac), ensemble d'habitudes qui constituent une culture, allant des ergonomies aux comportements et aux modes de penser. Passer d'un PC à un ordinateur Apple, ou inversement, désoriente immédiatement l'utilisateur. Par exemple, les raccourcis clavier des copier-coller ne sont pas tout à fait les mêmes, ce qui entraîne pendant des semaines de constantes erreurs, avant que ne s'installe une sorte de bilinguisme des doigts. L'habitus comme les doigtés ne se font connaître que dans leurs ratés. Les ergonomies nouvellement inculquées, ce que l'on sait vite sur le bout des doigts, constituent bientôt un frein à l'utilisation de certains appareils : ainsi des ergonomies tactiles des liseurs numériques (Ereader) et des tablettes qui ont rendu, en comparaison, les boutons du Kindle (Amazon) peu engageants. Toute ergonomie apprise est un obstacle au changement.

Quoi de neuf dans les gestes du nouvel O.S. d'Apple (OS X  Lion) ?
  • Le trackpad propose plusieurs types de gestes dans la continuité de l'iPhone. Un, deux, trois doigts, avec ou sans le pouce (multi-touche). Des gestes de bas / haut, des gestes latéraux. 
  • Cliquer (avec clic secondaire, au bas du trackpad, équivalent à un clic droit sur Windows), pincer (zoom), faire pivoter une image, changer d'écran.
  • Deux outils nouveaux synoptiques d'orientation apparaissent : "Mission control" qui donne une vue de tout ce qui est ouvert sur l'ordinateur et "Launchpad" qui donne une vue sur toutes les applications présentes sur l'ordinateur que l'on peut supprimer, déplacer et regrouper comme sur un iPhone ou un iPad.
  • Doubles voies d'accès : soit touches clavier (F3 et F4) soit gestes sur le trackpad
  • Le scrolling s'effectue de bas en haut (et retour) ; noter le vocabulaire emprunté au temps des rouleaux de papyrus et de parchemin... Héritage de gestes, héritage d'idées (Cf. Léon Brunschwicg) ?
  • Tout un travail de personnalisation par l'utilisateur est possible, y compris pour retourner aux habitudes des interfaces précédentes.
La culture Apple s'étend, se systématise et l'on perçoit vite les airs de famille des ergonomies, leur grammaire qui accentuent la transférabilité des savoir faire. En plus des ergonomies communes, des outils communs apparaissent comme FaceTime (iPad2, iPhone4). Cette version de l'OS, selon Apple, laisse entrevoir ("sneak peak") les voies futures que prendra son  informatique, c'est une ouverture.
La désalphabétisation des interfaces de communication avec la machine, entamée au milieu des années 1980 se poursuit : les signes d'un basculement progressif vers les images et les gestes dans la gestion de la communication (facial recognition, gesture recognition) sont manifestes. De plus, les besoins des appareils portables favorisent une évolution vers des claviers non mécaniques. Apple a déposé un brevet de clavier virtuel, sans touches (keyless keyboard), sensible au toucher (haptique).
L'évolution et l'acceptation des interfaces utilisateurs commandent le succès des appareils. A terme, ces évolutions auront également un effet sur les technologies d'évaluation des comportements (cf. - par exemple - WebVisor qu'a racheté le moteur de recherche russe Yandex).
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mardi 26 juillet 2011

Presse régionale en vacances


C'est l'été et les vacances. Les lecteurs aussi prennent des vacances et partent quelque part en France, en famille, en camping, à l'hôtel, en location. Loin de leur journal régional et des nouvelles de chez eux.
Période à risque pour la presse régionale : à l'occasion des vacances, les abonnés peuvent se déshabituer de leur journal, interrompre un abonnement qui arriverait en vain dans leur boîte aux lettres. Et qui lira, à son retour de vacances, une pile de journaux des semaines passées ? "Who wants yesterday's papers" chantaient les Rolling Stones !

Pour améliorer son service, la presse régionale propose à ses abonnés de livrer leur abonnement dans leur lieu de vacances, sans supplément de prix, voire même avec un ou plusieurs numéros offerts. Cf. les offres dans les Ardennes de deux régionaux : le quotidien L'Ardennais (en haut) et La Semaine des Ardennes (en bas). Ce service est aussi une incitation à s'abonner.

Mobilité de cette presse locale qui, évidemment, ne peut bénéficier comme les magazines de distribution nationale. Bien sûr, les abonnés pourraient retrouver leur journal sur le Web, mais peu sans doute partent avec leur ordinateur, disposent de connection en vacances, et le smartphone reste incommode pour lire la presse régionale. Et enfin, ce n'est pas pareil : le journal régional, pour beaucoup de lecteurs, c'est aussi une certaine sensation, une ergonomie de feuilletage et de reprises en main que ne rend pas le numérique.
"Mon journal me suit" : mobilité postale, à l'ancienne ; organistion simple de la "proximité du lointain" pour être, même ailleurs, encore comme chez soi .

Presse régionale à l'entrée du  kiosque de la gare de Charleville-Mézières (Ardennes, 08)

mardi 19 juillet 2011

Service public : match France - Allemagne

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En Allemagne, la Coupe du Monde féminine de football a été rediffusée par les deux grandes chaînes de télévision publique, ARD et ZDF. En France, par Direct 8, chaîne privée commerciale du groupe Bolloré. Bonnes audiences dans les deux pays. Record pour Direct 8. Triomphe du foot féminin sur Twitter.
Les équipes nationales de chacun des deux pays étaient sélectionnées pour le tournoi final parmi 15 équipes sur 126, l'Allemagne, pays organisateur, étant sélectionnée d'office. L'équipe allemande sort de la compétition en quart de finale, l'équipe française en demi.
Occasion manquée en France, par les chaînes du secteur public, d'illustrer l'esprit de service public qui doit les animer (Article 8 du cahier des charges de France Télévision) ? On parle sans cesse de "diversité" (Article 37) : n'était-ce pas une occasion formidable de "favoriser" les "diversités", et notamment la première d'entre elles, la seule universelle et mesurable, celle des femmes et des hommes ("parité"). D'autant que le Conseil Supérieur de l'Audiovisuel souligne la sous-représentation des femmes dans les programmes télévisés (cf. son Baromètre de la diversité à la télévision, vague 3) qui, d'ailleurs, à propos de la parité (§2), oublie tout bonnement le sport dans les "genres de programmes" étudiés).

N.B.
  • Pour les germanophones, l'article du magazine hebdomadaire Spiegel "Frauenfussball bei ARD und ZDF. Alle Spiele, alle Tore -alles richtig gemacht?".
  • La part d'audience (veille) de Direct 8 est de 2,7% pour la semaine du 11 juillet 2011 ; elle est dix fois plus élevée pour l'ensemble France 2 et France 3 (28,9%). Source : Médiamétrie. 

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dimanche 17 juillet 2011

Google and the Belgian press. A Pyrrhic victory

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Belgian papers, published in French or German, have sued Google for copyright infringement. And they won an ultimate victory (Court of Appeals, Brussels, May 5, 2011. Cf. Google vs Copiepress, Société de droit d'auteur des Journalistes, Assucopie). See also the press release from Copiepress.
In accordance with the decision of the Court, newspaper articles have been removed from Google News.
But Google removed also the newspapers Websites from its index. The newspapers have therefore disappeared from search results (cf. Associated Press).

Plutarch relates the very same story about Pyrrhus victories against the Romans: they were worse than defeats. "If we are victorious in one more battle with the Romans, we shall be utterly ruined" said Pyrrhus (Lives, "Pyrrhus", XXI. -XXII, Loeb Classical library, Cambridge, p. 417).

N.B. Until now, people wondered how a newspaper could survive online without being indexed and therefore found in the search results. It was only a Gedanken Experiment (thought experiment). Thanks to this situation, we will know

Update: A few days later, Copiepress asks Google to index the newspaper websites again...

samedi 16 juillet 2011

Naming : convention et acceptation

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Le nom du nouveau stade de Nanterre (nom de code actuel : Arena 92) est à vendre pour 10 millions d'euros par an, sur 15 ans. Comment évalue-t-on les retours sur investissement d'une telle opération tout au long de sa longue durée ? Comment apprécier la qualité du nom choisi, son adéquation, son efficacité ? Comment la pré-tester ?
La question est celle que pose toute création de marque, de titre, de site Web : une marque aussi est un nom créé pour longtemps, alors que l'efficacité des actions publicitaires est d'habitude évaluée dans le court terme.

Le naming redonne une nouvelle jeunesse à un texte classique, que lisent toujours les linguistes, le Cratyle. Platon évoque dans ce dialogue un "poseur des noms", véritable "législateur" (νομοθέτης) chargé de "la rectitude du nom" ou "juste dénomination" ("ὀρθότης ὀνόματος", 384d). "Le nom, déclare Socrate, est vraiment un instrument pour instruire" (Ὄνομα ἄρα διδασκαλικόν τί ἐστιν ὄργανον", 388c). De quoi instruit donc le naming ? De la marque qui l'achète. A quelle condition une dénomination est-elle "juste" ? La convention - un nom est posé sur une chose - doit être acceptée par la communauté. C'est donc la limite de la convention qu'il faut évaluer dans le naming : l'acceptation pratique du nom par la communauté, le transfert à la marque de propriétés valorisantes et l'apport de notoriété spontanée par l'object nommé.

Comment évaluer le choix d'un nom, son efficacité pour une marque, sur une aussi longue durée, sur tout son cycle de vie ? On peut bien sûr imaginer des études ponctuelles répétées (du genre déclaratif), un panel... Mieux vaut recourir à une méthodologie constante et à une mesure continue telles que l'observation régulière de la fréquence de la recherche du nom sur l'ensemble des moteurs de recherche (comme le propose, par exemple, LeLab de Weborama) ? Plus la fréquence des requêtes associant le nom du stade à une activité positive s'y déroulant sera élevée, plus le naming aura été et sera encore efficace. Ces naming analytics pourront alors prendre en compte la contribution des résultats des équipes, de leur popularité, de tel match, de tel concert à la fréquence observée pendant une durée donnée (régressions multiples), les corréler aux nombres de places occupées, aux places vendues, au chiffre d'affaires global, etc. Petit à petit, on saura ainsi ce qu'il y a vraiment dans le nom ("What's in a name?") et comment cela évolue...

Références
Sur papier : Platon, Cratyle. Sur la justesse des noms, traduction Louis Méridier, in Platon, Oeuvres complètes, Tome V, 2e partie, Paris, Les Belles Lettres, bilingue, 1961.
Sur la Web : Cratyle, traduction de Victor Cousin, bilingue, Oeuvres de Platon, 1846. http://remacle.org/bloodwolf/philosophes/platon/cousin/cratyle.htm
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lundi 11 juillet 2011

Mysterious, unpredictable consumers

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"Now, I know one never knows" says an old famous "talking song byJean Gabin, a French actor. That should be said about media and marketing too.
Teletext should be obsolete, dead, right? Killed by the Web stars and the digital TV sets. Wrong.
A recent survey by ConsumentenBond among 1085 new TV set buyers in the Netherlands (since 2006) shows that 55% use Teletext regularly (many times a week) : for sports scores, news, information on TV programs, weather.
New technology, new equipment do not necessarily change behaviors. It takes sometimes a long time. Data on equipment do not tell all the story. Behaviors are still unpredictable. One device, many users, many uses.
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vendredi 8 juillet 2011

TV américaine. Fox change d'affiliée à Springfield. Etude de cas N°2

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Dans le marché de Springfield (Missouri, DMA N°74), le network Fox et sa station affiliée (KSFX, groupe Nexstar) se sont séparé sur un désaccord concernant les conditions financières de l'affiliation. Vraisemblablement sur le montant des compensations dont bénéficie une station affiliée en échange de la retransmission des programmes nationaux du network (retransmision consent fees).
En conséquence de cette rupture, KSFX deviendra, à partir de septembre prochain, une station indépendante (indie) et continuera de rediffuser des programmes de syndication ("The Simpsons", "Everybody Loves Raymond", "Seinfeld", "House", etc.). Seule la grille de prime time est affectée (19-21 heures, lundi-samedi, principalement. Cfcommuniqué de la station). Notons qu le cs de KSFX n'est pas unique : trois stations du groupe Nexstar Broadcasting Group ont remis en question leur affiliation à Fox.
KSFX a été auparavant affiliée à ABC, qui lui a préféré une autre station en 1986, année de création du network Fox, qui proposera l'affiliation à KSFX.

Dans ce même marché, la station KRBK, qui était affiliée à MyNetworkTV devient une station affiliée du network Fox dont elle retransmettra le programme national à partir de la prochaine saison (septembre 2011. Cf. communiqué de la station) sous le nom de "Fox 49" (49 est le numéro de son canal UHF). Elle assurera également l'affiliation secondaire à MyNetworkTV (MyNetworkTV appartient au groupe News Corp., comme Fox).

Ce cas illustre la relation affiliée / network et sa fragilité. Il montre également la flexibilité et la mobilité du marché télévisuel américain dont la station locale reste la cellule de base. Les stations, maillons de la chaîne, peuvent à tout moment changer d'affiliation ou devenir indépendantes. Le network est une marque constante à la structure changeante.
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mercredi 6 juillet 2011

La TV met le Web à son service

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Le network américain NBC ferme NBC Universal Digital Studio, ses studios lancés en 2008 pour la production d'émissions à destination du Web ("original Web content"). Ces émissions, financées par le parrainage de marques (American Family Insurance, Samsung, etc.), étaient diffusées par Hulu, iTunes, en VOD, etc. (Cf. le cas de "CTRL").
Selon Advertsing Age, il n'y aura plus de production d'émissions originales pour le Web : tout l'effort sera concentré sur le Web à la réalisation de programmes d'auto-promotion et de soutien des progammes des chaînes TV. Le Web est mis au service exclusif de la télévision ("we plan to focus our digital efforts and investment on content that's supportive of our on-air programs, providing our audience with additional content that further engages them in our shows").

Ce revirement stratégique, déclenché à l'occasion du rachat de NBC par le câblo-opérateur Comcast, indique un positionnement secondaire du Web du point de vue des chaînes de télévision : au Web est réservé un rôle ancillaire, faire de l'audience sur les chaînes. Logique, à très court terme du moins. L'espace publicitaire se vend beaucoup moins cher sur le Web qu'en télévision, les chaînes et notamment la chaîne grand public constituent le centre de profit primordial vers lequel doit affluer l'audience.
A terme, une source d'innovation et de création de fiction est sans doute compromise.

Document : communiqué de presse de lancement, 7 octobre 2008.
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lundi 4 juillet 2011

Google agence média totale ?

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Que devient Google ? Touche à tout géniale , riche et espiègle de la communication, comme jamais entreprise ne le fut encore ? Ou, plus trivialement, entreprise condamnée, comme d'autres de ce secteur, à suivre la pente de l'évolution numérique de la communication, pente qui conduit inéluctablement à la remise en question de la division courante du travail entre conseil, création, planning, achat, mesure ?

L'achat d'espace récent effectué directement par Heineken à Google ébauche une réponse. Cet achat, selon le Financial Times, couvre vingt pays d'Europe et d'Amérique du Nord ; il mobilise toutes les plateformes publicitaires de Google (YouTube, mobile, display, etc.) ; il inclut le planning, le conseil, la commercialisation, la mesure, l'analyse des audiences et des performances, tant pour les produits que pour la marque. Par certains de ses aspects, il s'apparente, dans sa méthode, à l'achat upfront que réalisent, un an à l'avance, les agences média auprès des plus grandes chaînes de télévision américaine. En mieux, en plus complet. Opération totale.
De facto, un tel achat réduit les agences à un rôle de spectateur. Qu'importent les protestations des uns et des autres : la logique technique et économique impose cette totalisation, économies d'échelle et réduction des coûts de transaction obligent. La publicité, c'est de plus en plus de mathématiques, de plus en plus de technologies.

La télévision connectée au Web, le digital signage associé au mobile restreignent chaque jour le périmètre de la télévision et de l'affichage traditionnels, incorporant le marketing dans les points de vente et les lieux publics. La plupart des agences média, sans technologie, sont réduites à un rôle commercial qui, lui même, s'automatise. Plus on ira vers le numérique, plus les agences, dans leur conception traditionnelle, seront marginalisées. Elles ont tant compté sur leurs "esclaves numériques", non sans condescendance parfois, qu'elles sont aujourd'hui esclaves de leurs esclaves. Dialectique connue. Et l'écart se creuse, se creuse...
Et ce n'est qu'un début !
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dimanche 3 juillet 2011

Ciblage et styles de vie


.L'Amateur de cigare : ceci n'est pas un magazine sur le cigare mais un magazine pour les amateurs de cigares ; diffusé entre 15 et 20 000 exemplaires, il vise un ensemble de styles de vie, éventuellement disparates, dont le goût pour le cigare est le point commun. C'est aussi, en acte, un petit traité de sociologie de la distinction.
Bimestriel, dos carré (6,5 € le numéro), 72 pages : des articles sur la gastronomie, sur Cuba et la fabrication des cigares, sur le commerce des cigares à Lille, sur une destination touristique (Maroc) traitée sous l'angle du cigare, sur les boissons et la gastronomie (cubaine), la musique, sur un véhicule (Mercedes). Un encart de 4 pages grand format, pliées, décrit et compare scrupuleusement des cigares choisis : dimensions, catégorie, fabricant, prix, le tout assorti d'un commentaire.

La publicité dans le magazine est en affinité thématique, esthétique avec les éléments éditoriaux parmi lesquels les messages se fondent, visibles d'être tellement dans le ton. Paradoxe d'un beau travail de marketing éditorial et publicitaire. On n'insiste jamais assez sur la coordination des deux alors qu'elle fait la qualité d'un magazine, la mémorisation et l'agrément. Peu d'annonceurs captifs : boissons, hôtellerie, tourisme, automobile. Le cigare n'apparaît, distraitement, que dans quelques pages "shopping", consacrées à des accessoires (caves, étuis, etc.), à des guides d'achat (champagnes, montres, livres, DVD, cigares, déco).

Ce qui harmonise tous les constituants, éditoriaux et publicitaires, c'est un type de jugement de goût, un certain art de la distinction : oenologie et gastronomie fournissent aux amateurs de cigares les outils lexicaux  et les catégories pour rendre compte de la "dégustation". Ciblage comportemental, en quelque sorte, intuitif. Certainement, chaque lecteur trouvera au moins un message qui détonne et y décèlera, de son point de vue, un peu de frime de distinction trop calculées (stylisation de la vie). Le magazine poursuit le difficile équilibre entre la personnalisation (le lecteur a sélectionné le magazine et s'y retrouve) et la recommandation (le lecteur est surpris et envisage d'autres goûts, via l'habitus qui les règle) ; c'est cette créativité que tente de reproduire automatiquement un algorithme de ciblage sur le Web.

Encart guide d'achat comparatif
Et le Web justement ?
Il y a un site amateurdecigare.com, bien sûr, mais qui ne répète ni ne reflète le magazine ; le site est sobre, requiert une inscription et l'accès aux fiches de dégustation est payant (3 € / an). Le site est conçu et développé comme un outil élémentaire de référence pour l'amateur (lexique, explications, liste de points de vente, etc.). Seul renvoi au magazine, le module d'abonnement.
Cette division du travail, cette articulation entre le magazine et le site paraît exemplaire. Au magazine, le confort d'une certaine portabilité, le plaisir du toucher, du feuilletage, d'une exubérance rédactionnelle retenue. Au magazine surtout, le centre de profit. Au site, réalisé à l'évidence pour une dépense de développement modique, la simplicité stricte de l'efficace. Tout un modèle économique. La base de données des contenus éditoriaux est exploitée sous la forme de guide / livre : Le Havanoscope, et de supplément Le Cigaroscope.
Analysé dans les détails, ce travail paraît remarquable, d'autant que tout le travail disparaît à la lecture du magazine, à l'utilisation du site : l'édition a fabriqué de l'évidence, un "plaisir du texte".

N.B. Accusé d'inciter à fumer par une association, le magazine a été relaxé par le tribunal correctionnel de Paris en décembre 2012.