Beau titre dans le quotidien espagnol El Pais : "Google ya es parte de tu memoria" (Google est déjà une partie de ta mémoire). Le quotidien part de la recension d'une recherche parue dans Science Magazine sur l'évolution de la mémoire (Betsy Sparrow, Jenn Liu, Danial M. Wegner, "Google Effects on Memory: Cognitive Consequence of Having Information at our Fingertips", July 14, 2011) pour approcher de manière plus générale l'effet des moteurs de recherche sur la mémoire des utilisateurs.
Que les appareils que nous utilisons quotidiennement tranforment la manière dont nous retenons les informations et dont nous accédons à leur mémorisation est probable. Retenir, en Grèce ancienne puis dans l'empire romain, reposait sur une mnémotechnique (repérage, classement des objets à mémoriser, association de ces objets à des lieux, etc.). Dans cette opération de mémorisation, l'organisation, la langue, le classement alphabétique, la versification jouent leur rôle ; la rhétorique, "ouvrière de persuasion", cultive la mémoire (cf. Ciceron, Quintilien, etc.). Quant aux appareils externes pour enrichir la mémorisation, ils existent depuis longtemps, indispensables pour la comptabilité commerciale des entreprises et des banques, des Etats (fiscalité), pour la religion (prière, étude, calendriers etc.), indispensables aussi pour leur portabilité : tablettes, rouleaux, puis livres de toutes sortes. La recherche peut être alphabétique, on met bientôt en place des index puis des systèmes de renvois anticipant les liens hypertexte (cf. L'Encyclopédie de Diderot et D'Alembert).
Google, les logiciels de contacts, de fiches organisant le savoir pour apprendre et retrouver, de listes (de courses, de choses à faire, etc.), ne font qu'enrichir cet outillage. Avec le numérique, les tablettes ont accru leur capacité mémoire et amélioré leurs ergonomies. De la tablette qu'utilise Don Quichote ("un librillo de memoria") à l'iPhone et ses applis, les mécanismes de la mémorisation et des accès à la mémoire exploitent les évolutions technologiques. En revanche, les principes de ces outils sont constants : améliorer la rentabilité du travail intellectuel (productivity) et des opérations de gestion. Les travaux, les réflexions sur ce sujet et leur application aux médias sont anciens. De Marshall McLuhan à Jack Goody, par exemple.
Les résultats des expériences évoquées par Science démontrent que nous gérons au mieux notre espace mémoire. L'ordinateur, la tablette, le smartphone, chaque appareil nous permeet de l'exploiter différemment notre capacité mémoire au mieux (optimisation).
Deux conclusions majeures de cet article :
- Avec la fréqentation continue et approfondie des outils de recherche s'élaborent de nouveaux habitus cognitifs et une dépendance envers la connection ("We must remain plugged in to know what Google knows"). En ce sens, Google est une entreprise radicalement différente de Facebook qui s'apparente plus, pour l'instant, à un gadget. Google comme Bing gèrent l'accès à des outillages pour connaître. En cela, ils sont différents. On peut encore vivre sans réseau social, on ne peut plus travailler sans moteur de recherche. Le savoir n'existe que si, et seulement si, on peut le mobiliser, s'il a été organisé. Etre, c'est être en ligne.
- "We are becoming symbiotic with our computer tools". Dans son principe, cela aurait pu être affirmé d'outils de savoir tels que les encyclopédies, les outils pour écrire (stylets et pinceaux, crayons, papier, etc.) ou pour calculer (boulier, planches anatomiques, tables diverses, etc.). Microsoft et Apple orchestrent cette nouvelle symbiose, et Google aussi (Android).
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