mercredi 8 août 2012

Censure sur le Web ?

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La une de l'hebdomadaire allemand Die Zeit est souvent un événement politique en Europe. Qu'elle titre sur la censure du Web par quatre oligopoles culturels américains (Amazon, Apple, Facebook et Google) retient l'attention.
Le succès américain puis inégalement mondial de ces quatre entreprises déclenche des vagues de critiques et d'inquiétudes, plus ou moins honnêtes, plus ou moins intéressées, mais indéniables. L'idée d'impérialisme culturel revient dans l'air du temps.

La dialectique classique de l'argent et de la morale, de la gestion et de l'innovation s'est penchée sur le Web dès sa naissance. Des entreprises promettaient le bien universel, le partage de toutes les informations, l'accès libre à la culture pour tous. Avant d'entrer en bourse, elles prétendaient savoir concilier vertu et profit : "You can make money without doing evil", proclamait le Google des débuts ; "We don’t build services to make money; we make money to build better services" déclare Mark Zuckerberg à ses futurs actionnaires).

Amazon, Apple, Facebook et Google, devenues politiquement et économiquement très puissantes (cf. leur lobbying) et pluri-nationales, sont soupçonnées d'interventions dans la culture quotidienne. On pourrait d'ailleurs ajouter Twitter et Yahoo! à la liste, et bien d'autres encore.
  • L'accusation de censure est à prendre au sérieux. Ces entreprises contrôlent de diverses manières l'accès à l'information politique et à la culture (gate keepers). Le dossier évoque plusieurs cas de censure : photos d'hommes ou de femmes bloquées par Facebook, y compris dans un article de Die Zeit (cf. l'article du rédacteur en chef, "Auf einmal weg"), censure effectuée au nom de Community Standards discutables, chansons censurées, applis politiques censurées sous prétextes de diffamation, oeuvres d'art masquées, filtrage politique des recherches en fonction des exigences des régimes politique en place mais, plus encore, filtrage par les moteurs de recherche en fonction de l'activité passée de l'internaute, de sa situation actuelle (dont géographique). Moteurs de recherche qui au lieu de bouleverser, de provoquer tendent un miroir conservateur à celle / celui qui cherche : moteurs de conformisme. Compromissions politiques, pruderie, exploitation des données collectées sur le Web sans que les utilisateurs en aient connaissance et aient donné, sciemment, leur accord : la réputation de ces grandes société est altérée, entraînant dans leur sillage l'image et la réputation du Web.
Die Zeit. Copies d'écran de sa version iPad
Notons quand même que les médias traditionnels qui dénoncent les quatre sheriffs n'ont pas manqué de s'illustrer à l'occasion dans la censure et la connivence avec les pouvoirs, politiques, financiers et religieux. Et ils continuent.
Notons également que Die Zeit est client des entreprises dénoncées, que l'hebdomadaire est distribué par Amazon (Kindle Edition) et par Apple, que Die Zeit est également présent sur Facebook. Incohérence ? C'est que cela n'est pas si simple : le Web et le numérique constituent une formidable possibilité d'expansion des libertés de penser auquel un média ne peut renoncer ; la censure constitue un "dommage collatéral" qui, si elles n'y prennent garde, peut à terme ruiner ces entreprises et compromettre le Web tout entier.

Le Web, rappelle un journaliste, devait être un lieu de liberté. La censure semble y prendre pied ; parfois même, elle règne déjà risquant de transformer le Web en un "Disneyland autoritaire". Real Politik ? A moins que ne se lève un mouvement de protestation, qui semble tarder : "pourquoi ne protestez-vous pas ?" ("Warum protestiert ihr nicht?"), demande le romancier Benjamin Stein redoutant que les citoyens abdiquent leurs responsabilités et se laissent aller, naïfs, au totalitarisme. Comment résister aux sirènes des oligopoles de la pensée, s'interroge-t-il ? De l'Etat, dit-il, on peut attendre les Lumières (Aufklärung) : l'éducation et la publicité de l'information (accès public à l'information. cf. Espace public et publicité) ; pour le reste, cela relève plus de la responsabilité individuelle que des lois.


5 commentaires:

Gallois 14 a dit…

C'est assez effrayant de voir à quel point Facebook contrôle tout jusqu'à bloquer un commentaire qui pourrait lui nuire (une personne l'avait montré sur Youtube en essayant de poster un commentaire sur la censure que pratique Facebook)...En revanche toutes nos données et photos sont gardées en mémoire, et pourraient qui sait, être utilisées contre nous. Faisons donc attention à ce qu'on écrit vis-à-vis de Facebook mais surtout à ce qu'on y met.

Gallois 14 a dit…

Il faut croire que mon précédent message était prémonitoire...Mardi 25 septembre, la fuite de messages privés sur Facebook a suscité un véritable mouvement de panique collectif. Confirmation que nous devons rester vigilants sur les réseaux sociaux si on ne veut pas craindre une intrusion dans notre vie privée.

Isabel Zbinden a dit…

Internet était censé être un îlot de liberté totale, mais c'était une utopie perdue d'avance. Dès qu'il y a une possibilité de profit, des entreprises s'engouffrent dans le marché et arrangent les choses dans leur sens. La soif de succès modifie l'idéalisme du commencement.
Mais attention, la critique aux autres, à "eux" ne suffit pas. N'oublions pas que c'est grâce à la majorité d'entre nous que les géants dans le domaine numérique le sont aujourd'hui. Nous nous inscrivons de notre plein gré sur Facebook et acceptons les conditions d'utilisation (que tout le monde lit, bien sûr...). Nous utilisons Google au lieu d'autres moteurs de recherche peut-être moins connus. On nous pousse au conformisme mais nous nous y plaisons. On le critique mais on ne veut pas faire autrement. On condamne mais on suit quand même...

Stéphanie Micheloud a dit…

Cette évolution n’est pas surprenante puisque celle-ci a traversé l’ensemble des médias : en Suisse en 2011 il y a eu la fusion de Tamedia-Edipresse, le groupe français Canal+ a fusionné en 2012 avec ITI et TVN en Pologne. On pourrait citer encore nombreux groupes médiatiques comme le groupe Ganett qui possède une centaine de quotidiens et une vingtaine de stations radios américaines ainsi que des journaux britanniques ou le groupe français Hersant qui rachète les petits journaux locaux du monde francophone.

Les concentrations d’entreprises sont inévitables car elles permettent des économies au niveau des coûts de production, malheureusement au détriment de la qualité et surtout de la variété des informations. Il est donc essentiel de réussir à conserver la pluralité des sources et des opinions sur internet !
Pour garantir une qualité de l’information, il est nécessaire que les journalistes puissent faire des investigations. Il sera donc bientôt vital à la survie de la qualité et pluralité de l’information de continuer à développer les services payants d’information sur le net.

Pour conclure, dans les pays où les pouvoirs politiques contrôlent déjà les autres médias, impossible qu’internet ne soit pas censuré !

najma226 a dit…

La question majeure est la domination de ces sociétés (grâce au lobbying très actif) dans tous les débats fondamentaux relatifs à Internet, notamment les questions de Gouvernance. On peut rappeler l'orchestration, en janvier 2012, d'un "blackout" collectif de leurs services par les géants du web afin de contester les propositions de loi SOPA et PIPA aux Etats-unis. Une démonstration de leur puissance.