N°33, 9 août 2012. 3,5 € |
L'hebdomadaire allemand Stern (Gruner + Jahr / Bertelsmann Media Group), 8 millions de lecteurs pour 800 000 exemplaires vendus (Sources : IVW, MA) s'empare d'un sujet populaire et qui ne dérange pas trop - toutes les opinions s'y valent. Marronnier des vacances d'été, avec un beau titre : iSolation et un graphisme qui cite Apple.
Chaque membre de la famille mène une double vie numérique, "toujours connecté mais pourtant sans parole" ("Immer online, aber sprachlos"), même le chien, qui, sans doute, fait des cauchemars de collier électronique, que le loup, cynique, ne lui enviera pas ! Fable*.
Les journalistes de l'hebdomadaire sont partis au front des batailles familiales observer le quotidien numérique des enfants et des parents, recueillir leurs déclarations. Le tout est couronné de conseils provenant d'une socio-pédagogue des médias ("Sozial- und Medienpädagogin"). La spécialiste délivre doctement des règles et une posologie : tant de minutes pour le jeu vidéo à tel âge, pas d'ordinateur dans la chambre avant 10 ou 11 ans, Facebook, pas avant, etc.
En fait, parents et enfants font de leur mieux pour maximiser sous contraintes de résultats scolaires et de socialisation et de communication réussies. Dans certaines familles, la négociation est permanente, dans d'autres, une charte est octroyée... Le numérique s'inscrit et se moule dans la vie familiale pré-existante.
Pour beaucoup de familles, le numérique est facteur de stress et de tension : l'adolescence numérique sécrétera encore beaucoup de titres comme ceux-ci, sans doute vendeurs.
Certaines questions triviales ne sont guère évoquées, questions qui divisent et gâteraient l'été :
- Quel est le budget d'équipement et de fonctionnement de la vie numérique ?
- Quelle est la qualité intellectuelle de cette culture réduite à un art de consommation et de socialisation, loin des apprentissages techniques et informatiques (voire scientifique) que l'institution scolaire pourrait revendiquer (à la place de quoi) ?
- L'école est souvent désemparée... On a pu dire qu'elle se comportait depuis l'arrivée de la télévision comme une entreprise de résistance au changement technologique (M. McLuhan). Pourquoi ? Les parents ne sont pas en meilleure posture. Difficile pour les institutions d'avouer qu'elles n'y comprennent rien, qu'elles cherchent, tâtonnent...
- Dans quels cas est-ce la famille qui est tranformée ("verändert") par le numérique ? Dans quels cas, au contraire, est-ce la famille qui digère le numérique pour s'en nourrir à sa façon et accroître son capital culturel initial ?
*Les germanophones penseront aussi au poème d'Erich Kästner, "Ein Hund hält Reden"
7 commentaires:
François de Singly dépeint à merveille dans "Libres ensemble" la manière dont s'articulent l'individuel et le collectif au sein d'une famille.
L'ouvrage date de 2000, mais est terriblement clairvoyant, amenant ainsi les questions que l'on se pose aujourd'hui: comment concilier collectivité et activités numériques individualistes?
Un classique à consulter pour mieux répondre à ces questions
elisanormand
Le verbe 'verändern' est pour moi et malheureusement un euphémisme. Tous les membres d'une famille sont aujourd'hui équipés d'un téléphone portable, et beaucoup possèdent en plus plusieurs ordinateurs et des tablettes. Ces nouvelles technologies nous permettent certes d'être sans cesse connectés au monde extérieur mais les échanges 'intérieurs', au sein de la famille se font de plus en plus rares.
Je pense que sans barrières, la famille numérique risque non pas de 'transformer' mais tout simplement de remplacer la communication au sein du foyer.
"La télévision analogique réunissait, le numérique disperse et sépare"; cette phrase est lourde de sens. Si les nouveaux outils numériques nous semblent aujourd'hui indispensables au quotidien, ils nous servent aussi de "refuges virtuels"; ce qui peut facilement entraîner au sein de la famille des conflits intergénérationnels. Exemple: le petit dernier qui passe le clair de son temps sur les jeux en ligne, la sœur ainée sur les réseaux sociaux et les parents, qui essayent désespérément de les appeler pour venir diner...
Je rejoins Aude sur son point mais le fait est qu`aujourd`hui les parents aussi possèdent des smartphones et y passent uen bonne partie de leur temps pour suivre l`actualité par exemple ou consulter divers types de revues en ligne et dès lors toute la famille se met sur son ”device” mange rapidement et retourne se connecter. Un grand changement des comportements serait par exemple le raccourcissement des temps de repas pour passer plus de temps connecté.
Le problème est qu`effectivement ce phénomène se reproduit en société, au travail posant des problèmes de productivité des employés et en cours causant des problèmes d`attention...
Il est vrai qu'aujourd'hui beaucoup d'enfants et une partie des parents possèdent un smartphone. Cependant, je ne pense pas que que les activités numériques ne font que réduire la communication au sein d'une famille.
Au contraire, Internet et les instruments du web 2.0 permettent également d'ouvrir des champs de discussion et créer de nouveaux débats entre les membres d'une famille. Je ne parlerai pas de "Famille numérique, famille en miettes" mais plutôt de "Famille numérique, famille dynamique".
Certes, le numérique change les habitudes et les modes de communication d'une famille. Mais ne doit-on pas laisser une part de responsabilité à l'éducation?
Le vrai problème n’est pas lié aux technologies numériques mais à l’éducation. C’est aux parents d’instaurer des règles fixes quant à la consommation des médias numériques et leur impact sur la vie familiale. Selon moi il faut effectivement éviter de mettre un ordinateur dans la chambre d’un enfant trop jeune, surveiller les activités effectuées sur internet et faire en sorte que les plus jeunes n’aient pas accès aux jeux vidéos et images trop violentes. Mais il faut aussi faire en sorte de passer du temps ensemble en privilégiant les repas à table sans télévision par exemple.
Et je pense que les adolescents ne sont pas plus renfermés à cause des technologies numériques. Moi-même j’aimais passer du temps seule alors que durant mon adolescence je n’avais pas ni internet, ni télévision dans ma chambre. Il y a toujours une phase dans la vie où la communication au sein de la famille est difficile et cela ne changera pas avec les médias numériques.
Cet article me rappelle aussi le cours « Introduction à la recherche sur les audiences » donné par M. Didier Courbet. Selon les recherches qu’il a évoquées, « avec l’apparition de la télévision, les chercheurs considéraient que cela supprimait la communication dans les foyers (« Tais-toi, j’écoute. »). Mais aujourd’hui les études montrent que les individus au sein des familles recommuniquent grâce aux médias (« Regarde cette vidéo sur Youtube »).
Comme pour une majorité de situations problématiques, on ne trouve pas un côté blanc et un autre noir.
Oui, le numérique affecte les relations entre personnes présentes, que ce soit dans la famille comme le décrit l'article, ou au sein d'un groupe d'amis. Qui n'a pas vécu une soirée où la moitié des personnes pianotent sur leur smartphone pour répondre à un message, consulter leurs mails ou mettre à jour leurs actualités facebook? C'est la manie d'être toujours avec ceux qui ne sont pas là, la peur de ne pas être à jour avec ce qui se passe ailleurs et cela freine la communication avec les personnes présentes, personnes avec qui on parlera justement par téléphone interposé, une fois qu'on ne sera plus avec eux. Bizarre quand même.
Par contre, le numérique peut également apporter de nombreux avantages au sein des foyers. Je prends l'exemple de mon cas: je suis partie de la maison pour étudier, je vois donc ma famille beaucoup moins souvent qu'avant. Le téléphone portable et internet me permettent d'être régulièrement en contact avec eux et d'avoir de leurs nouvelles, chose qui n'aurait peut-être pas été possible il y a une dizaine d'années.
Les enfants qui sont à l'aise avec des ordinateurs, des téléphones portables, l'utilisation des réseaux sociaux auront un atout indéniable par rapport à ceux à qui on interdit l'usage des technologies. "Tombés dedans quand ils étaient petits", ils pourront les manier beaucoup plus facilement plus tard. C'est quand on est petit qu'on fait toutes sortes d'expériences, de "bidouillages" et qu'on a assez de curiosité et d'innocence pour découvrir.
Internet contient cependant de tout. Et de tout peut être négatif et peut représenter un danger pour les enfants qui n'arrivent pas toujours à distinguer correctement les sites "normaux" et les autres. Le numérique doit donc également être accompagné d'une certaine éducation, comme le dit Stéphanie. Chez nous, à l'époque, c'était 1h maximum de Gameboy par jour (oui, c'est vieux!) et plus tard, 15 minutes d'un logiciel d'apprentissage avant de pouvoir aller sur internet. Chacun ses règles, chacun ses mesures, et un peu de contrôle n'est sûrement pas de trop. Encore faut-il que les parents s'y connaissent aussi dans le domaine, sachent comment bloquer certains sites dangereux, etc.
Bref, pour revenir au sujet de l'article, les technologies du numérique influencent certainement la vie de famille. Il faut en être conscient et le gérer pour que la vie sociale ne prenne pas plus de place que la vie familiale. Mais il faut quand même vivre avec son temps et s'adapter à ces technologie qui sont de nos jours (presque) indispensables.
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