Appelons "étudiant" toute personne inscrite dans un établissement d'enseignement post-secondaire (privé ou public) et titulaire d'un baccalauréat (depuis 1808, examen universitaire d'entrée à l'université). L'étudiant se définit par une tranche d'âge et une fréquentation d'établissements de formation supérieure au-delà d'une douzaine d'années passées à l'école primaire et secondaire.
Il y a mille raisons pour que le marketing cible un segment "étudiants" : il constitue une tranche d'âge mixte, jeune, urbaine, active, de plain-pied avec la culture la plus récente (numérique, musicale, mode). Propageant goûts, styles de vie, opinions, c'est bientôt une classe d'âge en cours d'installation et d'équipement, de fidélisation aux marques. C'est ce que livre l'intuition au marketing : les étudiants représentent essentiellement une tranche d'âge. De là à considérer qu'ils forment un groupe social homogène, une condition, il y a loin car le groupe "étudiants" recouvre des disparités de statut telles que l'on doit se demander si la catégorie "étudiants" est pertinente et féconde pour l'analyse socio-économique et le marketing.
D'abord la démographie
On compte en France près de 2,4 millions d'étudiants (année universitaire 2012-2013) ; on n'en comptait que 310 000 en 1961, il y a cinquante ans.
Avec les élèves de 15 et plus, les étudiants représentent plus de 8% de la population française ; cette catégorie est un peu plus large que celle des éudiants telle que l'entend le ministère de l'éducation car elle inclut les élèves de 15 ans et plus non étudiants, encore scolarisés dans des établissements secondaires. L'INSEE inclut cette catégorie globale, élèves et étudiants (CS 84) dans le Groupe 8, intitulé "Autres personnes sans activité professionnelle" (Cf. tableau ci-dessous et INSEE, Guide analytique, p. 617).
En un demi-siècle, on est passé en France d'une université restreinte à une université élargie. Le taux de réussite au bac est de 92% en 2013 : on compte 678 000 candidats (une génération représente un peu moins de 800 000 personnes). 72% des bacheliers s'inscrivent dans l'enseignement supérieur à la rentrée suivante. Etre étudiant semble désormais une étape normale de la vie, entre 18 et 24 ans.
Devenant banale, la catégorie des étudiants est de plus en plus féminine : à 20 ans, 50% des femmes sont étudiantes, 40% des hommes, traduisant la meilleure réussite scolaire des filles (INSEE, "Diplôme le plus élevé selon l'âge et le sexe en 2011"). Selon l'OVE, 56% des étudiants sont des femmes (57% des inscrits à l'université selon l'INSEE en 2011).
Des inactifs ?
On qualifie les étudiants d'"inactifs" ; l'INSEE les classe dans les "inactifs divers autres que retraités" (cf. tableau ci-dessous). Cette catégorie d'inactifs, classe résiduelle et hétéroclite, semble sans fondement économique et sociologique. Qui de moins inactifs aujourd'hui que les étudiants qui associent, tout au long de l'année, activité universitaire (cours et examens) et activité salariée ?
- 70% des étudiants effectuent des stages (on parle de 1,2 à 1,6 millions de stagiaires, cf. Génération Précaire). De plus en plus souvent rendus obligatoires par la formation et le diplôme, les stages sont également décisifs pour la recherche d'un emploi ; figurant en bonne place sur la C.V., ils constituent de plus en plus souvent une première étape avant un hypothétique CDD. Les stages et leurs variantes instituent de facto une alternance emploi salarié / études : horaires d'entreprises, faible rémunération, précarité souvent... D'ailleurs, observe l'INSEE, "les apprentis et stagiaires en entreprise" ne devraient pas être classés parmi les étudiants mais "parmi les actifs".
- Près de trois étudiants sur quatre exercent un emploi rémunéré au cours de l'année, dont un quart en été (Source : Observatoire national de la vie étudiante- OVE, 2010).
- Stages et emplois procurent l'essentiel des ressources de beaucoup d'étudiants.
Les étudiants dans la nomenclature INSEE (2003). Mise à jour le 20 février 2012.
Définition des inactifs selon l'INSEE : "personnes qui ne sont ni en emploi (BIT) ni au chômage :
jeunes de moins de 15 ans, étudiants, retraités, hommes et femmes au foyer, personnes en incapacité de travailler..."
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Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron dénonçaient, au début des années 1960, l'illusion sociologique et journalistique qui aimait à voir dans les étudiants "un groupe intégré et une condition professionnelle" (Les héritiers. Les étudiants et la culture, Editions de Minuit, 1964). L'illusion s'est perpétuée et consolidée dans la catégorisation. Pourtant, les variables socio-économiques classiques divisent toujours le groupe "étudiants" ; l'origine sociale se perpétue dans le choix des filières, dans l'habitat (un tiers des étudiants habitent chez leurs parents. Source : OVE) et dans les revenus (les étudiants bénéficient de versements, inégaux, de leurs parents) mais aussi dans les loisirs, les séjours à l'étranger...
Surtout, le type d'études menées reste corrélé à la PCS des parents : les enfants de cadres et professions intellectuelles supérieures sont sur-représentés dans les études de gestion, d'ingénieur, de santé (études qui débouchent immédiatement sur un emploi). Comme dit l'étude de l'OVE : "rappel de l'origine". Les femmes sont sous-représentées dans les filières scientifiques et d'ingénieurs mais majoritaires en Lettres et sciences humaines, études qui donnent un accès difficile au marché de l'emploi. Après "les héritiers", vient "la reproduction"...
Ainsi, les étudiants se distinguent et se définissent d'abord par leur origine sociale (capital culturel et capital humain s'en suivent), mais, surtout, ils se définissent par leur sortie, le groupe social auquel ils vont appartenir au bout de leur formation et qu'anticipent déjà, peu ou prou, les stages. "Avenir de classe et causalité du probable" (Pierre Bourdieu), amor fati.
Du point de vue des sciences sociales et du marketing, ne serait-il pas plus rigoureux et efficace de classer les étudiants dans la catégorie sociale de leur parents ou dans la catégorie où ils deviennent actifs plutôt que d'en faire une catégorie socio-professionnelle autonome qui n'ajoute guère à la tranche d'âge ? La catégorie sociale "étudiants" est illusoire.
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Ainsi, les étudiants se distinguent et se définissent d'abord par leur origine sociale (capital culturel et capital humain s'en suivent), mais, surtout, ils se définissent par leur sortie, le groupe social auquel ils vont appartenir au bout de leur formation et qu'anticipent déjà, peu ou prou, les stages. "Avenir de classe et causalité du probable" (Pierre Bourdieu), amor fati.
Du point de vue des sciences sociales et du marketing, ne serait-il pas plus rigoureux et efficace de classer les étudiants dans la catégorie sociale de leur parents ou dans la catégorie où ils deviennent actifs plutôt que d'en faire une catégorie socio-professionnelle autonome qui n'ajoute guère à la tranche d'âge ? La catégorie sociale "étudiants" est illusoire.
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