La une du numéro 13 (novembre 2013) |
Beau magazine autour de la gastronomie.
Trimestriel, 132 p, dos carré
4,5 € ; 18 € l'abonnement annuel
Lancé à 50 000 exemplaires, en novembre 2010
Distribution Presstalis
"Fricot" est un bon vieux mot français (breton ?) qui désigne une viande en ragoût, un plat fricassé. Quant au verbe "fricoter", qui signifie d'abord cuisiner à feu vif, il peut connoter aussi des activités louches, parfois galantes.
Beau titre, à prendre au second degré, en contrepoint du sous-titre, L'Epicurien Urbain, que glose, au bas de la une : "food - design - photo - graphisme et bouche à oreille". Tout est dit si l'on observe que fricote, le titre, est manuscrit sans majuscule, tandis que le sous-titre, immédiatement au-dessous, est en capitales.
Positionnement rédactionnel intriguant, quand même. Epicure, philosophe végétarien et sobre, vantait l'ataraxie et une gestion prudente des désirs. Depuis Rabelais (je crois), on l'associe souvent aux plaisirs de la table ; il est vrai qu'il appréciait le bon vin. Déjà, il a donné son nom à un cigare cubain. En fait, le mot "épicurien" ne connote plus Epicure : l'épicurien d'aujourd'hui serait plutôt hédoniste. A chacun son snobisme : qui lit encore Epicure ou Lucrèce ? Quant à "urbain" : le lectorat escompté par ce magazine vit, mange et fricote dans les grandes villes : même country, toute culture nouvelle vient des villes (il existe aux Etats-Unis un format de radio et un style "urban country").
Le magazine est "branché food". Food, comme fooding, street food, food douche, slow food, junk food, foodgasm, foodie... Il publie même un questionnaire d'auto-évaluation : "food attitude". fricote aborde la gastronomie et la cuisine sous un angle esthétique, en connivence constante avec la culture Web, c'est cela, sans doute, son côté urbain : la cuisine de l'époque numérique.
Le magazine est publié en deux langues ; la colonne de gauche, écrite en français, est traduite en anglais dans la colonne de droite. Bizarre. Quelle peut être la cible de ce bilinguisme, ni les francophones, ni les anglophones à qui une seule des deux langues suffit ? Extension à des lectorats peu francophones, touristes ? Didactisme ? Pourquoi traduire plutôt qu'écrire en anglais directement, improviser en anglais sur le même thème plutôt que transposer ?
A la une du numéro 13 (novembre 2013), le smartphone.
- Cuisine mobile. Le smartphone, omniprésent à table, posé ostensiblement à droite de l'assiette, consulté à tout bout de champ. "Photo call", "Food art via instagram" : le magazine traite de l'habitude de partager un plat en ligne, d'une photo, Snapchat ou Instagram. Food snapping rituel, les réseaux sociaux, Facebook, Pinterest, Tumblr, notamment, relayent et prolongent le plaisir de la cuisine et du repas. Ce qui pose parfois des problèmes de droit d'auteur : dans certains restaurants, comme au musée, il est interdit de photographier. Mais le marketing reprend vite ses droits : une citation sur Instagram ou Pinterest, un snap peuvent amener des clients. Nouvelle urbanité.
- Faire voir la cuisine. La photographie des assiettes (double cadre et marie-louise), celle des ingrédients et de la vaisselle mis en scène comme des natures mortes inspirent une esthétique gastronomique nouvelle (Fubiz.net a sa rubrique), esthétique que le magazine semble illustrer lorsqu'il montre des recettes en cours de réalisation, recommande des tables... Manet, Chardin à l'époque de la sensibilité et de la reproduction numériques : la photo avec le mobile fait "voir le voir"...