Une histoire littéraire traitée comme un roman policier : Montaigne
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Philippe Desan, *Montaigne La Boétie. Une ténébreuse affaire*, Paris,
Odile Jacob, 382 p., 2024, 22.9 €
Ce n'est ni de la littérature ni de la philosoph...
jeudi 19 novembre 2015
Effet Netflix : le dilemme des chaînes américaines
Avec 69 millions d'abonnés dans le monde dont 43 aux États-Unis, le spectre de Netflix hante désormais le monde de la télévision. Netflix mord sur l'audience des networks, dilue leur public et leur notoriété (on dit que les chaînes voudraient que soient incrustés leur logo au début de leurs séries lorsqu'elles sont reprises par Netflix). Surtout, Netflix compromet l'économie de la télévision payante, MVPD, chaînes premium (HBO, Showtime, Starz, etc.) qui réagissent en lançant à leur tour des versions OTT et en s'appuyant davantage sur TV Everywhere ? De plus, les changements d'attitudes et d'attentes des consommateurs / téléspectateurs - binge viewing, consommation sur mobiles - vont dans le sens de Netflix : en matière de télévision, les nouvelles générations sont streaming et mobile par défaut, donc Netflix d'abord.
Les réactions à l'hégémonie de Netflix furent lentes à venir. On oublie que Netflix aura bientôt 20 ans : c'est dire si l'on a eu le temps de voir venir le danger (sur la genèse de Netflix : "Du DVD au streaming"). Cette disruption, si disruption il y a, n'est pas un phénomène soudain : il n'y a disruption que parce qu'il y a inattention, négligence, condescendance...
Time Warner, les grands networks américains et les studios s'interrogent maintenant sur l'opportunité de continuer à mettre leur catalogue à la disposition de Netflix et ainsi de renforcer leur concurrent. Une telle stratégie pourrait s'avérer dangereuse : à Comcast, on parle de "self-inflicted wound" ? Mais les chaînes peuvent-elles renoncer à une source de revenus significative et commode ? Dilemme !
Ce n'est pas encore la guerre mais on observe quelques escarmouches : Netflix a perdu - ou abandonné ? - les programmes de la chaîne de cinéma Epix (Lionsgate Entertainment, MGM, Viacom) à Hulu et Amazon Instant Video. De son côté, Time Warner aurait envisagé de prendre une participation dans Hulu dont trois networks sont actionnaires (ABC / Disney, Fox, Comcast / NBCU). Mais Netflix a acquis auprès de ABC les droits de la première saison de "How to Get away with Murder" (en France, M6) ... Netflix Frenemy ?
Une contre-attaque, un embargo sont-ils réalistes alors que Netflix, au cours des trois dernières années, s'est doté de nombreux programmes propres, réduisant d'autant sa dépendance. Anticipant son besoin de programmes neufs, Netflix envisagerait de produire aussi des programmes bollywoodiens et des animes. Surtout, Netflix accroît fortement son investissement dans les programmes originaux (émissions et films), investissement qui dépassera 5 milliards de dollars en 2016.
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6 commentaires:
Cet article est très intéressant dans la mesure où il montre à quel point Netflix a eu un impact sur le marché audiovisuel, à l’échelle mondiale.
Netflix a complètement bouleverser l’éco-système audiovisuel et les modèles traditionnels. Comme il est écrit dans l’article, Netflix mord sur les audiences des Network et compromet l’économie de la télévision payante. Bien que Netflix ne soit pas tout à fait récent (crée en 1997 par Ron Hastings et Mark Randolph, en Californie), il me semble que son succès s’explique en partie par le fait que la manière dont les spectateurs consomment les programmes, a complètement changé ces dernières années. De plus, Netflix est arrivé de manière assez précoce sur le marché de la vidéo à la demande; lors du lancement de son service de streaming en 2008, seul un acteur était déjà présent sur ce marché: HULU. Netflix a donc bénéficié des avantages inhérents à un marché de niche. Les stratégies opérées par Hulu et Netflix étaient sensiblement différentes, notamment en terme de contenus et de mode de souscription.
En étant les premiers à proposer l'accès à un catalogue illimité de films et séries moyennant le paiement d'un abonnement mensuel, l'entreprise est parvenue à attirer de nombreux consommateurs et à devenir leader sur ce marché. Il semblerait cependant que la concurrence se soit très largement accentuée depuis le lancement de Netflix. Le principal concurrent direct de Netflix est Amazon. Le géant du e-commerce a lancé son service de VoD, et revendique déjà une base de données de 40 000 films et séries, moyennant le paiement d'un abonnement légèrement moins cher que celui de Netflix. La profondeur du catalogue et l'annonce récente d'une vague d'accords passée avec des studios de cinéma font d'Amazon le concurrent principal de Netflix. On a une politique d'affrontement assez nette entre ces deux acteurs: au CES de Las Vegas, Netflix annonce le lancement de contenus en ultra-haute définition, en partenariat avec LG et Sony. La riposte d'Amazon ne tarde pas et annonce dans la foulée une alliance avec Samsung pour également proposer des contenus en 4K.
La difficulté des acteurs du marché du streaming vidéo à obtenir des exclusivités avec les principaux studios de cinéma a conduit à un chevauchement des contenus proposés. Pour palier ce manque d'originalité dans le service offert au consommateur, Netflix s'est lancé dans la production de contenus; l'exemple célèbre est celui de la série House of Cards, qui a considérablement accéléré le développement de l'entreprise. La réponse d'Amazon ne s'est pas faite attendre, avec l'annonce du lancement de la production de cinq séries originales.
Parmi les autres concurrents de Netflix, on retrouve effectivement Hulu, HBO Now, Canalplay en France ou encore OCS, filiale d’Orange. De plus, Netflix a largement innové par rapport à la concurrence en utilisant l’algorithme de recommandation, basé sur nos gouts. Netflix peut stocker les données que l’on lui fournit (on parle notamment de révolution du Big Data), et ainsi nous proposer des recommandations personnalisées. Certains spécialistes estiment que l’algorithme de recommandation de Netflix représente une menace à l’exception culturelle, notamment. Netflix n’étant soumis à aucune obligation de quotas, l’offre qu’il propose ne dépend que des gouts du consommateur. On est donc dans un marché de la demande, et non plus dans un marché de l’offre, or toute l’exception culturelle (française notamment) est basée sur l’idée que ce sont aux créateurs d’offrir de la diversité, ce qui permet d’ouvrir les perspectives des consommateurs. Cependant, Netflix a également des avantages nombreux: il constitue un « boost » à la créativité, et développe l’offre légale (qui peut amener à diminuer le piratage).
Avec près de 70 millions d'abonnés dans le monde et un catalogue très généreux aux Etats-Unis, la force de frappe de Netflix est effectivement impressionnante, et aurait pu inspirer les grands networks bien avant. Aujourd'hui, ils constatent que le flux de revenus issus des abonnements, certes stable, n'est peut-être pas à la hauteur des gains potentiels d'une plateforme dédiée à leurs programmes... Mais est-il encore temps de faire machine arrière ? La visibilité de masse proposée par Netflix n'est elle pas un investissement profitable pour leur identité ? Est-il suffisamment rentable de faire cavalier seul pour prendre le risque de quitter la plateforme favorie de nombreux spectateurs ?
Ces enjeux sont particulièrement frappants en ce qui concerne les programmes jeunesse. Avec l'arrivée de Disney Live en Europe (pour le moment seulement au Royaume-Uni) et YouTube Kids (plateforme de YouTube dédiée aux contenus pour enfants), on peut imaginer que la concurrence puisse déstabiliser l'hégémonie de Netflix sur ce segment de spectateurs.
Les programmes Disney et Pixar vont-ils déserter ce service de SVOD historique ? Dreamworks et les autres producteurs pourraient-ils leur emboîter le pas et soustraire leurs films d'animation de l'offre Netflix ?
Leader du marché de la SVOD, Netflix a longtemps supporté le rôle de "pédagogue" et a assuré l'éducation du public à ce type de consommation audiovisuelle. Aujourd'hui, l'apparition de challengers ou d'acteurs de niche dans ce paysage économique est donc naturelle. L'entreprise a certainement conscience de ces menaces puisqu'elle produit déjà un ensemble de contenus jeunesse et de films d'animation (All Hail King Julien, The Mr. Peabody and Sherman Show...) et sera amenée à accroître le volume actuel pour affirmer son indépendance.
Néanmoins, les enjeux de la consommation pour enfants sont très spécifiques : la qualité éditoriale, le rôle éducatif ou encore le contrôle parental sont autant de problématiques qu'une nouvelle plateforme devra aborder pour séduire les parents et autres prescripteurs. Netflix a déjà acquis ses lettres de noblesses en la matière, et fidélisé de nombreux foyers. Par ailleurs, d'un point de vue budgétaire, les familles qui ont déjà souscrit à un premier abonnement seront certainement réticentes au fait de payer une offre complémentaire. Il y aura donc probablement une forme d'inertie lors de l'arrivée des offres concurrentes avant que Netflix ne soit véritablement menacé sur le terrain des contenus jeunesse.
"Time Warner, les grands networks américains et les studios s'interrogent maintenant sur l'opportunité de continuer à mettre leur catalogue à la disposition de Netflix et ainsi de renforcer leur concurrent."
Désormais, tous les grands groupes de médias audiovisuels américains, soit les médias traditionnels font face au « cord-cutting », un phénomène massif de désabonnement des services de télévision payante. Les entreprises doivent s’adapter à la montée en puissance du streaming et du Web. Mais l'abandon n'est pas la solution ! Une collaboration entre média traditionnels et nouveaux médias OTT, SVOD doit être mise en place. Ces nouveaux médias ne peuvent réussir sans l'expertise des grands groupes traditionnels.
Selon moi, la solution serait d'intégrer pleinement le concept d'«open innovation» dans les grands groupes. Par exemple, en France, TF1 est le premier acteur de l'audiovisuel à rejoindre le Cargo, le nouvel incubateur de Paris & Co, l'agence de développement et d'innovation de Paris. Une très bonne initiative de leur part.
Dans un tout autre secteur et pourtant les problématiques sont similaires : le PDG d'Accor, Sébastien Bazin annonce en parlant d'AirBnb "Il faut que les deux générations se rencontrent. Car je ne veux pas que les plus jeunes s’en aillent."
Il s'agit du même problème dans le secteur de l'audiovisuel. Ils doivent mettre en relation les points forts de chacun afin de répondre au mieux attentes des consommateurs.
Malgré le succès de Netflix à présent, ils ne peuvent pas avancer seul, l'entraide est de rigueur.
Ces commentaires sur le business de Netflix sont très intéressants. J’aimerais, quant à moi, ouvrir le débat sur une autre problématique liée à la superstar des plateformes de SVOD. En effet, la plateforme a fait depuis longtemps du binge watching son fer de lance, à tel point qu’on parle désormais de « netflixing ». Mais ce modèle semble commencer à montrer ses limites, comme le montre la quantité d’articles parus dernièrement sur le sujet.
Tout d’abord, comment la plateforme pousse-t-elle ses utilisateurs à la consommation boulimique de ses séries ?
Tout commence par l'interface de Netflix : celle-ci est pensée pour amener l'utilisateur vers le programme avec le moins d'effort possible. En effet, il suffit de rester quelques secondes sur la fiche d'un contenu pour que le service identifie un intérêt, et se décide de lui-même à en lancer la lecture. Or, un épisode de série qui se lance rapidement, c'est la possibilité de happer immédiatement le spectateur.
Netflix est même allé plus loin en aller chercher dans ses statistiques pour déterminer le moment où l’utilisateur ne dérochait plus : il sait ainsi quand le spectateur devient accro à la série. La plateforme a rendu publique les résultats en septembre dernier. Ainsi, on apprend que les spectateurs de The Walkind Dead et Breaking Bad restent « sctochés » devant ces séries dès le premier épisode de la saison 1. Pour Orange Is The New Black (la série produite par Netflix), ce moment se situe à l’épisode 3. Tout n’est donc pas joué dès le pilote.
Autre point important dans la stratégie de Netflix pour rendre ses utilisateurs « accros » : la construction scénaristique. Les programmes exclusifs distribués par Netflix répondent tous à une construction similaire : fluide, axée sur une intrigue en particulier et qui ne se disperse pas. C’est notamment le cas de la venue, Jessica Jone.
Mais la démarche va encore plus loin : Netflix essaie de créer des séries aux mécaniques subtiles, avec notamment ce qu’on appelle les « cliffhangers » de fin d'épisode. A l’image des romans du talentueux Alexandre Dumas, la firme américaine est très efficace quand il s’agit d’appeler un enchaînement direct sur les événements qui suivent. D'ailleurs, la plate-forme a également fait le choix d'esquiver le générique de début d'épisode lorsqu'on décide d'enchaîner dans son visionnage.
Mais attention, cette démarche a aussi ses effets pervers : au lieu de profiter une bonne partie de l'année du suspense distillé par ses séries, comme le font de nombreuses chaînes de TV, le service crée progressivement une communauté de « consommateurs express », qui vit intensément une saison entière le temps d'un week-end, puis passe à autre chose. Comme l’explique très justement le site Clubic (Article : « Jessica Jones : la recette pas si secrète de Netflix pour pousser au binge watching », 23 novembre 2015), si la tendance et la cadence s'accélèrent, Netflix va devoir trouver un moyen d'occuper ses abonnés 52 week-end par an...
Camille Leclerc
Cet article est très pertinent, il est vrai que Netflix est un danger pour les chaînes tv, mais la télé demeure le premier média en termes de temps passé, et ce sur toutes les cibles, y compris chez les jeunes.
La télé reste très puissante et les grands écrans des possibilités créatrices intéressantes. En publicité il faut créer du désir, l’exposition à la pub doit être agréable, et seule la télé offre cette possibilité aujourd’hui. Si ce n’est pas le cas, elle est mal perçue par le consommateur. De plus les annonceurs ont encore besoin de médias de masse parce qu’ils veulent toucher des cibles larges. Donc la télé reste un média incontournable.
La télé, en tant que meuble du salon, n’existe plus. Pourtant elle ne s’est jamais aussi bien portée, car le nombre d’écrans et la consommation de programmes se sont démultipliés.
La télé va devenir va devenir un média de mobilité : comme la radio. En outre, il restera toujours les live, l’information, le sport, l’événementiel, les grands rendez-vous. Ce sera la télé de l’événement.
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