vendredi 29 avril 2016

Médias sans pub : la grande évasion publicitaire


Le développement de médias exclusivement payants restreint le potentiel des actions publicitaires.
Netflix et Amazon en donnent un exemple significatif : les dizaines de millions d'abonnés à Netflix ou Amazon n'ont plus d'occasions de voir de publicité sur leur téléviseur (hors placement de produits). Les millennials consomment moins de télévision linéaire gratuite et achètent de plus en plus leurs contenus audio-visuels (Global Web Index, 2016).

Vidéo et musique se présentent de plus en plus souvent à deux vitesses, au choix : une version payante, sans interruption publicitaire, une autre gratuite avec publicité, pour fauchés ?
Les versions payantes, sans publicité, se multiplient : YouTube dispose maintenant de sa version premium, YouTube Red, lancée en octobre 2015 (ad-free, $9,99). Vevo envisagerait également un modèle semblable... HBO a modifié sa distribution pour suivre ce modèle avec HBO Now ($14,99) suivi par Showtime ($10,99).

Manifestement, une partie de la population préfère payer pour échapper aux interruptions publicitaires qui s'apparentent à du harcellement : nouveau modèle économique, du gratuit au payant, du ponctuel à l'abonnement mensuel. La publicité, mal conçue, repoussoir, suscite le payant.

Ce modèle est omniprésent en musique : Spotify (cf. copie d'écran ci-dessous), Pandora, Deezer, Apple Music (13 millions d'abonnés, sans publicité). Deezer souligne : "No ads, no interruptions". Même proposition pour Pandora : "Upgrading your Pandora account to Pandora One, our paid subscription option, will remove all forms of outside advertising from Pandora". Idem pour SoundCloud.
On retrouve un tel modèle dans d'autres sites : par exemple, le site de rencontres grand public Tinder Plus qui a développé une version payante sans publicité pour 5$ / mois. Kindle aussi : les liseuses d'amazon diffusent de la promotion par défaut, mais si l'on paie un peu plus cher, on a droit à une version sans publicité...
Dans le même ordre d'idées, Hulu diffuse ses émissions pour enfants sans publicité mais, en août 2016, Hulu finit par supprimer sa version avec publicité, gratuite, lancée à ses débuts en 2007. Et l'on dit que CBS All Access envisagerait une version sans publicité pour 2017.

A cette évasion publicitaire, s'ajoute désormais celle des utilisateurs d'Adblocking ("adblockalypse !).
La presse développe parfois une argumentation homologue : si vous n'acceptez pas la publicité (adblocking), alors il vous faut payer pour le contenu... Adblock Plus voit dans le paiement direct avec Flattr Plus un moyen systématique de monétiser les contenus autrement que par la publicité...

Cette double évasion publicitaire est loin d'être négligeable ; elle l'est encore moins si l'on imagine le type de profils qui échappe à la publicité de cette manière : des jeunes adultes, des millennials, des personnes plutôt aisées, ou et diplômées, les parents de jeunes enfants... Comment retrouver et toucher cette cible tellement intéressante et précieuse, celle des publiphobes ? Superbe défi pour ceux qui savent utiliser subtilement les données...

Abonnement Spotify Premium (30 JOURS gratuits, puis, 9,99 € / mois)


lundi 25 avril 2016

Micromoments, microgenres, microlocations, microcibles, micro-ads


L'économie publicitaire numérique, pour optimiser l'efficacité du marketing, désagrège l'action publicitaire en actions et en cibles de plus en plus fines pour atteindre le moment limite, celui à partir duquel on ne peut décomposer plus avant. Appelons atomistique ce moment (du grec ἄτομος, que l'on ne peut couper, insécable) pour évoquer l'évolution de la pensée publicitaire et médiatique à la manière dont Gaston Bachelard évoque l'histoire de la chimie. Un nouvel habitus se met en place que commande l'économie numérique : comme le souligne Marie-Anne Frison Roche ("Les conséquences régulatoires d'un monde repensé à partir de la notion de donnée"), "l'information sur la personne n'est pas qu'un reflet de celle-ci : elle est un découpage de celle-ci voire une pulvérisation de celle-ci, une autre façon de le mettre en miettes"; ("l'information est toujours parcellaire". Cf. Internet, espace d'interrégulation). Tel est le précepte de Descartes : "diviser chacune des difficultés que j'examinerais, en autant de parcelles qu'il se pourrait".

Du point de vue des supports publicitaires (médias), de segmentations en décompositions, on aboutit à un micro-marketing de précision chirurgicale (on recourt parfois à la métaphore du sniper) : message délivré à l'approche d'un linéaire dans un point de vente (beacons), lors d'un tournant décisif dans un jeu vidéo sur mobile (cf. "emotional moments" de MediaBrix), suite à une émotion distinguée dans les traits d'un visage ("emotional targeting"). On ne vise pas une personne mais un modèle de comportement identifiable par des atomes de sens, mots ou actes de langage, images (et objets dans une image), traits du visage. Touchpoint. Dans aucun cas, il n'y a d'appel à l'expérience.
On est passé de cibles concrètes à des cibles abstraites, calculées (intersections de comportements, de moments et de lieux, données, algorithmes), les réseaux neuronaux apprenant une image à travers les couches (layers) successives du deep learning.
Les atomes, "particules élémentaires" constituant la matière publicitaire ne sont pas perceptibles ; pour le médiaplanner, leur réalité est d'être opérationnels, donc rationnels. Tout comme les SKU pour les inventaires dans la distribution (store-keeping unit).
La cible n'est pas trouvée, observée mais construite, elle résulte d'une configuration d'ensembles de comportements ; la cible, ce n'est pas telle ou telle personne, père d'adolescents, par exemple, mais tel ensemble de comportements caractéristiques de pères d'adolescents (à un moment donné, intentions d'achat de séjours de vacances et de matériel sportif, par exemple) ; dans la réalité, de tels comportements pourront être attribués à des grand-mères... Qu'importe à l'annonceur ?
Dans le médiaplanning, l'intuition intellectuelle l'emporte désormais sur l'intuition sensible, comme le souligne l'épistémologie de Gaston Bachelard à propos de la chimie. L'intuition sensible est même souvent un obstacle (épistémologique) au médiaplanning.

L'efficacité du micro-ciblage risque toutefois de buter sur une difficulté radicale : comment peut-on cibler finement en s'en tenant à une création générale, unique, passe-partout ? La réponse se trouve peut-être dans l'interactivité qui, de facto, est adaptation de la création à une demande de consommateur. On peut aussi modifier la création délivrée en fonction du consommateur présent (en recourant à un cookie ou, comme Vyking, à la reconnaissance faciale effectuée par des supports dotés de capteurs optiques). L'optimisation dynamique des créations (Dynamic Creative Optimization) contextualise les messages en tenant compte du lieu de réception, de la météo, du contenu environnant, etc.)... Cf. myThings. Le ciblage culmine dans la personnalisation et la recommandation (Netflix).

L'atomisation se généralise à toutes les dimensions de l'action publicitaire : le bon endroit, le bon moment, le bon message, la bonne cible.
  • Micro-genres. On doit à Netflix d'avoir popularisé les micro-genres (about something cf. infra). Netflix avait, il y a déjà deux ans, dégagé près de 80 000 micro-genres, un genre combinant généralement divers identifiants, des adjectifs, des sujets, des acteurs, des thèmes sous la forme de tags (metadata). Au lieu de genres généraux (Stanley Cavell), en nombre limité (western, karaté, comédie, policier, etc.), on peut identifier des atomes de fictions au terme d'analyses de contenus avec ou sans catégorie élaborée préalablement (folksonomie). Après le stade de l'analyse, les micro-genres peuvent être regoupés pour guider l'alchimie créatrice (solve et coagula !). Voir aussi The Music Genome Project de Pandora (450 attributs pour la catégorisation musicale et la personnalisation).
  • Micro-moments. Google met en avant la notion de micro-moments. Ce sont des moments décisifs, moments de vérité (cfZMOT, Zero Moment Of Truth), des moments favorables (cf. kairos, καιρός). Moments définis par une occasion, une intention, une envie de... (want-to-do moment, want-to-buy moment, want-to-go moment, want-to-know moment, what-do-I-eat moments...). "Data beats opinion", "Speed beats perfection", souligne Google. On parle de micro-engagements. Canvs parle aussi de moments "emotionnaly engaging" (score calculé à partir de 56 attributs et plus de 4 millions d'expressions). Twitter lance Moments ("The best of Twitter in an instant"). Pour Mindlytix, un moment de vie pertinent dure une vingtaine de minutes. Cette prégnance du moment instaure-elle un nouveau "régime d'historicité" ? Faut-il parler de "momentisme" à la manière dont François Hartog parle de "présentisme" (question à ambition heuristique) ? Les Snaps saisissent sur le vif des micro-moments (Snapchat spectacles) ? tapCliq repère le micro-moment adéquat, l'anticipe même.
  • Micro-lieux. Les beacons qui sont des capteurs permettent de cibler des micro-lieux (micro-locations) au cours de déplacements grâce au smartphone (cfProximity de Bluvision). Le beacon détecte la proximité d'un smartphone dès lors qu'il entre dans une zone préalablement définie (liée à la puissance de l'émetteur) et déclenche des actions prévues (envoyer un courrier, un message, une notification, un coupon). Par la géométrie de son rayonnement, un beacon définit une micro-zone de chalandise dans une rue, un centre commercial, un magasin (indoor mapping).
  • Micro-cibles (micro-segments). Intersections d'ensembles de données (exemple : porteurs d'une intention d'achat + degré de solvabilité + délais de réalisation). Ni l'âge, ni le sexe, ni la catégorie socio-professionnelle n'ont de pertinence particulière. Leur commodité s'estompe au profit d'une efficacité calculée. Micro-influenceurs ?
  • Micro-ads. Parce que l'on n'a que quelques secondes pour intéresser, convaincre.
On retrouve cette tendance au "micro", au minuscule, dans les domaines du temps dit réel (RTB), du quantified self, du micro-paiement, du micro-manufacturing, des micro-expressions (travaux de Paul Ekman), de la micro-entreprise, de micro-influencers (Instagram), "instant market research" (cfWishbone)... A propos de Mechanical Turk (amazon), Jean Tirole parle "microtâches moyennant microsalaires"... La désagrégation des médias en fut un signe prémonitoire qui fit passer du magazine à l'article, du CD au morceau de musique, de la chaîne de télévision à l'épisode... pour que chacun recompose sur mesure son  média (sa grille, sa playlist, etc.). Effet structurel de l'économie numérique. Accélération ? La décomposition en particules élémentaires atteint le machine learning (unsupervised) et les couches d'apprentissages (layers), les patterns de data (clusters, latent factors, etc.) ou la reconnaissance des objets peuplant une image.
Pour l'essentiel, c'est le smartphone qui, devenant un équipement personnel de base, un prolongement de soi, a raccourci les distances de visée, de ciblage, les délais de réponse, d'intervention, de consommation et surtout la prise en compte et l'exploitation de micro-moments : de l'"atomicité du temps" aux micro-engagements !
Des atomes de vie sociale, de goûts, d'habitus : "les intuitions atomistiques", selon Gaston Bachelard, invitent à se méfier du réalisme naïf. Le réalisme fait obstacle à la compréhension du ciblage numérique, qui est "géométrie du détail" et annonce un séquençage du génôme socio-culturel (datôme ?).
Le monde social, observé de près, à diverses échelles, laisse voir une composition fractale avec ses autosimilarités ; le simple dissimule du complexe, l'universel du singulier, le stable des turbulences.

Source : "How Netflix Reverse Engineered Hollywood", Alexis C. Madrigal, The Atlantic, January 2, 2014.


Ouvrages évoqués
  • Gaston Bachelard, Les intuitions atomistiques. Essai de classification, Paris, Librairie philosophique Vrin, 1933, réédition 2015, 181 p. Index
  • Gaston Bachelard, "Noumène et microphysique", in Recherches philosophiques, 1931-32, repris in EtudesParis, Librairie philosophique Vrin, 1970, pp. 7-24, Présentation de Georges Canguilhem
  • Mark C. Baker, The Atoms of Language. The Mind's Hidden Rules of Grammar, Basic Books, New York, 2001, Bibliogr., Index, Glossary
  • Jean Salem, Démocrite, Epicure, Lucrèce. La vérité du minuscule, Paris, Editions Encre marine, 1998, 247 p. Index
  • François Hartog, Régimes d'historicité. Présentisme et expériences du temps, Paris, 2012, Edtions du Seuil, 329 p. Index
  • Marie-Anne Frison Roche (sous le direction de ), Internet, espace d'interrégulation, 2016, Dalloz / The Journal of Regulation, 207 p. 
  • Kevin Murphy, Machine Learning. A probalistic Perspective, Cambridge, The MIT Press, 2012

lundi 11 avril 2016

Death of the TV household ?


Once upon a time, TV advertising math was simple: one household equaled one TV set. Back then one contact with 1% of all TV households in the country represented 1 GRP (Gross Rating Point) (reach 1 times frequency 1). People used to watch TV on a main TV set, in their living room (or family room), and they watched mostly live TV (since TV was linear).

That time is past.
Most households nowadays own many TV sets and DVRs; moreover, they watch TV on many devices, some of which are mobile (computer, tablet, smartphone). And they watch out of home, they time-shift, they binge...
Today, comScore (with recently acquired Rentrak) intends to replace the notion of TV household with that of TV device. In fact, according to comScore, there are now, on the average, more than 12 devices in a home. Young generations watch TV more on mobile devices than on a TV set.

So, for marketing purposes, instead of using TV househol d audiences we will now use audiences and data from devices, including streaming devices when it comes to connected TV.
TV as a single, simple category is no longer relevant. Each device corresponds to and produces specific types of viewing behaviors, behaviors which remain to be precisely analyzed, differentiated and measured for better targeting. In the long run, however, more than the device, artificial intelligence only will make the difference, not the device, also says Google CEO. This might start another phase of advertising history...


The death of the TV household introduces a new set of variables into marketing. TV is plural: it must be analyzed and explained simultaneously, from a plurality of viewpoints (“Vielseitigkeit ”, Max Weber). In addition to the sociology of TV choices (adequation of people with programs), we should take into account two other dimensions: the sociology of equipment (devices) and the economy of consumption (free TV, pay TV, bundles, subscription, pay-per-view). 
How will this affect the relation to advertising?

mardi 5 avril 2016

Measuring connected TV in the U.S.


What is "connected TV"?
"Connected TV" adds programs streamed from the Internet (OTT, such as Netflix, Hulu, HBO Now, Watch ESPN, CBS News, PBS... cf. "OTT everywhere, a paradigm shift") to traditional programs (broadcast or MVPD). It does not replace traditional TV; it does not exclude it.
It is a multi-screen world and the TV set is now only one of the many screens on which we can watch programs and video (in addition to tablets, computers and smartphones).

"Connected TV" refers to a TV set that receives programs through an Internet connection (broadband, ethernet or Wi-Fi); the TV set uses a streaming device plugged into an HDMI port to access a platform. Chromecast (Google Cast technology for smartphones), Apple TV (TVos technology), Fire TV (Amazon) or Roku (Hearst, News Corp.) are the digital media streamers most frequently used. Game consoles (Nintendo, PS4, XBox One) and so-called "smart TV" sets also provide connected TV (Samsung, LG, Sony, Philips, Sharp). It is worth noting that Google, Apple and Amazon's marketshare stands at 71% (Q3 2015, Strategy Analytics).
Connected TV and traditional TV present a different user interface. Connected TV offers richer ergonomics with apps for choosing programs (browsing, searching with voice control (Siri), touch surface to swipe for Apple TV... Connected TV allows viewers to use their smartphone or tablet as a remote control. It also lets developers create new TV apps (cftvOS SDKGoogle Cast SDK). All in all, connected TV offers a better user experience (UX).

All in all, 65% of American households have at least one kind of connected TV, according to LRG (Leichtman Research Group, April 2016). 74% of online consumers have connected TV (Frank N. Magid, May 2016, cf. supra).

By the end of April 2016, the Nielsen National TV panel will provide connected TV audience data on a daily basis for each "brand" of device. With its 100,000 panelists, Nielsen will measure 50,000 connected devices.
How important or relevant are these new analytics?
They will allow us to better observe the evolution of TV consuming behaviors, to evaluate at which speed traditional TV merges with the Net. This new consumer data will help analyze and predict the evolution of cord-cutting, subscriptions to OTT, to Netflix...
They will help us to understand the influence of the life stage, of ergonomics, on TV consumption.

According to the Nielsen Total Audience Report, 18% of US households (21.4 million) already use a connected TV set (2015), 40% of Millennials.

Apps on Apple TV screen (April 2016): video games and OTT (picture)