On ne sait toujours pas si, comme l'imaginaient les recherches en sciences politiques autrefois, la télévision peut faire l'élection. En revanche, on sait, avec certitude, que l'élection peut faire de la télévision.
Nouvelle illustration. La télévision américaine offre actuellement un feuilleton étonnant : il s'agit de la nomination d'un juge à la Cour Suprême (
SCOTUS).
No more than that! Nomination qui passe par le Senate Judiciary Committee où s'affrontent les sénateurs.
Tous les ingrédients pour une série TV sont réunis. Une histoire de harcèlement sexuel (
sexual assault), grave mais ancien, qu'excuseraient l'alcool et l'âge du perpétrateur, selon la défense. Une victime courageuse, émouvante, ignorante des usages juridiques, qui plaide la cause des femmes. L'accusé : un juge suprême potentiel, défendu avec hargne par le Président de la République qui l'a choisi. Revirement au dernier moment (
cf. infra) : contre toute attente, un sénateur Républicain (Jeff Flake (on n'échappera pas au "
flake news and misconduct"!), obtient une semaine d'investigation supplémentaire par le FBI. La décision du Sénat est reportée d'autant. Suspense...
Résultat : plus de 20 millions de téléspectateurs, affirme Nielsen, audience répartie entre les 4 networks commerciaux nationaux ainsi que CNN, Fox News, MSNBC ; à quoi il faudrait ajouter PBS, C-Span, Univision, Telemundo, Fox Business News, les réseaux sociaux,
etc. Score digne d'un match de foot ou de la cérémonie des Academy Awards, souligne AP. Et pas de droits audio-visuels à payer, acteurs gratuits.
Hélas, par delà les affres et le ridicule de la société du spectacle politique, l'enjeu réel est formidable qui conditionnera la vie des femmes américaines pendant longtemps. Car ce juge insoupçonnable est bien sûr hostile à la liberté de l'avortement. Et il va siéger à vie. Tout cela serait comique, si ce n'était tragique. Une femme en colère, apostrophant le sénateur Jeff Flake à l'entrée de l'ascenseur (
cf. infra) stigmatise l'inanité dramatique de la décision politique : “
you have power when so many women are powerless”.
Un jour, peut-être, de cette histoire vraie on fera les beaux jours d'une série télé, sans doute pas très bonne, car Nicolas Boileau nous a mis en garde : "Jamais au spectateur n’offrez rien d’incroyable" // Le vrai peut quelquefois n’être pas vraisemblable."
Art Poétique, Chant III