Une histoire littéraire traitée comme un roman policier : Montaigne
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Philippe Desan, *Montaigne La Boétie. Une ténébreuse affaire*, Paris,
Odile Jacob, 382 p., 2024, 22.9 €
Ce n'est ni de la littérature ni de la philosoph...
mardi 14 janvier 2020
Les Polonais et la Shoah : une histoire sans fin ?
Sous la direction de Audrey Kichelewski, Judith Lyon-Caen, Jean-Charles Szurek, Annette Wierviorka, Les Polonais et la Shoah. Une nouvelle école historique, Paris, 2019, CNRS Editions, 319 p.
C'est l'histoire des personnes polonaises de religion juive, pendant la seconde guerre mondiale mais aussi après ce conflit.
Cet ouvrage fait suite à un colloque qui s'est tenu les 21 et 22 février, à Paris, à l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (EHESS) où ont manifesté, de manière hostile, des militants polonais catholiques et antisémites ; leurs propos ont été repris et amplifiés par divers médias antisémites polonais dont les hebdomadaires Gazeta Polska, Sieci et Tylko Polska ainsi qu'une chaîne YouTube, suwerenny.pl.
Ceci constitue l'introduction du livre et annonce l'ambiance.
L'ouvrage commence par une intervention de Jan T. Gross, Professeur de sciences politiques à NYU, auteur, en 2000, de l'ouvrage Les Voisins. 10 juillet 1941. Un massacre de Juifs en Pologne, ouvrage portant sur le meurtre de tous les Juifs de la bourgade de Jedwabne, à l'Est de la Pologne, par leurs concitoyens catholiques polonais (ouvrage publié en français par Les Belles Lettres, traduit et présenté par Emmanuel Dauzat, 2019, 214 p.).
Ensuite, vient un texte de Jean-Charles Szurek qui rappelle, entre autres, les dix années (1984-1994) du Carmel d'Auschwitz ou le progrom de Kielce (4 juillet 1946) : la responsabilité polonaise est claire même si le gouvernement polonais actuel tend à la diminuer voire à la nier. Car, comme le souligne le chapitre de Jacek Leociak sur la "naissance d'une école historiographique" qui veut établir la vérité : "l'extermination des Juifs s'est déroulée sur le sol polonais et en présence des Polonais". Les Polonais ne furent pas des témoins passifs des assassinats des Juifs polonais mais des acteurs aussi. Le livre se poursuit par la naissance de la "nouvelle école polonaise d'histoire de la Shoah" et le Centre de recherche sur l'extermination des Juifs créé en 2003, sa revue et ses recherches.
Ensuite, la seconde partie du livre traite des "Juifs dans la Pologne occupée". Première question : pourquoi si peu de Juifs ont survécu ?" Pour répondre à cette question, il est important de continuer à dénombrer les Juifs assassinés : "où, quand, comment, combien ?" L'inventaire des modalités d'assassinats est dressé, y compris l'assassinat par les "voisins". "Plus loin, c'est encore la nuit", affirme un travail publié en 2018 : la coresponsabilité polonaise est immense et, comme le conclut Jan Grabowski, elle est loin d'être encore correctement estimée. Le "choc narratif" est grand et, pour partie, à venir. D'autant que, ensuite, il faut bien prendre en compte l'extermination indirecte, la chasse aux Juifs ("Judenjagd")...
D'autres chapitres continuent. "Oswięcim avant Auschwitz" montre la préparation historique de la population juive comme population "allogène", la prédisposant au ressentiment de ses "voisins".
Un chapitre est également consacré à l'aide communiste au milieu juif, "du côté aryen" de Varsovie ; Juifs et communistes luttaient ensemble dans la clandestinité contre le nazisme et ses collaborateurs, et ce de manière plutôt laïque (contribution de Barbara Engelking).
Joanna Tokarska-Bakir propose un chapitre sur le progrom de Kielce qui a eu lieu, la guerre finie, le 4 juillet 1946, mené par les mêmes antisémites qui n'ont fait que changer de nom, dans la Pologne contrôlée par l'armée soviétique qui assiste, mais refuse d'intervenir.
Et après ? Le livre revisite le personnage de Irena Sendler une Juste polonaise qui sauva des enfants ou encore le personnage de Anna Langfus qui écrira trois romans sur son expérience de femme juive de Lublin (voir le livre de Jean-Yves Potel, Les disparitions d'Anna Langfus, Paris, 2014). Le débat se poursuit : les méthodologies sont comparées, et c'est là l'important bénéfice de cet ouvrage qui ne se clôt pas. L'évocation en fin de volume des "meutres de voisins au Rwanda et en Pologne" cherche à montrer un logique sociale semblable, à l'oeuvre en Afrique et en Europe.
L'ouvrage donne indiscutablement à comprendre mieux, plus complètement, la situation de la Pologne en proie depuis bien longtemps à l'antisémitisme. Depuis quand ? Les études mentionnées font percevoir une partie de cette histoire et son évolution et, qui aujourd'hui se traduit par la volonté politique du gouvernement actuel de les dissimuler.
Au plan scientifique, le livre indique des pistes de réflexion, analyse des résultats (les manuels scolaires publiés depuis la fin de la guerre, par exemple, sont examinés). Pourtant, que cela constitue "une nouvelle école historique", est bien sûr discutable car la méthodologie historique n'innove pas : les historiens examinent tous les faits, scientifiquement, c'est tout. Il n'y a rien de nouveau et c'est amplement suffisant et très convaincant.
Alors, la Pologne, le pire des pays en ce qui concerne l'antisémitisme, la chasse aux Juifs et leurs assassinats ? Pas si sûr : l'inventaire devrait être dressé pour toute l'Europe, et la France, par exemple, ne sortirait sans doute pas grandie des résultats de l'exercice. Le mystère reste quand même la persistance de comportements antisémites depuis des siècles : à qui la faute ?
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