Pierre Bourdieu, Retour sur la réflexivité, Paris, Editions EHESS, 131 p., Repères bibliographiques
"De la vigilance épistémologique à la réflexivité", c'est ainsi que Jérôme Bourdieu (l'un des fils de Pierre Bourdieu) et Johan Heibron présentent les quatre textes qu'ils ont choisis parmi les travaux de Pierre Bourdieu.Qu'est-ce qu'une "science sociale réflexive" ? Comment intégrer la réflexivité dans l'habitus scientifique ? C'est le thème de l'introduction qui devrait conduire les lecteurs "de la vigilance épistémologique à la réflexivité".
La formation philosophique scolaire de Pierre Bourdieu ne le conduisait certes pas du tout au "métier de sociologue", au contraire. Car ce n'est pas sur l'opus operatum (ex post) qu'il lui fallait agir mais sur le modus operandi (a priori) : "beaucoup de chercheurs croient qu'il faut mener sa vie comme une vie d'artiste, en accord avec toute une mythologie." Rompant avec les principes et la pratique d'une épistémologie philosophique courante à l'époque (Lacan, Althusser et quelques autres) qui discouraient, habilement et scolairement, sur le spectacle philosophique et ses meubles, Pierre Bourdieu et les auteurs du Métier de sociologue demandent, eux, que l'on s'interroge sur "la science se faisant", "que l'on passe de la logique de la preuve, l'ars probandi, à celle de l'invention, l'ars inveniendi". Donc que le discours rompe avec le retard habituel, inévitable, qu'imposent les démarches de la preuve, retard que Jérôme Bourdieu et Johan Heibron soulignent fortement. Car ce que Pierre Bourdieu "vise à transmettre, ce ne sont pas des thèses ou des théories, mais plutôt un mode de travail et une manière de penser, au coeur desquels se trouve la pratique de l'enquête". D'où l'opposition entre la réflexivité narcissique, que les exercices universitaires encouragent, et la réflexivité scientifique, qui est un "métier" quotidien. Pierre Bourdieu se demandait d'ailleurs comment former les étudiants au travail scientifique, au métier d'enquêteur et de chercheur donc, comment leur permettre d'échapper progressivement à l'institution incorporée, et leur permettre donc d'inventer.
C'est sur tout cela, des réflexions sur les métier de sociologue et leurs évolutions (et leurs erreurs), que ce petit ouvrage porte. Nul doute qu'il contribuera à la formation de futurs sociologues, et - ils faut bien rêver un peu - à la mise en place de formes adéquates de formation qui sauraient unir l'apprentissage du métier et la réflexion active et continue sur cet apprentissage. Mais peut--être ceci vaut-il pour beaucoup de formations, qu'il s'agisse du médecin ou de l'avocat, du statisticien ou du mécanicien ?
Question pédagogique formidable, donc.
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