mercredi 29 septembre 2010

Qu'est-ce qu'un média local (2) ? La Voix de l'Ain (France)

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S'il est une certitude quant à l'évolution prochaine des médias, c'est que les médias locaux ne cesseront d'être de plus en plus importants. Du tableau d'affichage devant l'école aux annonces en tout genre, sur le pare-brise ou dans la boîte aux lettres, on ne peut vivre sans information locale. Elle est le carburant de la vie quotidienne, indispensable service aux consommateurs mais aussi aux entreprises et aux associations.
Le numérique donne aux médias locaux des moyens progressivement démultipliés ; pour un groupe média, apprécier le calendrier de la mutation à entreprendre est délicat. Alors que les médias traditionnels hésitent à investir le local (télé, radio), de nouveaux concurrents s'y engouffrent, Google d'abord, dont la géolocalisation et le moteur de recherche sont le Cheval de Troie (cf. mobile search), mais aussi les sites d'annonces gratuites comme Le Bon Coin. De plus, les médias locaux et régionaux subissent aussi la concurrence, perçue comme "déloyale", des médias réalisés par les collectivités locales de tout niveau, distribués gratuitement, aidés par l'impôt local et les infrastructures administratives.

Dans le cas du quotidien local américain The Day, nous avons examiné les contenus éditoriaux pour en déceler la part exclusive, sans laquelle le média ne serait que répétition. Effectuons un exercice semblable avec un hebdomadaire départemental français, Voix de l'Ain, titre membre du Syndicat de la Presse Hebdomadaire Régional (SPHR). Voix de l'Ain est l'un des quatre hebdo du groupe HCR (Hebdomadaires Catholiques Régionaux) avec Croix de la Haute-Marne, Hebdo de l'Ardèche et Drôme Hebdo
Le N° du 3 septembre 2010 comprend comme toujours deux cahiers, l'ensemble comptant 64 pages. Le numéro, en kiosque le vendredi, est vendu 1,5 €, l'abonnement annuel coûtant 59 € pour 52 numéros (1,14 € le numéro). A la différence des Etats-Unis, il n'y a pour ce titre ni portage ni distributeurs automatiques : le titre est entièrement dépendant des diffuseurs et de leur rythme d'ouverture.

Le premier cahier est 100% local. Hyperlocal même. Les 28 pages sont divisées en aires géographiques élémentaires (communes). Le second cahier, "actualités départementales", suit une présentation plus globale,  mais tous les contenus y ont une relation forte avec le département de l'Ain. Au plan rédactionnel, toute la vie est là : les fêtes, la pétanque, l'école, les messes, la réception des nouveaux bacheliers, la course cycliste des cadets, le club de scrabble, la pêche d'une belle truite, les galettes de la Croix Rouge, le retour d'une équipe sénior au FC des Bords de l'Ain, le bal du samedi interrompu, les miss Pays de l'Ain...
Le seul contenu non local est celui des programmes de télévision, des jeux flêchés et de la cuisine.
Une vérification effectuée sur le numéro du 24 septembre confirme cette anatomie des contenus.

Evidemment, cette stricte localisation éditoriale a son pendant publicitaire : les annonceurs renvoient tous au point de vente. La seule surprise tient à la faible présence d'annonceurs nationaux associant leur image nationale à uu distributeur local, et ceci malgré la participation du titre à une régie nationale des hebdomadaires régionaux (Espace PHR). Les inserts (encartage) et le couponnage sont beaucoup ici moins importants qu'aux Etats-Unis.
On compte plus d'une quarantaine d'annonceurs locaux par numéro. Beaucoup relèvent de la distribution spécialisée (bureautique, meuble, motoculture, maison, sport, etc.) ; en comparaison avec les Etats-Unis, l'automobile est peu pésente. Toute la vie locale est illustrée : paysagistes, assurances, installateurs de chauffage, de cuisines et salles de bains, optique, isolation, les marchés, foires et salons, un parc de loisirs, le rugby (abonnement au stade)... Sans compter les annonceurs que l'on n'imagine pas toujours comme cette entreprise de charpente et couverture qui assure aussi bien la réfection des clochers que l'installation de panneaux photovoltaïques...

La diversification menée par Voix de l'Ain est à la fois prudente et résolument innovante (cf. la présentation du site par Bernard Bienvenu, directeur de la publication). L'hebdo s'est mis au numérique, ouvrant la plupart des fronts raisonnables, ce qui est la méthode la plus certaine pour tester l'appétit et l'évolution des comportements des utilisateurs. Ces développements numériques, toujours plus ou moins en bêta, ne se font pas au détriment du papier, au contraire, tant l'expérience apprend que l'opposition radicale papier / numérique est sans issue.
  • Le titre a son site qui le rend quotidien ; il s'enrichit de blogs, flux RSS, podcast, newsletter 
  • La présence du titre est assurée dans les réseaux sociaux essentiels : twitter, Facebook 
  • Le Carnet du jour recense en ligne les décès du département et des départements limitrophes, ouverts aux annonceurs des pompres funèbres, et qui permet d'adresser ses condoléances aux familles. L'expérience a montré qu'un tel site ne dispensait pas de l'annonce dans les pages papier.
  • Voix de l'Ain édite chaque année L'aindex qui répertorie les "élus et responsables", les contacts utiles (10 €), accessible en version numérique, notamment pour la mise à jour par les annonceurs (plus de 2 000 contacts, 256 pages avec index).
  • Le groupe publie un magazine, Ma(g)aville.fr, mensuel gratuit consacré à une ville (Bourg-en-Bresse). Sa belle réalisation attire les annonceurs soucieux d'image autant que de trafic sur le point de vente.
Reste le mobile, média local par excellence, média de la distribution aussi, qui mérite d'être testé, surtout si se développent les accès wifi publics et si se démocratise la gamme des terminaux portables, des tablettes et smartphones. Quand le marché sera-t-il mûr pour des applis ? Le marché local manque d'études, on y a trop copié le national alors que la proximité permettrait sans doute des méthodologies originales et plus fécondes, ethnographiques par exemple. 
Le numérique libère la presse hebdomadaire et locale d'un positionnement longtemps imité des quotidiens régionaux. Le rythme hebdomadaire du papier s'accompagne bien du rythme quotidien voire plus fréquent encore en cas d'événements locaux, que permettent les présences numériques diverses. Le recours maîtrisé aux utilisateurs pour du rédactionnel (crowd sourcing) et aux réseaux sociaux pour les interactions dynamisent les contenus locaux. Un hebdomadaire régional peut constituer le point de départ de groupes multimédia locaux : Voix de l'Ain en fait quotidiennement la démonstration.
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1 commentaire:

AEPHR a dit…

Tout à fait d'accord, les hebdos locaux ont une belle carte à jouer sur la publicité hyperlocale et sur le mobile (le couponing en local n'a pas encore véritablement exploré par exemple).
La Voix de l'Ain fait partie des hebdos innovants, il n'est pas le seul et il inspire certainement des confrères.
Maëlle Fouquenet, de l'AEPHR