mercredi 28 novembre 2018

Magazines : des lieux qui ont une âme



L'Ame des lieux. Les lieux qui font le monde, trimestriel, lancé au début de l'été 2018. 162 p. 15€. Abonnement : 60€. Editée par les éditions ScriNéo qui publient également les magazines l'éléphant (La revue de culture générale) et Aider (S'engager pour les autres).

Les lieux ont-ils une âme ou bien ne sont-ils pas tout simplement remarquables pour des raisons historiques ou esthétiques générales, ou encore parce que nous les associons à des souvenirs personnels ? Tout comme les choses et autres "objets inanimés". L'édito du N°2 explique la vision du magazine : "La géographie le confirme : un lieu naît de son interaction avec l'homme. Il porte en lui une part de subjectivité, un peu de chacun de nous, un peu de nos histoires, de nos envies, de nos fantasmes..." (Stéphanie Tisserond, Jean-Paul Arif). Ouf ! On échappera donc au romantisme louche des racines et de la terre.
Le concept de L'âme des lieux est d'associer histoire et tourisme, réalisant une "revue curieuse et voyageuse". Le premier numéro conduit les lecteurs dans des "endroits qui [nous] rendent heureux" : Venise, bien sûr, et de manière plus originale, l'Ile d'Elbe , Tipaza (Algérie), les volcans d'Islande, le Verdun des Vosges, les toits de Paris, la Dordogne et le Périgord, la Réunion : il y en a pour tous les gouts, Bohin dans l'Orne (où l'on fabrique des aiguilles), Le Touquet, Sancerre et Chavignol...

La 4 de couverture du N°2 : un sommaire
Le magazine traite "l'actu par les cartes", rubrique qui fait voyager dans le temps aussi. Dans le premier numéro, cela commence par la culture des cerises et le Vaucluse. Une carte et un peu d'histoire, la burlat. La nostalgie du temps des cerises nous prend "mais il est bien loin"... Puis la  rubrique traite de la bière, des glaces. Dans le deuxième numéro, la rubrique élargit son horizon au Brésil puis à l'Europe ("les migrants, géographie d'un malaise"), à la Nouvelle Calédonie, avant l'élection, à la Russie, à Israël. La rubrique continue avec "la désertification rurale en France". Car "le désert croît" ! : de la Corrèze à la Haute-Marne jusqu'aux Ardennes, se dessine une diagonale inquiétante où le nombre de médecins diminue et où il ne fera pas bon être malade. Enfin, la Pologne face à son histoire : après Auschwitz, un antisémitisme qui n'en finit pas de renaître, Solidarnosc, l'occupation soviétique...
Le coeur du deuxième numéro, c'est Chicago, ses plages le long du lac, ses hauts immeubles (dont la Tribune Tower, immeuble néo-gothique, qui fut jusqu'en juin 2018 le siège du quotidien Chicago Tribune), Chicago river et ses canaux, le métro aérien ("the L"). "Windy city", certes mais "my kind of town", anyway). Bien vu. Une centaine de pages plus loin et l'on arrive à Lons-le-Saunier (Jura) patrie de La Vache qui Rit, qui germanophobe en temps de guerre, fut wagnérienne (Wachchyrie !).
Chaque numéro s'achève par une recette de cuisine : risotto de la plaine du Pô et kouign-amann de Douarnenez pour les premiers numéros.
Toutefois, un spectre hante cette géographie avenante : celui du tourisme qui défigure, des foules qui déferlent, compromettant la valeur et l'âme des lieux et risque de ruiner "l'esprit d'ici" que met en avant "le magazine de l'art de vivre en région" (ESPRIT D'ICI, 2012, Burda).

En fait, ce magazine sans publicité a des airs de documentaire géographique, extrêmement varié et habilement conçu ; pour rêver, anticiper des voyages ou des lectures, apprendre et se distraire, entre anecdotes, cartes postales et cartographie. Magazine confortable, de garde, qui vieillira bien. Les articles sont parfaitement illustrés, clairs. Le pari cartographique apporte une lisibilité innovante et constitue une entrée féconde pour s'orienter dans les principaux sujets. Les notions de patrimoine ne sont jamais loin. Bien positionné entre histoire et territoire, traditions et terroirs, L'âme des lieux devrait avoir un bel avenir.

4 commentaires:

Lea Bernabeo a dit…

Merci pour cet article qui met en lumière la diversité des magazines et leur qualité. Ces nouvelles initiatives de lancements de formats de presse papier nous prouvent encore une fois que la presse n'est pas morte. À l'instar du 1hebdo, de la revue XXI, ou bien de L'éléphant, ces revues sont le signe d'un bel avenir pour la presse, qui privilégiera la qualité à la quantité.

Jacques-Antoine Lando a dit…

Merci pour cet article intéressant qui permet de noter (en plus du fatigue la presse spécialisée n'est pas morte comme l'a mentionné Léa) que l'histoire et le tourisme sont dorénavant réunies dans un même magazine. De plus, le fait qu'il soit sans publicité avec un prix plus élevé que la moyenne ouvre la voie à une nouvelle manière de rentabiliser un magazine.

Valentine Tucoulat a dit…

Ce magazine a toutes les raisons de rencontrer un fort succès. Le territoire est une problématique très intéressante. En effet, dans la société actuelle, les individus semblent en perte de repères. On peut donc aisément dire que les individus renforcent leur capacité d'identification à une culture et un territoire donné, la géographie est un des repères de l'individu qui ne semble pas faiblir. L'appartenance à une ville ou une région est fort et réconfortant. Cela rentre dans la construction du soi et les thèmes abordés dans ce magazine renvoie précisément à ces problématiques me semble t-il.

Mathieu Le Cossec a dit…

Initiative passionante ! L'avenir de la presse écrite réside peut-être dans sa capacité à être "plus qu'un média". Un tel magazine est en effet un bel objet que l'on a envie de posséder physiquement sans se contenter de la version numérique.

L'esthétisme et le beau m'apparaissent comme les véritables avantages comparatifs du physique sur le numérique.