Le Center for Research Excellence (CRE) publie les résultats d'une étude sur l'audience des médias à écrans (TV, ordinateur, téléphone et parfois du digital signage hors du domicile) : Video Consumer Mapping Study. Le CRE, financé par Nielsen, est piloté par des chercheurs (tous ont plus de 35 ans, bizarre !) représentant ses principaux clients : entreprises de télévision (chaînes de télévision, câblo-opérateurs et leurs régies), agences média (médiaplanning et achat d'espace), annonceurs (P&G, Unilever, Kraft, Kimberly Clark). Le Media Rating Council (MRC), qui audite les études de référence aux Etats-Unis, est également représenté.
Le terrain est réalisé par le Center for Media Design de Ball State University : 476 enquêtés sélectionnés parmi d'anciens panélistes de l'audimétrie individuelle de Nielsen (quel biais ce recrutement induit-il ?) répartis dans six agglomérations américaines (DMA) suivis pendant deux jours chacun.
D'emblée, l'objectif polémique de l'enquête est avoué, remettre en question ce qui pourrait remettre en question les investissements télé : non, les jeunes adultes ne désertent pas la télévision pour quelque streaming sur l'ordinateur ; non, le standard publicitaire TV du 30 secondes n'est pas mort ; non, la consommation de télévision n'est pas différée. Dans la ligne de mire : TiVo et les enregistreurs numériques (DVR), le streaming, et la publicité sur Internet aux formats innovants.
Les conclusions sont celles que recherchaient les promoteurs de l'étude.
- La télévision en direct représente l'essentiel de la consommation média (durée et audience cumulée), la télévision est, plus fréquemment que tous les autres médias, le média primaire, voire même le média unique.
- La valeur de l'audimétrie individuelle (people meter) est confirmée puisque les résultats obtenus par l'observation recoupent presque parfaitement ceux des people meters. A moins que les deux ne soient faux.
- Le temps passé avec l'ordinateur (computing time) dépasse en durée de consommation, la radio et de la presse. Mais le temps passé avec l'ordinateur, qui reste inférieur à celui passé avec la télévision, est souvent associé à un autre média ou à une autre activité.
- Les méthodes recourant aux déclarations par l'enquêté (self report data : questionnaire auto-administré, carnet d'écoute) induisent une sur-estimation de la vidéo en ligne, entre autres, tandis que la télévision, au contraire, semble sous-déclarée.
Donc tout va bien pour la télévision et son audimétrie. Nielsen dixit.
PUF, Paris, 2009, 335 p., 15 € |
Au-delà de ces résultats, qui remplissent leur fonction confirmatoire et encombrent Internet de l'habituel tintamarre de communiqués de presse, interrogeons plutôt la méthodologie et le "métier d'ethnographe" des médias (sur ce "métier", voir le Manuel de l'ethngraphe de Florence Weber, et, plus ancien (1953), le Guide d'étude directe des comportements culturels de Marcel Maget).
Que peut-on attendre d'une telle méthodologie d'étude directe (selon l'expression classique de Marcel Maget) ? On a certes l'habitude de l'enregistrement des entretiens dans les enquêtes de terrain, donc de la présence de magnétophones, d'appareils photographiques, de caméras.
Mais, avec le numérique, "l'observation armée" et ses protocoles prennent une nouvelle dimension. Budgétaire d'abord : 3,5 millions de dollars. Technologique ensuite : l'enquête recourt à l'Observation Assistée par Ordinateur (Computer Assisted Observation) : un PC portable adapté muni d'un logiciel (Media Collector Program) conçu pour la saisie rigoureuse, homogène des informations et facilitant ensuite l'analyse de contenu (précodage).
Difficile de ne pas se méfier des artéfacts produits par cette méthode pour le moins intrusive. Imaginez-vous suivi(e) chez vous, à chaque pas, toute la journée durant, par un(e) enquêteur(trice) notant vos comportements sur un ordinateur portable : votre comportement média n'en serait pas affecté ? Allons donc ! Comment oublier un tel déploiement ? Car on n'est pas dans la situation ethnographique traditionnelle où l'enquête dure si longtemps - des mois - que l'enquêteur/trice est adopté(e) et oublié(e) comme tel(le) par son terrain et ses informateurs. Quel est le statut du savoir acquis selon cette méthodologie ? Les enquêteurs tout à leur ordinateur ont-ils également effectué des observations ethnographiques ?
Dommage que nous n'ayons pas accès, s'il y en eut, aux auto-analyses des enquêteurs, à leurs impressions au contact du terrain (journal d'enquête, etc.).
Dommage que nous n'ayons les réactions des enquêtés, et de ceux qui ont refusé d'être observés. Quel est le taux de refus de particper à l'enquête ? Puisque le Media Rating Council (MRC) a suivi cette enquête, peut-être disposerons nous de ces données élémentaires d'audit.
Dommage, pour résumer, qu'une enquête aussi ambitieuse, et aussi chère, et qui a suscité de telles innovations méthodologiques (matériel, logiciel, "accélération") soit si peu prolixe sur les aspects épistémologiques (effets de la méthdologie sur les résultats).
1 commentaire:
Une étude qui n'est certe pas irréprochable mais qui a néanmoins le mérite de bousculer les idées un peu trop politiquement correctes à mon goût du moment (la TV est un média mort).
Sur un autre sujet une autre étude qui après beaucoup de bruit au démarrage semble pour l'instant avoir accoucher d'une souris :
http://adage.com/mediaworks/article?article_id=136461
Enregistrer un commentaire