mercredi 18 novembre 2009

Brigitte Bardot, people et divertissement

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Alors que leur place dans les tous médias est primordiale, les phénomènes people restent mal connus, comme la plupart des phénomènes d'imitation, de grégarisation, de panurgisme.... Une exposition consacrée à Brigitte Bardot par le musée de Boulogne-Billancourt (en 2010) ravive la conscience de nos ignorances en matière d'"effets people"des médias, pour peu que l'on effectue la visite "sans prévention ni précipitation".
Photo prise à l'exposition. La Floride est une voiture de Renault (1958-1968)
Une héritière
Toute la vie publique de Madame Bardot est étalée sous nos yeux, le cinéma, la chanson, les amants, les mariages, les animaux qu'elle défend... People à tout prix, même pour la bonne cause. Née d'une famille de la bourgeoisie parisienne, élève au Conservatoire National de Danse, dès 15 ans elle est dans Elle, dont elle fit la couverture à 16 : la famille a des relations et une usine. Brigitte Bardot est une "héritière". Le miracle BB s'accomplit en terrain favorable. Pour objectiver la dimension sociologique du personnage, il faudrait comparer sa trajectoire sociale avec celle de sa contemporaine, Sheila, "petite fille de français moyen" (titre de l'une de ses chansons, en tête du hit parade de l'été 1968 !), qui vendait avec sa famille de la confiserie sur les marchés et séduisit une classe de fans différente, l'une commença par la chanson, l'autre par le cinéma...

Icône pluri-média
Quelle place occupe BB dans la société française ? L'exposition ne propose pas de réponse, mais elle impose la question en juxtaposant les "faits" qui sont "faits" par des images et des "unes" par centaines. Images de libération féminine, d'érotisme qui indisposent plaisamment fâcheux et Tartuffe. Entrée dans le Larousse à 24 ans, De Gaulle en fit la Marianne des 36 000 mairies en 1968. BB fut aussi le faire-valoir des marques pour des créations publicitaires qu'elle écrasait de sa présence : Pschitt (soda), Simca (automobile), Paris-Presse, Les Laines du Chat Botté, Radio Luxembourg, Yamah (moto), Air France, BNP... Images de films, affiches, photographies avec les uns et les autres. Et des chansons, des émissions de télévision.

Devant le phénomène de la peopelisation, la sociologie de la culure semble démunie. BB n'a pas été de ces "intimate strangers" dont parle la sociologie des "célébrités" (Richard Schickel) et Roland Barthes ne nous apprend rien sur cette mythologie. Pour s'y retrouver, c'est peut-être vers la "psychologie économique" de Gabriel Tarde qu'il faut se tourner, qui a identifié le rôle de la presse dans la quantification de la célébrité, de la popularité, de la gloire et de la réputation (Psychologie économique, publié en 1902). Sans cette quantification, pas de people. Mais son intuition n'a pas été développée et n'a pas été adaptée aux médias plus récents et à leur contribution à la peoplisation. Pourtant avec les médias numériques, avec les réseaux sociaux, les bruits courent plus vite, plus haut.

People, "opium du peuple, soupir de la créature opprimée" ?
Pourquoi avoir baptisé cette exposition "les années insouciance" ? Insouciance du milieu où BB est mise en scène, le show business ? Sans doute. D'ailleurs Claude François chantait aussi "cette année là", 1962, une année sans histoire ! Pour d'autres, ce furent des années de guerre coloniale : 400 000 appelés du contingent font leur "service". Guerre civile : massacre d'Oran, massacre des harkis. C'était aussi l'époque de la loi Debré contre la laïcité, les avortements criminalisés, bien avant la loi Weil (1974)... A tous ceux que l'époque opprimait dans leur vie la plus quotidienne, BB parlait d'autre chose, justement, et divertissait.
"A quoi sert la beauté des femmes", s'interrogeait faussement Théophile Gautier. Ne cachez pas ce sein... Certes, mais on ne comprend toujours pas très bien le miracle people.

Durant l'été 2014, pour ses 80 ans, BB revient à la une avec des photos d'autrefois : Ici Paris titre en couverture d'un hors-série sur "les années Bardot" ; à la une de Paris Match, BB illustre "l'éternel féminin" : c'est la quarantième couverture de Paris Match consacrée à BB...
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1 commentaire:

Zedesse a dit…

J'ai lu (avec beaucoup de plaisir) ton post sur BB....Bravo! Tu as su tirer une réflexion de valeur d'une expo" dont le but est sans doute bien autre que ce qui découle de ton analyse . Je remarque également que le titre "Cette année-là" de CF, devenue 1962 --pour la rime uniquement, qu'on se le dise-- n'était autre que 1963 --aussi pour la rime, la date véritable des premiers émois amoureux de son auteur (Bob Gaudio, le "keyboardiste" du groupe les "Four Seasons") ou les deux. Il fallut un esprit très fin pour charger de sens --bienvenu et bien fondé-- des événements et des circonstances finalement bien moins intéressants. Well done!