Mise à jour 15 novembre 2011
Amazon a déclaré vendre plus de livres numériques que de livres en papier. Difficile à croire. Communiqué de presse repris, paresseusement, photo comprise, par les médias, y compris ceux qui prétendent le plus au sérieux professionnel. Exemples, dans la presse économique italienne et américaine : Il Sole 24 Hore, The Wall Street Journal, etc.
Evidemment, plus que d'autres, je n'ai pas les moyens de vérifier ces données. Il faudrait disposer d'audits interprofessionnels, comme en fait effectuer une grande partie de la presse, rare exemple, dont elle ne se vante pas assez (allez donc chercher des données fiables concernant les divers abonnements en télévision, les membres des réseaux sociaux, les équipements divers, etc.). Bien sûr, un panel distributeur, du type GfK ou IPSOS, ne peut remplir ce rôle pour la distribution de produits numériques sur le Web. Faute d'audit, la statistique publiée par Amazon est sans valeur autre que d'être le symptôme de préoccupations de l'entreprise qui les fait circuler, gratuitement - avec la complicité de nombreux médias, dont cela n'arrange pas l'image. Quelles préoccupations ? L'avis d'analystes financiers, l'image de la marque, la concurrence...
Les données propagées par le service de presse d'Amazon portent sur le nombre de livres vendus et non sur le chiffre d'affaires. Que dit le nombre de livres ?
- Notons d'abord que, Amazon, comme d'autres distributeurs numériques, donne ou vend à très bas prix nombre d'ouvrages classiques en version numérique Kindle (que l'on peut lire sur plusieurs plateformes, iPad, android, iPhone, Mac, PC, etc.). Initiative louable qui augmente le nombre d'exemplaires distribués et peut s'apparenter, comptablement, à un investissement promotionnel.
- Comment sont pris en compte les livres prêtés (Kindle Book Lending program) ou les ouvrages de promotion (exemplaires de passe) ?
- Enfin, et surtout, parmi les livres vendus par Amazon, en exclusivité, il faut désormais compter les Kindle Singles.
Lancés en janvier 2011, les Kindle Singles sont définis comme des oeuvres brèves, un peu plus longues qu'un article de magazine (long-form journalism), un peu plus courtes que des petits livres. Beaucoup des essais publiés actuellement dans la collection semblent écrits par des journalistes ou apparentés. Le genre, difficile à délimiter, inclut des essais, des mémoires, des reportages, des nouvelles. Définition liminaire : "Compelling Ideas Expressed at Their Natural Length". Le genre est dit "naturel" alors que, comme tous les genres littéraires, il est construit (longueur, forme, sujet), objectivé par le cahier des charges et le contrat d'édition (digital self-publication and distribution program). Notons qu'il s'agit d'un format court, comme le Web semble les favoriser dans d'autres domaines (vidéo) ; ceci abaisse la barrière à l'entrée dans le "livre".
- Longueur : 5 000 à 30 000 mots, soit 30 à 50 pages
- Prix de vente :1 à 5 $
- Oeuvre absolument originale (ni presse, ni Web). Le risque de plagiat et de spam existe : la stratégie d'Amazon pouvant s'apparenter à celle de certains collecteurs de contenus ("content farms")
- Pas d'ouvrages de conseil (how-to) : cuisine, tourisme, loisirs créatifs, bricolage, etc. Pas de livres d'enfants, etc. Sans doute parce que ces ouvrages requièrent schémas, photo et couleur.
- Droits d'auteur : 70% pour les ouvrages vendus 2,99$ et moins. Participation de l'auteur aux frais de distribution. Paiement à la fin de chaque mois (pour plus de précision, voir l'"expérience" d'auteur relatée par Larry Dignan dans ZDNeT ou encore celle de Edward Jay Epstein dans the Atlantic wire)
- Exemple de Kindle Single, recension de Media Makeover.
Nous retiendrons surtout que
- le numérique est peut-être en train d'"inventer" un genre littéraire. Ce n'est que la première d'innovations littéraires qui, partant des contraintes des supports numériques, affectent voir définissent la forme des contenus publiés. Les tablettes, les rouleaux de papyrus et l'imprimerie aussi, en leur temps, ont produit des formes littéraires, dont nous avons hérité. Apple se met à son tour aux e-singles et vend des "Quick Reads" numériques à partir de 0,99$ (non-fiction) ; toutefois, Apple n'est pas (encore ?) éditeur. Penguin lance Penguin Shorts en Grande-Bretagne, fin 2011 (1,99 £).
- Amazon, de distributeur, devient éditeur. Les éditeurs papier lui imposent leurs prix, pour l'instant. Un jour, les éditeurs de livres papier pourraient bien venir acheter leurs droits chez Amazon.
N.B.
Sur le format dit "long-form journalism" voir :http://longform.org
Sur l'édition numérique de tels ouvrages : The Atavist, plateforme de publication d'ouvrages du genre "original nonfiction storytelling", qui sont repris en Kindle Singles.
Voir aussi, par exemple : la collection One Shot de StoryLabEdition ("shots littéraires de 30 à 40 minutes de lecture" pour 0,99€)
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2 commentaires:
Je pense effectivement que ces statistiques sont à prendre avec des pincettes, et que les Kindle Singles sont en (grande?) partie responsables de ces chiffres. La raison? Je connais une multitude de gens qui refusent de lire leurs livres sur une tablette - je fais même partie de ces gens. Une tablette, un iPhone, tout ce que vous voulez, ça fatigue quand même beaucoup plus les yeux qu'un ouvrage papier. Et même si je n'ai pas envie d'imaginer des scénarios catastrophes, la réalité est là: beaucoup de gens lisent leurs livres dans le métro pour passer le temps, et aucune personne normalement constituée ne lira un ouvrage sur son iPad dans le métro, à cause du risque de vol à l'arrachée tout simplement.
Les Kindle Singles sont un format qui se prête certes beaucoup mieux au numérique... aller à la librairie pour acheter un livre de 40 pages, ou même attendre 2 jours la livraison de ce même livre de 40 pages, paraît une perte de temps. Cependant cela n'enlève rien à l'inconfort général qu'est, à mon sens, la lecture des ouvrages sur tablette...
Les Kindle Singles sont pris en compte dans les chiffres présentés par Amazon. Je ne trouve pas que les Kindle Singles puissent être comparés à des livres. Par conséquent, je ne pense pas que les ventes des Kindle Singles puissent être comptabilisés comme des ventes de livres. En effet, Les Kindle Singles se rapprochent du contenu produit par les content farms. Il est vrai que par certains aspects ils peuvent s'apparenter à un livre (le fait qu'il y ait des droits d'auteur, ...). Malgré la ressemblance je pense que la vente de ces Kindle Singles ne devraient pas venir gonfler les chiffres (nombre de ventes de livres) de Amazon. En effet, du fait de sa nature, le Kindle Single n'est pas un livre mais bien de la création massive de contenu low cost (comme celui présent sur les fermes de contenu).
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