lundi 30 novembre 2020

Le numérique est capital, de plus en plus

 Capital, "Numérique. En tirer le meilleur sans se laisser dépasser", Hors Série, novembre - janvier 2021, 104 pages.

Le hors-série trimestriel de Capital consacré au numérique dresse un bilan, pour les consommateurs, des dernières avancées du numérique, pour le grand public. Les réseaux sociaux ouvrent le numéro et l'on y apprend, sans surprise, que Facebook serait le réseau qui respecte le moins la vie privée des utilisateurs. Linkedin, devenu récemment filiale de Microsoft, est concurrencé par Xing dans les pays germanophones d'Europe. Un article est consacré aux éboueurs du Web, toutes celles et ceux qui sont chargés de nettoyer les sites des mensonges qui les encombrent, en attendant - il faut rêver - que les algorithmes sachent faire ce travail. Avant d'évoquer les réseaux sociaux oubliés qui datent du début des années 2000 (Second Life, Myspace, etc.), un journaliste célèbre la désintoxication, lorsque l'on se sépare de Facebook et Twitter. Un article sur les sulfureuses bonnes idées d'Instagram met en garde des lecteurs trop naïfs...

Plus sérieuse que celle des donnés personnelles, se pose la question de l'application anti-covid qui a d'abord échoué pour mieux fonctionner ensuite avec TousAntiCovid, celle aussi de Doctolib qui a bien des difficultés et, plus encore, des sites de rencontre et de Alipay, "l'oeil de Pékin" : tout cela ne donne pas une idée très claire de la réussite possible de ces moyens. Mais on peut espérer !

Passons à l'emploi et surtout au télétravail. Le gain majeur attendu du télétravail est le temps gagné par les salariés dans les transports et un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle. Les nouveaux métiers du numérique sont nombreux et le magazine en répertorie près d'une vingtaine. Il signale aussi de futures licornes françaises qui vont devoir recruter. Mais au-delà de ces gagnants, il y a aussi "les forçats du clic", ceux qui accumulent les tâches répétitives pour des salaires de misère. Et les activités de défense des cybersoldats sont évoquées aussi, discrètement, par le Général de division aérienne qui les commande, et qui ne fait pas rêver, mais ce n'est pas son rôle. Pas sérieux, s'abstenir ! Et cela se termine par les emplois, ceux qui naîtront de la 5G, de la multiplication des robots, de l'intelligence artificielle, des e-sports, de la voiture connectée... Mais, attention, Internet est aussi le monde de la fraude, des escroqueries et des "fausses bonnes affaires".

Dans ce magazine, il y a un peu de publicité : pour une machine à café, Jura que parraine le champion de tennis Roger Federer, pour les robots de Kaspersky, pour un livre du Monde et de Géo sur les musées, pour Harvard Business Review, pour des livres ("thrillers"), pour une émission de radio et son magazine, pour la revue Géo Histoire et, en général, beaucoup de publicité auto-promotionnelle pour les produits de la régie publicitaire de Prisma.

Le menu est donc bien composé. Le magazine laisse entrevoir l'avenir que peut escompter le très grand public qui, armé de ce numéro spécial, va pouvoir se mettre dans l'ambiance et travailler pour trouver ses futurs métiers, et ses futurs loisirs aussi.

Le hors-série est trimestriel, c'est un rythme bien lent. Non ,



lundi 23 novembre 2020

S, un magazine "positif, inspirant, sans tabou". Diable !

 S. Le magazine de Sophie Davant, bimestriel, CMI Publishing, 3,8 €, 148p.

N'étant pas dans la cible, j'ai commencé par la faim / fin et les recettes de cheffe. Sophie Davant propose quatre recettes. La première est une de carpaccio de saumon, facile. La seconde des pâtes aux deux saumons, frais et fumé, avec des spaghettis. Pas très compliqué mais appétissant. Cela se complique avec un "magret de canard déglacé au miel" et on en mangera volontiers. Enfin, cela se termine par un "moelleux au chocolat encore coulant" qui doit être succulent. Bon pour une entrée dans le magazine, c'est sympa, clair, bien expliqué. "Plaisir assuré".

Sophie Davant, personnalité de la télévision grand public, "accessible et inspirante", mère de deux enfants, divorcée, bientôt soixante ans. L'ancienne de "Télé Matin" lance un magazine "positif, inspirant, sans tabou" (c'est son sous-titre). Directrice éditoriale, Sophie Davant y signe quelques articles ; j'ai aimé et retenu notamment :

  • l'interview de son amie, écrivain et journaliste, Katherine Pancol, "une femme libre" ; et la copine de balancer, sur le milieu littéraire : "un milieu, qui a couvert Matzneff pendant trente ans parce que c'est un homme, est difficile à respecter" (Gabriel Matzneff, auteur de Gallimard, est "visé par une enquête pour viols sur mineurs", Le Monde, 24 septembre 2020).
  • le conseil impératif qu'elle donne aux femmes : "être indépendante financièrement. Travailler à être soi à 100%", même si "tout est plus difficile quand on est une femme"...  
  • l'interview de Francis Cabrel, son rapport à la paternité et à sa femme : "il a fallu de la patience à mon épouse. Ca n'a pas dû être simple" (S.D. : "Elle vous l'a dit ? F.C. : "Elle me l'a dit" [Il rit]. 
  • les pages tourisme ("Evasion") qui vous mèneront "Du bassin d'Arcachon à la Normandie" : suivons le guide, et nous verrons.
Beaucoup de sujets que n'aborde guère la presse féminine. Et le magazine traite aussi de la brocante, de la décoration, d'avoir des cheveux blancs, d'avoir 50 ans ("le nouveau 20"), du style vestimentaire et du maquillage de Sophie Davant ; le magazine parle aussi de chirurgie esthétique, du deuil, du départ des enfants, des fêtes, des cadeaux, de la ménopause, de la permaculture et puis, encore de la déco, du recyclage, et puis...; et puis, eh! bien, c'est la fin : et nous revoilà à la cuisine. Il faut que j'essaie une de ces recettes : allons-y pour les pâtes aux deux saumons. Nous en reparlerons, bientôt !

Le groupe qui publie S est le groupe CMI (qui, en France, publie également Elle, Télé 7Jours, Art et Décoration). Le premier numéro comporte quelques pages de publicité : pour les pistaches, Orange, Intermarché, l'eau thermale, Tena, le Café de Paris (le vin), etc ; mais la publicité la plus discrète est celle que le magazine offre pour de nombreux objets et produits divers, des adresses...
Le magazine, un féminin classique, tient beaucoup dans ce premier numéro, par sa directrice éditoriale. Sa personnalité suffira t-elle à donner au titre de la durée ? Le numéro 2 est annoncé pour janvier.

dimanche 22 novembre 2020

Les comptes presque à l'équilibre du Canard et "la joyeuse débâcle de la presse"

 

Le Canard enchaîné publie ses comptes. Ils sont pour la première fois de sa déjà longue carrière, négatifs, de très peu. Bien sûr, il y a la responsabilité de l'épidémie du COVID, les grèves de l'année aussi et puis il y a, surtout, les comptes de Presstalis, la société responsable de la distribution de la presse qui a été placée en redressement judiciaire. Perte de plus de 3 millions pour le Canard... 
Alors, finalement, le Canard plongera dans le numérique, ce qui devrait permettre à ses lecteurs d'acheter leur journal en ligne. Enfin. Dommage pour les kiosquiers, qui sont là, souvent, COVID ou grève.

La presse française va très mal : Le Point, L'Equipe, L'Obs, Le Monde, L'Humanité, L'Express, Les Echos, Le Parisen, Libération ne vont pas bien, voire très mal. Ils réclament des aides à leurs lecteurs (leurs prix montent), mais surtout à ceux qui ne les lisent pas (l'Etat), à Google aussi... La presse de province ne va pas mieux.
Alors, la presse papier est-elle finie ? Le passage au numérique est inévitable ; mais il y aura de grandes difficultés, car la publicité ne suivra pas. Et l'impôt ?

Le Canard enchaîné, 18 novembre 2020, p. 4
Source : Le Canard enchaîné, 18 novembre 2020, p. 4


dimanche 15 novembre 2020

Le roman d'une génération lycéenne d'aujourd'hui ?

Francesca Serra, Elle a menti pour les ailes, Paris, Editions Anne Carrière, 2020, 470 p.

Voici un roman. Il est long, trop long à mon avis. Mais qu'importe mon avis ! Le roman se laisse lire et même, on le lit avec intérêt même si la fin est un peu lente et longue. Mais qu'importe, il faut le lire pour le début. Et, surtout, le lire pour l'ambiance...
Il y est question d'une jeune fille, sa mère est de prof de danse, dans une ville où l'on est passé, comme dans le reste de la France, "en trois générations, de la lecture hebdomadaire de la Bible à celle de la presse féminine". Tout le livre est dans ses descriptions. Description de la vie d'un lycée de province, portrait de quelques groupes de lycéennes et lycéens : "Elle retrouve l'event sur son appli Facebook et clique sur le lien Google Maps"... Ainsi va la vie quotidienne du lycée telle que la comptent les adolescents.

Le livre a obtenu un prix littéraire du quotidien Le Monde. 

"Et on a des images de tout maintenant. Dans notre poche, vingt quatre-heures sur vingt-quatre. La distance du cinéma, on l'a réduite à rien. Qui a encore besoin des stars pour fantasmer? N'importe quelle influenceuse de YouTube fait le job. Parce que c'est nous les images maintenant ! La télé, on n'était pas dedans : internet, on est passés de l'autre côté". Voilà les cultures de deux générations qui s'opposent, radicalement, la culture de la télévision et la culture d'internet (p. 218). Le livre se veut délibérément le livre de la génération internet et c'est une conversation au Commissariat qui énonce la réalité nouvelle. Bon. 

Ce livre veut mettre en évidence les nouvelles oppositions culturelles, celle des jeunes (YouTube, Facebook, Twitter, Instagram, Snapchat et autres) et celles des anciens, de la télévision, de l'administration du lycée, celles du Monde... En fait, l'opposition se trouve surtout dans les mots et ce sont les mots qui font le roman, "la grande machine à histoires" d'Internet. La génération de Garance (anagramme de "carnage" !), l'héroïne de 15 ans, très belle, est née avec internet et elle vit avec. Et l'auteur la regarde vivre, l'espionne. Une histoire presque mythologique qui se déroule à Ilarène ("île à reine", illa en latin, arène !), ville du bord de mer qui empreinte à l'Ajaccio de l'auteur.

Est-ce un bon livre ? Ou pas ? Imparfait, sans doute. Livre d'une génération, sûrement. Et à ce titre, un livre à lire.

L'auteur interviewée par France 3, octobre 2020 (YouTube)


dimanche 1 novembre 2020

Netflix, modes d'emploi et révolution culturelle dans l'entreprise

Reed Hastings, Erin Meyer, No Rules Rules. Netflix and the Culture of Reinvention, 2020, Penguin Random House, 320 p. , Bibliogr., Index

Cet ouvrage est en quelque sorte dialogué. D'une part, Reed Hastings P-DG et fondateur de Netflix en 1997 ; d'autre part, Erin Meyer, qui enseigne à l'INSEAD, en banlieue parisienne, dont elle a reçu un MBA en 2004. Elle est aussi l'auteur d'un livre intitulé "The Culture Map: Breaking Through the Invisible Boundaries of GlobalBusiness", publié en 2014. 

Il est rare que le patron d'un média prenne la parole, en détails, pour expliquer et justifier, la manière dont fonctionne son média. Le patron de Netflix explique ses choix et ceux de l'équipe qu'il a recrutée. Il expose donc ses erreurs, aussi. Le livre est par conséquent intéressant tant les remarques sur le fonctionnement de l'entreprise sont franches et peuvent être étendues à d'autres médias, notamment à ceux qui ne comptent pas sur la publicité pour vivre.

Netflix a commencé par la location de DVD via envoi postal (DVD by mail) avant de passer à l'abonnement en ligne, par téléchargements. Fin 2020 Netflix est devenue la première entreprise mondiale, diffusant et produisant des émissions et films de télévision. Comment, en moins de vingt ans, Netflix en est-elle arrivée à ce stade de la  réinvention permanente ? L'ouvrage passe en revue les raisons, et les moyens, de réussir.

  • En commençant par "talent density". Quand, dans l'entreprise, la densité des talents, des savoir-faire, est élevée, tout le monde dans l'entreprise en profite et, surtout les bons ("top performers") qui deviennent encore meilleurs car "la performance est contagieuse". C'est le point de départ, "the first dot", qui repose donc sur les "stunning colleagues" (impressionnants, doués).
  • Parler franchement, face à face ("Only say about someone what you will say to their face") est un moment décisif dans l'évolution de l'esprit de l'entreprise. Reed Hastings se fait l'avocat de la candeur, il faut donner un feedback qui ne blesse pas, et pour cela il recommande aux employés de dire au chef d'entreprise et aux cadres ce qu'ils (elles) pensent : "it's when employees begin providing truthful feedback to their leaders that the big benefits of candor really take off" et c'est la réception de ces critiques qui fait l'ambiance d'une entreprise (d'où l'importance des "belonging cues", les justes réponses des victimes à la franchise des critiques exprimées). Ce qui accroît encore l'importance de "Preach feedback anywhere, anytime" et de sa conséquence : "Get rid of jerks as you instill a culture of candor". Netflix n'a pas besoin de leaders excentriques ("brilliant jerks").
  • "Remove vacation policy", cet énoncé qui établit la totale liberté des vacances est la conséquence de "in the information age, what matters is what you achieve, not how many hours you clock", déclare Reed Hastings qui précise n'avoir jamais prêté attention au nombre d'heures de travail de ses employés. Ensuite, la logique veut que les notes de dépense et de frais de voyages disparaissent également. C'est une culture de frugalité et de bon sens : "Spend company money as if it were your own" qui deviendra plutôt "Act in Netflix's best interest". 
  • "Bonuses are bad for flexibility" : le bonus n'encourage pas le changement, il nuit à l'évolution de l'entreprise ; cela suit l'idée du "rock-star principle" (il faut recruter d'abord celles et ceux qui inventent, résolvent les problèmes rapidement). Il s'en suit qu'une culture de transparence demande d'en finir avec les bureaux fermés, avec les assistant(e)s qui montent la garde à l'entrée. Il faut ouvrir les livres de compte aux employés, et leur apprendre à lire un P&L (document qui analyse les pertes et profits d'une opération).

Et l'ouvrage se poursuit ainsi : "ne pas chercher à plaire à votre patron". Chercher ce qui est le meilleur pour votre entreprise. Prendre en compte tous les éléments nécessaires pour une décision. La densité des talents est la première des qualités d'une entreprise ; le reste suit, logiquement. Ainsi, le cycle d'innovation commence par la recherche systématique des désapprobations, des divergences ("farming for dissent") : il faut écouter les désaccords et "prendre la température" de l'entreprise (cette idée est née de l'échec cuisant de Qwikster, l'entreprise qui devait gérer les DVD tandis que le streaming l'était par Netflix). L'objectif n'est pas le consensus souvent trop mou mais la bonne décision. "What matters is moving quickly and learning what we're doing". L'essentiel est d'aller vite, et d'apprendre ! L'erreur est banale : "First if you take a bet and it fails, Reed will ask you what you learned. Second, if you try out something big and it doesn't work out, nobody will scream and you won't lose your job."

Virer un bon employé pour en recruter un meilleur ? "Firing a good employee when you think you can get a great one". Aussi la famille n'est-elle pas une bonne comparaison pour penser une excellente entreprise ; l'équipe sportive, compétitive semble une meilleure métaphore.

Quelle est la structure optimale d'une entreprise ? Pour Netflix, elle a déjà changé depuis la publication du livre, mais l'idée essentielle reste que, pour réussir, Netflix doit devenir une machine à apprendre internationale ("international learning machine"), sa forme générale évoquant plus l'arbre avec tronc, racines et branches principales que la pyramide. "Leading with context" serait le principe de la cartographie, de l'organisation générale, à condition que la "densité des talents" le permette.

Tout décider en moins de trente minutes, et surtout "Talk, talk, talk". Avec la vitesse, tel est le principe fondamental du travail international. L'erreur majeure : "it's failing to attract top talent, to invent new products, or to change direction quickly when the environment shifts" et Reed Hastings insiste, c'est plus du jazz que de la musique classique, "Leave the conductor and the sheet music behind. Build a jazz band instead". Donc une culture d'improvisation et de franchise dans un ensemble qui sait où il va.

Ce livre donne des idées pour la gestion des entreprises, des idées essentielles, pour que l'innovation soit continue. Trois points paraissent particulièrement importants : tout d'abord le talent et la vitesse d'exécution et puis communiquer sans cesse dans l'entreprise. Plus que des stratégies, ce livre donne des principes pour une culture d'entreprise vivante. La vraie révolution culturelle dans l'entreprise doit être une "réinvention" permanente.