lundi 27 décembre 2021

Héritocratie ? Peut-être. Si rien ne change...

Paul Pasquali,  Héritocratie. Les élites, les grandes écoles et les mésaventures du mérite (1870-2020),  Editions La Découverte, 2021, 308 p.

Alors, quoi de neuf depuis Les Héritiers de Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron (1964) ? Qu'est-ce qu'un demi-siècle a changé dans le rôle des grandes écoles en France ? C'est un livre d'histoire(s) que propose Paul Pasquali, l'histoire d'écoles, plus ou moins grandes, qui réagissent à des réformes, des ambitions politiques, qui sont défendues et parfois attaquées par leurs anciens élèves.

Ce livre s'en prend à la méritocratie et lui donne un nouveau nom : l'héritocratie ; l'ascenseur social est donc toujours en panne. Les pannes sont multiples et changent mais elles semblent faire en sorte que l'ensemble fonctionne plutôt bien. Les pannes et leur dénonciation font donc partie du système. D'ailleurs l'auteur lui même, en conclusion, ne sait trop que faire pour remplacer ou réparer le système actuel et se contente finalement de "proposer une alternative réaliste à l'héritocratie" dont il a suivi minutieusement les étapes de la domination en France durant un siècle et demi. 

De la Troisième à la Cinquième République, on voit ainsi se multiplier et se succéder les réformes : le plan Langevin-Wallon achevé en 1947, La Réussite sociale en France (Alain Girard, de l'INED) publiée en 1961. Et les réformes se poursuivent et se succèdent : ,Jean Berthoin (en 1959), Jean Capelle en 1963, la Commission Boulloche (1959), la Réforme Fouchet (balayée par 1968). En 1964, Les Héritiers Les étudiants et la culture (1964), travail de normaliens (!), annoncent une bataille qui n'aura finalement pas lieu. Enfin, la loi Edgar Faure (1968), relativement consensuelle, ignora tout simplement les grandes écoles. Et l'histoire se poursuit et repart ainsi, avec Sciences Po (qui relève sérieusement ses exigences  scolaires) et diverses réformes plus ou moins réformatrices, y compris pour les grands lycées (Henri IV, Louis le Grand, etc.), l'ENA ou la première année de médecine (avis du Conseil d'Etat du 13 février 2019). Mais à Polytechnique, 92% des élèves sont issus des classes sociales supérieures. Donc, tout va toujours bien.

En conclusion, l'auteur estime que l'héritocratie française a les reins solides et qu'elle a même gagné du terrain depuis les années 1980. Dauphine et Sciences Po ont ainsi bénéficié du statut de grand établissement... tandis que l'on évoque couramment la réforme de l'ENA. Faut-il mettre à jour Les Héritiers et relancer le débat ? Sans doute : une analyse indiscutable serait bienvenue. En attendant, "la multitude n'hésite plus à vociférer", signale Paul Pasquali, qui rêve qu'elle soit entendue.


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