dimanche 28 février 2010

Marketing de l'innovation et discours d'accompagnement

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 iPad, nouvel appareil de Apple : la tablette future, positionnée par les constructeurs entre le smartphone et l'ordinateur portable ("establish a third category of products") suscite des milliers de commentaires bien avant d'être commercialisée (trois mois avant ?). A peine a-t-on aperçu l'iPad en photo que la spéculation commence à propos de ses utilisations et même sur le secours qu'il apporterait à la presse, celle-ci contribuant par son faire-valoir. Tout cela est bon pour le cours des actions des uns et des autres. La Pythie numérique rend ses oracles en Californie : auto-célébration, qualificatifs dithyrambiques des petits prophètes accrédités, communiqués de presse, tout cela propagé par des "journalistes" ébaubis, des automates de veille...  Superbe opération de communication ! L'innovation numérique, comme l'acrobatie au cirque, demande autant d'énergie pour vaincre la difficulté que pour faire courir le bruit que cette difficulté va être vaincue : la conférence de presse - que l'on convoque - recourt aux mêmes artifices que "les crieurs [qui] en trois roulements de tambour, // Font autour des édits rire et gronder les foules" (A. Rimbaud).

L'histoire des vingt dernières années en marketing des équipements nouveaux a déjà instruit le procès de ce marketing oraculaire. Relevant du même genre rhétorique que les business plans tirés sur la comète, les "discours d'accompagnement" énoncent la nécessité, l'inévitabilité de la modernité, toujours prêts à battre les matins numériques pour les obliger à chanter. Le tout avec un zeste de culte de la personnalité...

Qu'a-t-on appris en marketing dans le domaine de l'innovation pour le grand public ?
  • Qu'il n'est pas possible d'assurer, avant mise sur le marché, des tests d'usages à grande échelle garantissant quoi que ce soit des comportements d'achat et des usages à venir du grand public . 
  • Toute enquête plus ou moins déclarative entraîne des biais formidables compromettant toute conclusion quant aux comportements d'achat et aux usages futurs. De plus, qui serait prêt à entendre des conclusions défavorables alors que des investissements ont déjà été engagés ? L'innovation gère mal la marche arrière et la "rectification" des erreurs.
  • Que l'on ne peut guère anticiper l'avenir d'un produit à partir des comportements des premiers utilisateurs, souvent différents des acheteurs grand public. 
Sandrine Medioni a montré l'effet trompeur des discours d'accompagnement à finalité politique, économique, sur l'économie de l'innovation. Dans sa recherche, il s'agissait de télévision interactive via Internet mais ce qu'elle a montré dans sa thèse peut être étendu à tout équipement grand public au prix élevé.
La seule expérimentation fiable commence avec l'équipement réel du grand public, au-delà des tout premiers acheteurs. Et ce n'est plus une expérimentation. Le marché des biens d'équipement n'a de modèles qu'après coup. Il se trouve aux antipodes du crowd sourcing et de la soi-disant sagesse marketing des foules.
Ce marché ne peut partir que d'une certitude non démontrable a priori, d'une intuition du marché fondée en expérience (educated guess). Dans ces conditions, le risque est inévitable, se tromper est raisonnable. C'est le prix de l'innovation. Et l'on pense à Steve Jobs : "It's really hard to design products by focus groups. A lot of times, people don't know what they want until you show it to them", BusinessWeek, May 25 1998.

Références 
Sandrine Medioni, "Désir d'interactivité des consommateurs : une application aux téléspectateurs", 2009. Thèse consultable à la bibliothèque de recherche de l'Université Paris Dauphine.

Plus généralement, sur le discours d'accompagnement de la modernité :
François Chevaldonné, "Discours sur la modernité et communication inégale : un siècle d'audiovisuel en Algérie (1895-1995), Tiers-Monde, 1986, Vol. 37, N°146.

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Lire le blog en entier, pretty good

Sandrine Medioni a dit…

Il semble, en effet, que l'Ipad compte sur l'effet d'annonce qui a fonctionné pour l'Iphone. Ici, les produits sont bien différents.
Pour tous les auteurs qui veulent faire partie des "discours d'accompagnement" des nouvelles technologies (cf. les travaux de Josiane Jouet ou Philippe Breton), il serait inconvenant de mettre en doute un tel produit. Il est de bon ton d'affirmer que nous sommes en présence d'une merveille technologique (d'autant plus qu'il s'agit d'Apple ici). Or, l'Ipad peut aussi connaître un échec, du simple fait qu'il est peut-être trop grand pour être mobile et nécessite plus de manipulations qu'un ordinateur avec touch pad. Et comment faire subventionner un tel produit par les opérateurs?

griffoul a dit…

Pour avoir vu le Keynote de Steve Jobs, et donc la présentation du soi disant nouveau bijou d'Apple, je pense que cela sera un échec cuisant pour la marque à la pomme.

La raison ? Apple ne voit pas que son produit n'a pas de marché. Ils cherchent à vendre un produit qui n'aucune valeur ajoutée. ( et qui ne peut par conséquent pas, en créer un). C'est un ordinateur tactile, ainsi qu'un reader.

Personne n'achètera un produit qui n'offre aucune nouvelle fonction.

Steve Ressaisis toi!