mercredi 3 février 2010

Temps de travail et durée média

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L'INSEE évalue la durée annuelle moyenne du travail dans les pays développés ("Soixante ans de réduction du temps de travail dans le monde" (Gérard Bouvier, Fatoumata Dial, janvier 2010). Cette durée baisse sous l'effet des revendications et de leur traduction législative et réglementaire ; mais elle est d'abord l'effet du développement du salariat : entre 1950 et 2007, la durée du travail est passée en France de 2 230 à 1 559 heures, avec 17% de la population active à temps partiel et 91% de salariés.

Alors, plus de temps pour les médias ?
Pas si simple. Pour les médias de grande consommation, l'évolution du temps libre est plus significative que la durée travaillée. Car, plutôt que le temps de travail (qui est aussi le temps payé), importe le temps contraint. En effet, si le temps de travail légal baisse, le temps lié au travail, ou comme le formulèrent les économistes au 19ème siècle, le temps nécessaire à la reproduction de la force de travail, ne tend pas du tout à diminuer.
  • Le temps de transport (cf. l'étude de l'INSEE de juillet 2009 sur "la mobilité quotidienne des habitants" par Jean-Paul Hubert) augmente hors des centres villes : effet d'un urbanisme qui entraîne l'éloignement du lieu de travail, des commerces courants, des services (santé, administration). 
    • S'y ajoute le temps des transports scolaires (particulièrement importants à la campagne. Cf. Chantal Brutel, L'attractivité des villes étudiantes et des pôles d'activité, INSEE, janvier 2010). Transporter les enfants d'un lieu à un autre : plus les parents travaillent, plus ils doivent gérer la "garde" d'enfants (centres de loisirs, crêches, activités péri-scolaires, etc.). Ceci accroît la tension sur le temps "libre". 
    • La domination sociale se paie en distance spaciale. En réaction, les salariés développent une sorte de remembrement des temps de leur journée, réduire la durée des déplacements en diminuant leur nombre, journée continue, déjeuner au bureau, etc.
  • Aux transports s'ajoute le travail au domicile, qui n'est pas toujours appelé "travail", ni perçu comme tel : soin des enfants, bricolage, loisirs créatifs, gestion du foyer. Souvent, il occupe le temps gagné avec le "temps partiel", les 35 heures, etc.
Du point de vue des consommations média, comment estimer les conséquences de cette évolution du temps contraint ?
  • Le temps de transport est souvent un temps qu'accompagnent des médias traditionnels : affichage, radio, presse gratuite. Le temps de transport profite de plus en plus aux nouveaux équipements numériques, personnels et portables (iPod, iPhone, consoles de jeux portables, téléphonie, Internet mobile, etc.), collectifs (écrans du digital signage). 
  • Travailler prend de plus en plus de temps. En conséquence, l'augmentation du temps disponible pour les médias provient surtout de consommations média secondaires, activités d'accompagnement, parfois non choisies. L'allongement global des consommations média est lié à une densification du temps d'activité, à une culture intensive du temps :
    • aux médias multi-tâches : téléphoner, jouer, regarder un film, médias de la mobilité
    • à l'environnement publicitaire des déplacements, métro, bus, trains, ascenseurs, aéroports : affichages, radio, digital signage
    • aux médias consommés sur le lieu de travail : réseaux sociaux, shopping en ligne, musique
    • aux lieux d'attente (wait marketing) : médecins, coiffeurs, bureaux de poste, banques, caisse d'hypermarché, de pharmacies
    • à l'environnement publicitaire des lieux commerciaux : digital signage, in-store media, etc.
    • aux activités média simultanées : regarder la télé en lisant le magazine ou le guide de programmes (IPG) en faisant son courrier électronique ou en téléphonant (en altérant l'un des médias : plus de son, etc.)
    • aux activités multitâche pendant le travail domestique : baladeur, pendant le ménage, radio, télévision à la cuisine, etc.
    • à l'accompagnement des activités scolaires : radio, MSN, SMS, Facebook, iTunes...
En conclusion, si le temps média global augmente, le temps média pur, choisi, 100% passion, n'évolue sans doute pas selon un même rythme. La distribution de l'attention change, ramenant la durée sur le devant de la scène plutôt que le temps, trop souvent réduit à de l'espace (cf. Henri Bergson).
Mais ce sont là qu'intuitions, difficiles à estimer. La vie quotidienne ne se résout pas en feuille de temps, il y manque des observations ethnographiques (la consommation de médias dans les transports en commun, par exemple), des démarches de type introspectif aussi (pour saisir le temps vécu, la "conscience interne du temps" et non seulement celle, externe, des agendas ; pour saisir les préoccupations, et non seulement les occupations). Tout cela serait à combiner avec des observations passives, rigoureuses.
Passer du temps des horloges aux durées vécues réclame des approches nouvelles, les appareils numériques peuvent y contribuer.
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2 commentaires:

Alain a dit…

Plus de temps de transport, moins de durée de travail. Travailler prend-il vraiment plus de temps?

Raluca Mocanu a dit…

Au troisième millénaire, l'individu oscille entre les occupations et les préoccupations, les deux sous l'empire de l'horloge. La vie quotidienne a beaucoup changé, le rythme de vie et plus alerte, les gens sont plutôt préoccupés et cela les fait très occupés en fait.
Le temps de travail tend à baisser en raison de différentes raisons objectives, mais la durée consacrée à la reproduction de la force de travail ne diminue pas. Je pense que la raison c'est précisément le fait que les jeunes générations ont plus de préoccupations que leurs parents et surtout que leurs grand parents. Les nouvelles technologies les offrent toujours de choses à faire. On y ajout la vie urbaine dans des agglomérations fatigants, les entreprises multinationales avec des bureaux de centaines d’étages et puis voila pourquoi on devient parents vers l'age de 40 ans.
Selon moi, les gens consument beaucoup de médias dans nos jours, car ils consument pendant tous les moments de la journée. Plusieurs éléments influencent sur le temps consacré aux médias: le temps du transport au travail, du transport scolaire, etc. Partout dans les bus, métros, trains, on voit les gens avec leurs tablettes en lisant ou avec des casques en écoutant le radio ou de la musique.
Les médias sont consommées selon l'endroit où les gens se trouvent: le lieu de travail pour la recherche sur Internet, les lieux commerciaux où ils font face à des milliers des panneaux publicitaires, le travail domestique, les activités scolaires, etc. Entre les occupations et les préoccupations, l'horloge classique et l'appareil numérique, l'homme mène sa vie.