mercredi 3 novembre 2010

Publiphiles et publiphobes

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Ah! ces petits mots grecs, si commodes, tellement flous en français ! Un sondage établit que la publiphobie augmenterait. A première lecture, l'affirmation semble claire. Pourtant, comment interpréter cette horreur, cette crainte de la publicité ? Etrange maladie.
D'abord, à quelles conditions un consommateur "aime"-t-il la publicité "en général" ? La question "générale" est bizarre, car elle ne se pose guère... que dans les sondages. Voyons plutôt quand, à quelle occasion notre consommateur "aime" un message publicitaire particulier ? Il "aime"(philein, φιλεῖν) ce message s'il lui est utile (information commerciale tombant à point, exploitable à court ou moyen terme) ou / et agréable (humour, rêverie, curiosité, etc.). Si le ciblage est bien conduit, si le message atteint le "bon" consommateur, au "bon" moment, alors ce consommateur est, à l'occasion de ce message, publiphile sans le savoir, sans même s'interroger car il ne se pose pas ce genre de question. En cas contraire, il sera, pour l'occasion, publiphobe, sans le savoir, pour la même raison. Il est raisonnable de ne pas aimer, de ne pas rechercher la publicité dont on n'est pas la cible.
Un même consommateur passera donc, tour à tour, en quelques instants, au gré des rencontres publicitaires, pratiquement, de la publiphobie à la publiphilie. Le temps d'un écran pub à la télé, d'un site sur Internet, d'un couloir dans le métro.

Cette opinion publique n'est que le produit d'un sondage. Qui n'est pas sondé n'a pas d'opinion sur le sujet. Mais qui donc accepte d'être sondé ? De qui le sondé est-il représentatif ? Son opinion est la réponse à une interrogation simplificatrice : questions fermées (type cafetaria : choix limités et exclusifs). Sa réponse est pré-formatée. C'est une déclaration dans l'air du temps, conforme sans doute à ce que le sondé croit que le sondeur attend (causalité du probable) ?
Poser de telles questions, hors contexte, abstraitement, c'est imposer à des consommateurs des questions qu'ils ne se posent pas, c'est inventer pour eux des positions "théoriques" à "prendre". La publiphobie, la publiphilie, n'existent pas. Ce sont des inventions, des artéfacts de sondage, et des maronniers.
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2 commentaires:

Noémie Rossier a dit…

A mon avis, ce genre de sondage sont effectivement un peu infondés, puisqu'on remarque que les consommateurs apprécient la publicité quand ils ne la "ressentent" pas en tant que telle. Selon des études, la publicité est beaucoup plus efficace lorsqu'elle correspond à un intérêt (ciblage), qu'elle parait comme un divertissement (la publicité sous forme d'expériences/d'atmosphère par exemple) ou lorsqu'elle est compatible avec le contexte. Selon la recherche de Choi et Rifon (2002), les publicités internet ont une meilleures efficacité sur l'attitude des consommateurs envers la marque si elles correspondent au contenu du site internet.
Selon moi, on irrite les individus avec les tonnes de messages publicitaires qui les sollicitent tous les jours (surtout si la publicité n'est pas voulue ou qu'elle ne nous concerne pas). En demandant aux consommateurs, par les sondages, de se focaliser sur une publicité, je pense qu'on les prédispose déjà mal, et que quelque part on les rend publiphobes...

Anonyme a dit…

Ce qui nous renvoie à l’ouvrage classique de Bourdieu, L’Opinion Publique n’existe pas, avec les trois postulats des sondages d’opinion (tout le monde a un avis, tout les avis se valent et il existe un consensus autour des questions à poser). La grande question à mon avis sur les sondages via internet est la rémunération des sondés proposé sur certains sites spécialisés qui fausse totalement les résultats et peut peut être laissé penser des mutations dans le domaine des sondages d'opinion pour les prochaines années.
Par ailleurs concernant l « Opinion publique » des français vis-à-vis de la publicité, je suis tombé il y a un mois sur ceci : http://marqueting.fr/2012/10/73-des-francais-jugent-la-publicite-utile-etou-agreable/
A noter concernant les sondages une expression sympathique d’un ancien professeur de science politique que j’avais eu, très connu pour sa virulence contre les sondages d’opinion et leur excès abusif d’utilisation au sein de l’ancien gouvernement (qui lui a valu un procès...) : « Si les sondages sont une photographie à un instant T de l’Opinion Publique, de même alors il y a forcément un angle ».