Les Millennials sont une catégorie socio-démographique forgée aux Etats-Unis pour désigner la génération venant après la "Gen X", celle des personnes nées après les années 1960. La génération des Millennials sera dite aussi "génération Y". On parle même de "Millennialization of America". Cette notion, d'apparence arbitraire, issue du journalisme et du marketing américains, peut-elle rendre compte de la situation socio-culturelle française ou, de manière plus pratique, être utilisée pour le ciblage publicitaire ?
Prenons 1990 comme point de repère, comme date de naissance des Millennials. Plus d'un quart de siècle, plus d'un quart de la population française, les millennials représentent une vingtaine de millions de personnes (INSEE, 2015).
Millenials, magazine français lancé en juin 2017 bimestriel, "une nouvelle génération" (4,9€) |
Qu'est-ce qui distingue les Millennials des gérérations précédentes quant aux médias ? Leur équipement technologique personnel et son usage constant.
"Millennials have been shaped by technology", souligne le rapport des conseillers économiques de la Maison Blanche sur les Millennials (octobre 2014). Génération qui a grandi avec le Web, qui fut adolescente avec le smartphone et les réseaux sociaux, c'est la première génération de la communication mobile : pour les Millennials, le smartphone est un prolongement d'eux-mêmes, une extension de leurs mains, de leur cerveau. Littéralement incorporé, ils s'en servent partout, tout le temps, au-delà de toute restriction, illico texto ; ils savent tout le monde sur le bout du doigt et d'un clavier, l'écouteur sur les oreilles.
Habitus numérique ? Les Millennials font preuve d'une dextérité croissante avec les outils et services issus de la technologie et de l'intelligence artificielle (tech savvy) : recherche, automatisation, commande vocale, dextérité inculquée et renforcée depuis l'enfance par le jeu vidéo.
Pour les plus âgés, le mobile n'est souvent qu'un outil distinct de plus, pas un prolongement intégré. Quant à la smartwatch, elle n'est encore que la répétition, l'extension du smartphone.
Synesthésies, "Correspondances" numériques ? Progressivement, tous les sens sont touchés : après l'ouïe, l'écoute, la vue est façonnée par des médias moins linéaires, elle intègre l'image de soi (Go-Pro, selfie, FaceTime HD), les photos qui bougent, intègrant le moment d'avant et le moment d'après (Live Photo). Le smartphone et la montre intègrent le toucher : gestes multi-touch, le 3D Touch, pression tactile, vibrations du moteur haptique (Peek and Pop, Quick action), etc. Emoticônes, smileys, emoji : "forêt de symboles"...
Photographie et vidéo affectent l'économie de la "présentation de soi dans la vie quotidienne" et des "rituels d'interaction"(Erwing Goffman) : selfies, exposition visuelle continue de soi mise en scène dans des réseaux sociaux. Dans la communication, l'image remplace souvent le texte, l'enrichit, en tout cas ; d'où l'importance croissante de la reconnaissance automatique d'images et de la recherche visuelle, visual search. Comment trouver et se retrouver parmi les 2 milliards de photos mises en ligne chaque jour ?
Les médias de la mobilité rendent le temps et espace de plus en plus "liquides". Ils malmènent les distinctions strictes entre les lieux, entre les horaires : lieu de travail /domicile, semaine / week-end, jour / nuit, etc. comme en témoigne la confusion des équipements (BYOD).Photographie et vidéo affectent l'économie de la "présentation de soi dans la vie quotidienne" et des "rituels d'interaction"(Erwing Goffman) : selfies, exposition visuelle continue de soi mise en scène dans des réseaux sociaux. Dans la communication, l'image remplace souvent le texte, l'enrichit, en tout cas ; d'où l'importance croissante de la reconnaissance automatique d'images et de la recherche visuelle, visual search. Comment trouver et se retrouver parmi les 2 milliards de photos mises en ligne chaque jour ?
Quelques autres aspects de la culture média des Millennials
- La télévision est noyée ou au moins dissoute dans les pratiques numériques. Le téléviseur familiale n'est plus à l'horizon de la journée de cette génération. Si certaines émissions ont gardé beaucoup importance, elles sont vécues dans des contextes différents (multitasking) : ni chaîne, ni grille ! Emissions à horaires variables, en différé, sur des supports mobiles. Génération de YouTube, avec les mcn et le streaming illégal, qui devient adulte avec Netflix... et quitte le câble (cord cutters) : 67% des 18-29 ans américains sont abonnés à Netflix (source : Morning Consult, 2017).
Time sur un linéaire de magazines américains, 18 octobre 2015
- Méfiance prophylactique à l'égard des entreprises du numérique (vols de données, protection de la vie privée, adblocking). Inconséquence ou simple droit de se contredire ?
- Relations de plus en plus espacées avec les supports papier (livre, presse, dictionnaire, etc.). Pour les Millennials, tout média doit être mobile, publié sur écran, synchronise. Seul résistent encore les manuels scolaires et universitaires, de moins en moins, pour combien de temps ?
- La communication mobile a bousculé et sans doute réduit la socialisation spaciale des Millennials. Le point de vente, la salle de cours, les transports, la rue même sont affectés. Multitasking ?
- Productivité professionelle et personnelle passent par des outils numériques (calendriers, listes, courrier, domotique, calculs, téléphonie, dictionnaires, plans des transports, fax, organisation des voyages, cartes, commerce, réservations, etc.). Toutes ces pratiques se combinent, se cumulent, se renforcent mutuellement (transferts d'ergonomie, habitus) formant une carapace sensorielle et intellectuelle intégrée.
Quelle est la valeur explicative de la notion de génération comparée à celle, plus courante, d'âge ? Une génération peut être décrite comme l'intégrale d'expériences et d'inculcations communes, de différences communes, elle survit à l'âge et, comme l'enfance, "nous suit dans tous les temps de la vie". L'âge est dans la synchronie, la génération dans la diachronie (cohorte). Peut-on parler d'une identité générationelle ? Pourtant, la plupart des Millennials américains ne se reconnaissent pas comme tels (cf. "Most Millennials Resist the ‘Millennial’ Label", Pew Research Center, Sept. 5, 2015).
Dans tout ce post, beaucoup d'intuition, de déclarations, d'évidences. Peu de données, de faits, de démonstration. Alors, à quoi sert la notion de Millennials ? Peut-on l'opérationaliser ? Que peuvent apporter les data ?
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