dimanche 30 novembre 2008

La tentation du papier


La pente de la presse, récemment, c'est de passer au numérique, corps et biens. Sans trop savoir : oeuvre de Panurge ? Suivre sa pente, pourvu que ce soit en la remontant, recommandait un héros de Gide. Nonfiction.fr suit cette maxime ; c'est un site consacré aux ouvrages récemment publiés : sciences sociales ou humaines, art, philosophie. Tout sauf la fiction ? Presque, car le site ne couvre ni le jardinage, ni le bricolage, ni la cuisine, ni la santé, ni les loisirs créatifs ou numériques. Qui comptent pour une part importante du chiffre d'affaires de l'édition.

Ce titre en ligne, pour son premier anniversaire, s'offre une version papier dans les points de vente (20 000 exemplaires, selon les MLP qui le distribuent. N.B. : sans loi Bichet, il serait mort né). Cet éditeur fait à rebours le chemin de ses concurrents qui commencèrent leur vie dans le papier, pour passer, non sans mal, sur Internet. Rythme trimestriel ; en ligne, il est quotidien, 4,9 € le numéro. Quadri, bon grammage, 100 pages, agréable à feuilleter et à lire. Belle maquette.
Le contenu ? L'objectif de donner envie de lire, d'éveiller la curiosité, d'informer de la parution de nouveaux ouvrages est partiellement atteint. A mon avis, trop de politique politicienne (on a déjà tout entendu, jusqu'à la nausée), impression parfois de communiqués de presse des "piètres penseurs", toujours les mêmes... On attend d'un tel magazine un positionnement plus rare, moins "microcosme", pas news du tout, différenciant... Exemple, la place exceptionnellement raisonnable accordée à la Chine (3 articles), à François Jullien et Anne Cheng (mais on aimerait aller plus loin). 

Peu d'annonceurs pour ce premier numéro : Allocine en quatre de couv, Radio France en 3 (pour les émissions sur les livres), les Editions du Félin en 2 ; à l'intérieur, quelques publicités pour une librairie (Mollat, Bordeaux, le magazine L'Histoire, evene.fr, un site sur l'art, Philosophie Magazine, donc des annonceurs captifs, principalement. Médiaplanning tautologique, conservateur par défaut. Quand même, ni Amazon, ni Gallimard, ni Hachette, ni chapitre.com ... Espace mal vendu ou mal acheté ? Pourtant, c'est dans une revue comme celle-ci que la publicité devrait évoquer les automobiles, les parfums, les montres, les vacances, les ordinateurs ... Evidemment, si l'on ne conçoit les plans médias qu'à partir des données en "bécanes" (AEPM ou OJD) dans les agences média, aucune chance. Car un titre nouveau n'y est pas, restant invisible aux repèrages du marché, aux médiaplanners... En revanche, on apprendrait du site Internet et de ses analytiques (mais je doute que Google Analytics y suffise) ... Associer la régie du papier à celle du site ? Pourquoi pas, même combat de l'affinité, de la long tail ? Transferts d'outils. A étudier ...

600 "rédacteurs", annonce le magazine pour le site. Quel est leur statut ? Journalistes ? "Jeunes chercheurs, journalistes, militants politiques, syndicaux et associatifs et créateurs de sites Internet" dit la présentation au-dessus de l'ours. On n'est pas loin d'une sorte de crowd sourcing restreint... Intéressant.

Alors que les grands prédicants déclarent la presse papier condamnée, le mouvement à rebours de NonFiction.fr suscite l'intérêt. Tentation du modèle mixte ? Oracom prend des riques : pourquoi pas ? Spécialisé dans la presse des télécoms et du numérique (plus d'une douzaine de titres), l'éditeur a l'habitude des esssais et erreurs ... Voici une contribution en acte aux Etats généraux de la presse écrite !

Même si l'on redoute une diminution des ventes de livres et le basculement éventuel des lectures sur suppports électroniques, le modèle économique mixte attire les magazines consacrés aux livres, chacun visant son segment particulier : la non-fiction"l'actualité par les livres du monde" (Books Mag), les romans (Service Littéraire, "le magazine des écrivains fait par les écrivains" consacré aux romans et qui se veut un "Canard Enchaîné culturel") ... pour ne citer que les très récents. 

En suivant ces innovations hardies, à contre-courant, on pense à cette remarque de Stendhal dans Le Rouge et le Noir (II, XI), digne de Mandelbrot : "Quelle est la grande action qui ne soit pas un extrême au moment où on l'entreprend ? C'est quand elle est accomplie qu'elle semble possible aux êtres du commun." En gestion, seul le réalisé prouve le possible ; le non réalisé ne prouve rien, et surout pas l'impossible. Donc, suivons l'avenir de cette initiative.

samedi 22 novembre 2008

Le stade s'habille en numérique : "Field of Dreams" ?


Le stade des Yankees à New York (53 000 places) investit 17 millions de dollars avec Cisco afin d'être à l'heure numérique pour la prochaine saison de baseball (MLB, avril 2009). Les travaux sont en cours.
  • 1 100 écrans HD seront installés ("fan-facing technology"), omniprésents dans tout l'univers du stade, le Yankee Museum, les restaurants, les bars, les boutiques diverses ("concessions stands"), les toilettes, les travées. Chaque écran pourra être programmé individuellement : statistiques sportives, informations sur la circulation, échauffements de l'équipe, météo, alertes en cas de danger (évacuation, etc.), indications pratiques, adaptées à l'emplacement de chaque écran, etc.
  • Le Wi-fi haut débit sera accessible partout pour servir les équipements des visiteurs (smart-phones, Net Pc) et leur donner accès aux boutiques du stade, recevoir les grands titres, s'abandonner à quelque "réseau social" spécialisé (MLB, baseball, fans de l'équipe) ... 
  • Un système de téléconférence (TelePresence) pour communiquer avec les fans. 
  • Des ordinateurs avec écrans tactiles dans les vestiaires des joueurs. 
Le jeu repris sous tous les angles, multiplié, partout, en direct et en bref différé. Rève d'Argus aux cent yeux, tout voir (panoptique) et revoir (Aργος Πανόπτης). Tout ceci est en phase avec une politique de présence systématique du baseball sur les médias mobiles : bientôt les Yankees seront sur tous les téléphones : fantasy games, scores, brêves, réseau social, etc.

Cisco StadiumVision apporte aux Yankees le dernier état de sa technologie avant que Cisco construise un stade portant son nom, Cisco Field (naming) à Fremont (Californie, où jouent les Oakland A's). Cisco est déjà présent dans 60% des stades américains.

Nous assistons au changement de tout l'univers visuel des spectacles grand public, musiques et sports populaires d'abord. Bientôt, la musique savante, les expositions, les musées suivront. A terme aussi, inéluctablement, les univers didactiques (établissements scolaires et universitaires).

Economie. Le stade devient un lieu de vie commerciale, sociale où l'on se rend pour passer le temps autour d'un événement sportif. Avec tous ces écrans, la périphérie devient centrale. Le sport est de plus en plus une expérience numérique, un spectacle omniprésent, un environnement : définition nouvelle du média (forme en acte du 360°). Ce média a besoin de contenus frais pour fuir la rediffusion et l'ennui, de nouvelles manières de filmer, de moins de montages a priori. C'est le spectateur dans sa déambulation qui effectue, à son gré, à son rythme le montage de l'événement. 
Le modèle économique du sport (et du spectacle en général) en est affecté, donnant plus de poids au stade, au local, au direct sur place, donc à l'audience massive et émiettée dans les stades.

Mais comment tout ces contenus offerts seront-t-ils gérés, quelle place sera donnée à la publicité, à la promotion ? Nielsen avait déclaré mesurer l'audience des écrans de Arena Media Network (34 stades, dont le Yankee Stadium et Shea Stadium à New York, le Dodger Stadium à Los Angeles, Wrigley Field à Chicago), mais cette mesure semble remise à plus tard, fautes de clients (cf. post suivant !).

Nostalgie. Avec tout cela, on est loin des petits ballparks de quartiers, soirs d'été, odeurs de hot dog, l'orgue hammond ponctuant les phases de jeu, bancs de bois, home runs guettés par les enfants, mitaine à la main, les moustiques aussi ..."The House That Ruth Built" était dans le Bronx la maison des Yankees depuis 1923. "If you build it, they will come"... Qui viendra rêver dans cet univers d'écrans ? Babe Ruth ? Shoeless Joe ? Will you still "Take me out to the ball game".

mardi 18 novembre 2008

Obama marque contre le football


"60 Minutes", le magazine d'information lancé par CBS en septembre 1968, diffusé en début de soirée le dimanche sur le network national américain a obtenu un taux d'audience de 17,4% pour une part d'audience de 26% (données issues de la mesure partielle, préliminaire, effectuée par Nielsen à partir des 56 marché disposant de l'audimétrie individuelle, qui sont les plus grands marchés / DMA ; les audiences nationales sont disponibles le surlendemain). "60 Minutes" est en tête des audiences dans la tranche horaire 19-20H (prime time).

Le magazine était consacré au nouveau président et à son épouse. Mais cette interview n'était diffusée que par une seule chaîne nationale : NBC diffusait du football, ABC du sport automobile. Fox rediffusait des séries et PBS, la chaîne de secteur public, une programmation locale. On est bien loin des habitudes télévisuelles françaises, si déférentes : le président américain a dû gagner son audience contre le foot !

L'entretien avec le journaliste (Steve Kroft) vaut à "60 minutes" sa meilleure audience depuis neuf ans. L'entretien couvrait les sujets politiques et économiques les plus graves mais aussi des questions plus domestiques, les enfants, l'école qu'elles fréquenteront, le chien que les parents ont promis, la vie quotidienne d'une famille de président des Etats-Unis. Avec une dernière question ... sur le football.

Excellente performance, d'autant que cette audience mesurée ne peut prendre en compte la diffusion sur Internet (dont CBSNews.com) et une grande partie de l'audience différée. Tout ce qui a été regardé hors du foyer, tout ce qui a été regardé sur Internet est ignoré. Cette mesure, pertinente pour les annonceurs, ne rend donc plus compte de l'ampleur de tels événements, qu'elle sous-évalue de plus en plus. 

Cette audience indique aussi la situation d'une chaîne généraliste grand public, dans un pays où l'offre dite "élargie" est vraiment large et touche presque tous les foyers (près de 90% des foyers TV sont abonnés au câble, au satellite ou à l'ADSL) et où la télévision est banalisée. Cela remet en perspective les débats français qui fleurent encore à plein nez le temps béni de l'ORTF. 
Une chaîne généraliste nationale a seule le pouvoir de réunir de grandes audiences autour d'un événement. Et 26% de part d'audience - mesurée -, c'est un événement.

mercredi 12 novembre 2008

Tout à la demande, sans condition


Le bouquet Sky Digital (8,3 millions d'abonnés payants, Grande-Bretagne) vient de mettre sans fanfare son offre de vidéo à la demande (VOD) à disposition de tous, même non abonnés ("non-Sky TV customers") :  "Anybody can use Sky PLayer". "For everybody - no Sky TV subscription required. Sign up is free".
Cette offre de VOD en ligne comprend tous les éléments, désenchaînés, d'une grille de chaîne grand public : divertissement dont sport (Sky Sports Highlights), documentaire, cinéma (pour l'instant seulement annoncé), émissions pour enfants, information, etc.
Il suffit de télécharger et installer un logiciel ... et de payer (7£ pour le pack sport, 1,5£ pour les autres émissions). On est donc loin de l'offre "CanalSat à la demande" qui n'est offerte qu'aux abonnés.

Cette offre inaugure discrètement une nouvelle conception du marketing des programmes télévisés.  
Délinéarisation totale. Pour ceux qui n'en veulent pas, suppression du carcan du bouquet, tout en profitant de son image. Cette offre dessine un nouveau modèle économique, mixte : bouquet ou programmes à l'unité, comme chez la fleuriste. L'offre non-clients constitue de plus une incitation à essayer le bouquet et à s'abonner. Excellente promotion qui rompt avec l'auto-célébration courante.

On voit dans tout cela poindre une évolution de fond : le distributeur prend toute la place et toute la notoriété. La marque distributeur (MDD) pourrait l'emporter sur les marques des chaînes. Tiraillées entre l'émission que souvent elle ne font qu'acheter et le bouquet qui les distribue, les chaînes s'estompent.

Ce qui n'est pas encore clair dans ce modèle : 
  • Quel rôle est assigné à l'enregistrement (qui est une fonctionnalité du Sky PLayer) et à la synchronisation sur divers supports (dont supports mobiles). 
  • Quelle place à la publicité : garde-t-on la publicité d'origine (écrans de coupures) ou commercialise-t-on un nouvel espace publicitaire pour de nouveaux annonceurs ou de nouveaux messages ? 
  • Comment sont mesurées et prises en compte les audiences de cette VOD par les panels audimétriques, selon quel degré de différé (J+1, J+3, J+15) ?
  • Comment l'offre est-elle connue des clients non-abonnés ? Vont-ils y accéder par le guide de programmes en ligne (IPG, "accessible TV listing") ?
  • Aujurd'hui, c'est la chaîne linéaire qui construit et finance la visibilité première des programmes ? Peut-on se passer de cette vitrine ?

mercredi 5 novembre 2008

La TV locale en panne


En France "métropolitaine", la télévision locale est le parent pauvre des médias. Arrivée très tard, longtemps après la télévision d'Etat, centralisée et centralisatrice, et dans ses fourgons (France 3 Régions). Quant à la télévision locale commerciale, tout se passe comme si l'on avait tout fait pour qu'elle ne réussisse pas (des supects ?).
La réglementation a d'abord été hostile, interdisant pratiquement toute publicité locale. Donc pas de business plan possible. M6 s'est risqué sur ce marché dès 1987, à Dijon (avec Le Bien Public), suivant une idée originale, les décrochages de 6 minutes dans une quinzaine de grandes agglomérations. Idée qui aurait pu déboucher sur un network, si la contrainte réglementaire avait été desserrée. Trop tard, M6 semble renoncer.

Depuis quelque temps, le CSA multiplie les autorisations. Mais le modèle économique en place n'est pas convaincant : peu de publicité locale, très peu de publicité nationale (malgré le GIE Télévisions Locales-Publicités dont TF1 assura la régie publicitaire). Certes, dans quelque temps, le passage au numérique fera baisser les coûts de distribution. Pour l'instant, cela ne va pas fort et l'heure est aux réductions d'effectifs, plutôt drastiques (cf. Les Echos du 3 novembre). 
Evidemment, comme toujours, on attend une solution de l'Etat ou des collectivités locales : des subventions, des aides ... Pourquoi ne pas suivre l'exemple de la presse en matière de réseau ? D'autant que la presse régionale est souvent ou fut partie prenante du développement de la télévision régionale (Le Progrès à Lyon, La Dépêche du Midi à Toulouse dont TLT, la station, est déclarée en cessation de paiement, La Montagne à Clermont-Ferrand, Sud Ouest à Bordeaux, La République du Centre à Orléans, etc.). 
En fait, on conçoit encore la télé locale comme un modèle réduit de la télé nationale, et sans doute aussi comme une déclinaison vidéo de la presse. Ce n'est sans doute ni l'un ni l'autre.

C'est l'occasion de revenir sur quelques problèmes fondamentaux laissés en jachère.

  1. Comment penser et organiser l'association de la presse, de la télévision et d'Internet en région (éventuellement de la radio) ? Quelles synergies, quels transferts ? Vise-t-on, comme on en fait  l'hypothèse, le même public pluri-média ? Disposons-nous d'études évaluant l'intersection des audiences entre plusieurs supports, et d'une manière plus générale les usages de l'information locale selon chacun des supports ? Savons-nous si les utilisateurs / lecteurs quittent un support pour passer à l'autre ? Il  serait judicieux de mettre en place un type d'enquête permettant de situer, quantitativement (contacts, occasions de contacts) mais surtout qualitativement (usages), la répartition des audiences locales entre télévision, radio, Internet et presse. Et de suivre l'évolution de cette répartition. 360° local ?
  2. Faut-il encore segmenter radicalement les messages selon les médias / supports ? Si la réponse est positive, comment définir le métier de journaliste, par le média ou par le domaine couvert ? Monomédia ou plurimédia ? 
  3. Faut-il s'appuyer sur une seule "marque média" ? Ou distinguer autant de marques que de supports ? 
  4. Une station locale de plein exercice correspond sans doute pour l'instant à une ambition exagérée. Aux Etats-Unis, elles sont rares (indies) ; une station locale est soit contrôlée et gérée par une grande chaîne généraliste nationale (owned & operated), soit elle lui est affiliée. Le network lui apporte 80% de sa grille, au moins, et 100% de son prime time. Le network va même souvent jusqu'à financer la reprise de certaines émissions afin de leur assurer une couverture nationale. Les networks ne contrôlent que les stations (owned & operated) des plus grands marchés (New York, Los Angeles, Chicago, etc.). Pour compléter leur grille, les stations accèdent au large marché de la syndication, notamment via des contrats de troc (barter syndication). Globalement, la station locale n'est rien sans son network, dont elle peut changer (et inversement). 

L'échec du local télévisuel en France n'est pas un destin. Regardons, par exemple, ce que développent Google ou Facebook pour les petits annonceurs (PME, TPE) : cela indique qu'un marché publicitaire local plurimédia est à construire (la métaphore courante du "gisement publicitaire" qui laisse entendre qu'il suffirait de le "dé-couvrir" et d'y puiser, constitue un obstacle épistémologique). Développons les outils nécessaires au travail média des régies et des agences pour le local : quelle pige locale des investissements publicitaires, quelle mesure régulière des audiences (auditée) ? Ce n'est pas un marché à découvrir mais à construire. Le développement du numérique va mettre de l'ordre dans tout cela.

samedi 1 novembre 2008

Les déclarations, un art du mensonge ?


Tout le monde ment. C'est le fameux leitmotiv de House dans la série de Fox consacrée au diagnostic médical. C'est aussi l'un des postulats, plus ou moins tacite, des sciences humaines, tellement dépendantes des déclarations, confessions, entretiens, questionnaires auto-administrés, histoires de vie ... Informateur, panéliste, enquêté, patient : même combat ? 
Il en va de même avec les déclarations des entreprises qu'il faut traiter avec circonspection, prudence alors que fleurissent les communiqués de presse où elles cultivent pour plaire aux analystes, aux actionnaires, une constante auto-satisfaction.

Voici un cas de déclaration. Le "bouquet de chaînes" allemand, Premiere, est soupçonné d'avoir gonflé le nombre de ses abonnés : ce n'est pas le "bouquet", bien sûr, mais probablement une série de responsables qui ont sciemment menti, du patron à ses subordonnés qui gèrent les fichiers d'abonnés. Dévoilée par News Corp, qui est devenu récemment le premier actionnaire du bouquet (avec 25,01% des actions. Cf. post du 1 mai 2008), l'erreur est désormais publique. Evidemment, le cours de l'action a chuté. On peut quand même se demander comment a été effectuée la due diligence d'acquisition...
On ne sait donc pas exactement combien d'abonnés compte la chaîne, d'ailleurs on ne sait même pas comment sont comptés les abonnés. Un audit conduit par News Corp. reprenant les principes comptables du bouquet BkyB (Sky Digital) en Grande-Bretagne donne des résultats surprenants : Premiere disait 4,2 millions, News Corp dit 3,6 millions, dont seulement 2,3 millions de clients directs.
En presse, les abonnements sont audités régulièrement (selon les pays par l'OJD, par l'ABC, notamment). Pourquoi les abonnements de la télévision (câble, satellite, télécoms) ne le sont-ils pas ? Comment sont comptabilisées les promotions ? Combien d'abonnements payants (et à quel prix), combien de gratuits ?

Or, si l'on ne dispose pas de ces données, fiables, régulièrement mises à jour, publiées après un audit neutre et non d'une déclaration toujours propre à séduire et à mentir (communiqué de presse), comment peut-on caler les enquêtes d'audience ? Comment élaborer, puis fonder, puis, éventuellement, imposer une politique de la concentration des médias ? Comment imaginer une réglementation qui n'aurait pas, préalablement, défini un standard comptable en ce domaine.
Ou bien se résigne-t-on à entériner une sorte de "mentir-vrai" et à se satisfaire d'une méfiance généralisée, chacun ayant sa recette pour cuisiner les déclarations et les faire avaler ?

mardi 28 octobre 2008

Google régie TV. Suite.


Google poursuit son patient et méticuleux travail d’expérimentation dans l’achat d’espace publicitaire. Une nouvelle pierre vient d’être ajoutée à l’édifice : après la radio, la presse, la télé traditionnelle (écrans publicitaires), Google a passé un accord avec CoreDirect, une entreprise majeure de marketing direct en télévision (direct response TV, DRTV). Google apporte à ce métier classique sa capacité d’analyse des résultats, des "réponses", permettant aux annonceurs et aux agences d'optimiser l’efficacité des messages diffusés par les régies des chaînes. Analyses plus rapides, meilleures anticipations du ROI : améliorations décisives alors que les investissements DRTV sont en hausse (+37% en 2007) et qu'ils concernent désormais tout type d'annonceurs, toute marque. 

CoreDirect intègre les données de Google TV Ads (audiences seconde à seconde des messages) dans ses plateforme logicielles, permettant la fusion des données des campagnes achetées et diffusées avec les données de réponses et d’achat de produits provenant des centres d’appel et serveurs des clients. Fusion aussi avec d’autres données publicitaires et marketing (pige, analyse concurrentielle, résultats des campagnes antérieures, etc.). Optimisation de l’optimisation. 

Cette batterie d'analyses illustre le transfert continu vers les médias traditionnels des innovations mises en place avec Internet depuis treize ans, et longtemps suivies avec condescendance par ces médias. 

Par ailleurs, au même moment, Harris Corp. annonce l'intégration de ses produits (logiciels de gestion de la diffusion des messages publicitaires et de l'inventaire, ad scheduling) avec Google TV Ads.


Cette nouvelle étape de la conquête par Google des métiers médias traditionnels devrait intriguer les acteurs du marché publicitaire. Car ceci s’effectue avec la participation, la complicité même des médias, des agences de marketing direct et des agences média, tous avides de résultats claironnables à court terme. Mais, dans le plus long terme, tout se passe comme si régies et agences avaient perdu l'initiative en matière de recherche et de technologies marketing au profit d'études servant leur communication. Cette abdication, ce désintérêt hautain pour la recherche approfondie, ce sous-investissment finiront par porter des fruits, amers ... Pendant ce temps là, Google fait le travail, prend son temps, invente, expérimente à jet continu, avance ses pions commerciaux, apprend le métier en compagnie des médias qui, obnubilés par le très court terme, en oublient l'avertissement proverbial : "He must have a long spoon that must eat with the devil" (Shakespeare, dans une pièce au titre prophétique, "The Comedy of Errors"). Dans cette histoire, chacun verra le diable à sa porte !


mercredi 22 octobre 2008

In memoriam : TV Guide


Le TV Guide a dominé l'univers télévisuel américain. Lancé en avril 1953 (résultat de la fusion par Triangle Publications de trois magazines régionaux), trônant au coeur du foyer TV, ce magazine dominait aussi le médiaplanning presse avec ses 20 millions d'exemplaires (1977), des dizaines de millions de lecteurs, des centaines de millions de lectures, de contacts... En juin 1968, Salvador Dali peint la Une du magazine ... Le TV Guide était la référence et le mode d'emploi quotidien de la télévision populaire, son indispensable complément.

Racheté par News Corp. (News America Publishing) pour près de 3 milliards de $ en 1988...puis fusionné avec United Video Satellite Group (Prevue Channel), puis fusionné avec Gemstar, puis revendu à Macrovision Solutions Corporation, puis revendu à OpenGate Capital ...
Le guide de programme (TV listing) s'est petit à petit révélé incapable de rendre compte de l'offre de programmes TV, a fortiori de guider les téléspectateurs dans sa complexité. Des centaines de chaînes, une régionalisation des offres qui exigeait la multiplication des éditions ont détérioré et l'ergonomie du titre et son modèle économique. Des coûts croissants pour une efficacité décroissante ont finalement eu raison de cet emblème de l'univers télévisuel américain. 

Plus un marché télévisuel se complexifie moins le guide de programmes édité sur papier est pertinent. Ainsi pourrait-on estimer que la santé de la presse TV est un indicateur de pauvreté de l'univers télévisuel. TV Grandes Chaînes, merveilleuse idée, serait ainsi le symptôme d'un marché télévisuel français encore mal et peu développé.

De guide de programmes, le TV Guide est devenu magazine people : quand il n'y a plus rien à dire, il reste encore le people. Tout s'y laisse aller, sport, politique, philosophie, finance...
La TV est un réservoir de people, de "célébrités" qui peuplent notre désert d'intimes étrangers (je traduis, mal, littéralement, "intimate strangers"). Les acteurs et même les animateurs de TV mènent une double vie, dimension du "paradoxe sur les comédiens" (déjà, à l'époque de Molière et Racine, la Champmeslé, Melle du Parc, etc.) : une vie en séries à l'écran et une vie hors série à la ville. Le TV Guide permet de s'y retrouver et de s'y perdre ... si vous avez manqué un épisode des vies de Hugh Laurie (Dr House), misanthrope wittgensteinien ou de McDreamy (Patrick Dempsey), amant impossible dans Grey's Anatomy, père de famille modèle dans la vraie vie. Mais la conversion au people n'a pas suffit pour sauver le magazine : le TV Guide est dans le rouge et vient d'être vendu pour 1 $ symbolique, assorti d'un prêt à l'acheteur !

Le TV Guide vit désormais sa vraie vie sur Internet (y compris mobile), mais ausi sur les réseaux câblés, bouquets satellites ou télécoms. A terme, ces existences séparées devront converger et cette schizophrénie transitoire faire place à un moteur de recherche spécialisé (collaboratif, avec nomenclature, recourant au speech-to-text). Quant aux terminaux mobiles ils incorporeront bientôt une fonction de télécommande (cf. les brevets déposés par Apple, Sony Erikson, etc.). 

Intéressante mise en garde pour la presse européenne alors que les opérateurs TV (câble, satellite, télécoms) ont tous un guide numérique interactif en chantier (Interactive Program Guide, IPG). 
En France, la télévision fait encore vendre des millions d'exemplaires et joue un rôle majeur pour le trafic dans les points de vente : toutefois, tous les grands titres voient leurs ventes au numéro baisser (Souce OJD).

Rappel : en 2008, en France, 7 magazines parmi les 12 premiers pour le lectorat sont des magazines TV (source : AEPM luillet 2008)

mercredi 15 octobre 2008

Présence rédactionnelle à vendre


Selon l'enquête annuelle de Milward Brown pour PRWeek et Maning Selvage & Lee, on estime qu'un responsable marketing américain sur cinq (252 personnes interrogées) a troqué de l'espace publicitaire contre de la présence rédactionnelle : si vous parlez de mon produit, de mon entreprise, je placerai de la publicité dans votre média. Play-for-play ! 
Plutôt que condamner bien haut ce qui se fait tout bas, interrogeons cette pratique ! Ne représente-t-elle pas le passage à la limite de notions de médiaplanning telles qu'emplacement préférentiel, contexte programme, contrat de lecture, toutes notions prédictrices d'affinité ? Ne s'agit-il pas d'exploiter au mieux un "support" (de publicité) pour faire valoir un produit, un service, etc. ? Relèvent de la même collusion intelligente : les publi-rédactionnels, publi-reportages, infomercial / documercial / edumercial, programmes courts, parrainage, underwriting, placement de produits, sans oublier tout le bruit médiatique obtenu par relation presse (RP) et, bien sûr, les "liens sponsorisés" achetés et placés dans les résultats de recherche. 
Qu'est-ce que cela signifie ? La publicité serait un produit qui se dévalorise en se révélant ? L'efficacité de la publicité croîtrait comme son taux de dissimulation (ou mieux, comme la distance entre célébrant et célébré). Fâcheux postulat qui prend les consommateurs pour des nigauds ("Toute publicité, [ ] doit pouvoir être clairement identifiée comme telle" stipule l'article 20 de la Loi pour la confiance dans l'économie numérique du 21 juin 2004). Allons donc ! Tout le monde "connaît" la logique publicitaire et sait reconnaître la publicité quand il la rencontre. Ces démarches où la publicité s'avance masquée ne trompent personne, sauf quelques stratèges média ou planners stratégiques empêtrés dans leur condescendance. 
On en est à l'information commerciale, ni plus ni moins digne que tout autre domaine d'information. Tout aussi utile. D'ailleurs, qui croit encore que l'information littéraire n'est pas aussi de la publicité "payée" par les éditeurs, que l'information sur les films (acteurs en tournée de lancement, passant de TV en magazines pour vanter leur film ou leur concert) n'est pas aussi de la promotion "payée" par les studios ? Et de même pour l'information médicale, oenologique, financière, télévisuelle, touristique, etc. Combien de contenus parmi les plus nobles qui ne sont que du commercial ? Quant à la politique ...

Si l'on prend au sérieux toutes ces pratiques publicitaires, si l'on cesse d'en appeler à l'ethique et à la déontologie, plusieurs remarques opérationnelles viennent nécessairement à l'esprit. 
  • Les médias sont inégaux devant ces pratiques. Tous n'ont pas d'espace rédactionnel à vendre, à dissimuler dans leur contenu. Sur Internet, du fait de la relative non rareté de l'espace, la différence s'estompe, la transparence s'affiche, même si des marques croient encore devoir enrober leur information commerciale dans du "conseil" désintéressé au consommateur. Qui est dupe ?
  • Comment sont pigées et valorisées ces interventions "rédactionnelles" ? Pour être efficaces, il faut bien que les modèles d'efficacité publicitaire les prennent en compte dans leurs analyses.
  • Dans nombre de cas, la distinction contenu / publicité relève d'une véritable casuistique ; d'ailleurs, la jurisprudence des tribunaux s'y perd.En témoigne la délicate application d'une définition opérationnelle de la publicité par la Commission paritaire (CPPAP) : entre des contenus comme un défilé de mode, la "critique" d'un spectacle, les guides d'achat, d'une part, et un message publicitaire, d'autre part, "quel dieu verrait la différence" ?

  • L'essence du médiaplanning qui consiste en marketing indirect, qui fait le détour par un média, faute de pouvoir réaliser un marketing direct, im-médiat, est la collusion (terme étymologiquement noble, "jouer ensemble"). Après, aux instrumentistes, tuttistes et solistes de bien s'accorder pour que le média final sonne juste. 

mardi 7 octobre 2008

Transferts d'audiences et transfert de chiffre d'affaires


Quelle sera l'évolution des parts d'audience de la télévision en France, une fois appliquée la législation en cours de gestation qui réalise la demande présidentielle d'un secteur public de télévision sans publicité ? 

  • Le budget de France Télévision disponible pour la création, l'invention et les acquisitions sera au moins constant (revenu garanti, indexation sur l'inflation).
  • La charge publicitaire des chaînes du secteur public tendra vers zéro. L'encombrement publicitaire y sera nul (clutter) : donc le téléspectateur sera moins tenté de zapper (Opportunity To Zap), à fuir sans retour un écran publicitaire dont le taux d'affinité, par construction, est parfois médiocre. 
  • Inversement, et simultanément, s'accroîtra pour les chaînes du secteur public l'occasion d'accuellir et garder plus longtemps une audience qui a quitté l'écran publicitaire d'une chaîne commerciale, par désintérêt pour la publicité proposée, souvent intempestive, ou par curiosité pour un programme alternatif : confrontation favorable, par les téléspectateurs, des taux d'intérêt des programmes des chaînes où investir leur attention.
  • Le coût d'opportunité de la promotion de l'antenne, élevé sur une chaîne commerciale (équivalent au coût de la publicité dans la même tranche horaire, pour simplifier) tend naturellemt vers zéro sur une chaîne sans publicité, donnant toute possibilité aux chaînes publiques de vanter leurs programmes et les sites Internet correspondants (possibilités accrues par le déserrement réglementaire autorisant la promotion croisée entre chaînes d'un même groupe).
  • En revanche, la charge publicitaire des chaînes commerciales ne baissera pas, au contraire (a fortiori si le CPM baisse) ; cette charge maintiendra, voire accroîtra, inévitablement, l'occasion de zapper la publicité lorsqu'elle est inopportune (in-opportunity to see). Pour le téléspectateur, le coût d'opportunité de la publicité croîtra : en face d'un écran publicitaire, il y aura toujours une émission d'une grande chaîne, auquel il / elle "renonce" (rendement de l'emploi alternatif de son attention, risque faible voire nul). L'absence de publicité sur les chaînes du secteur public, et de programmes instaurant des coupures artificielles permettant de créer des écrans, fera monter le "coût de renoncement" du téléspectateur qui regarde un écran publicitaire (le concept de "coût d'opportunité", anglicisme malheureux, établi par F. von Wieser a toujours, selon lui, une dimension subjective, l'appréciation personnelle de "l'occasion").


Résultat : l'absence totale de publicité sur les antennes du secteur public avec une programmation de qualité au moins constante, cela devrait se traduire, ceteris paribus, pour les chaînes publiques, par une augmentation nette de la part de l'audience disponible (Total TV).

Dans le débat sur le calcul de l'effet de la législation en cours (évaluation des transferts de revenus publicitaires), cet aspect est souvent omis. Mépris du grand public par les mass-médiologues autorisés, mépris au principe de nombreux calculs tablant, "par défaut", sur un public amorphe, passif (ce que traduit l'expression condescendante, couch potatoes).

Et puis, il y aura Internet

Bon an mal an, une partie de l'audience d'une partie de la télévision va basculer progressivement vers Internet (mobile ou immobile), de manière variable selon les tranches horaires et selon les comportements culturels et professionnels. Le meilleur prédicteur de ce basculement partiel est sans doute la proximité avec Internet : équipement et notamment équipement mobile, très haut débit, disposition personnelle et professionnelle. Les premiers touchés seront ceux qui exercent un métier où l'excellence dans l'exploitation d'Internet est requise : les plus diplômés, les plus jeunes, les plus mobiles. Les annonceurs les suivront, où qu'ils aillent.

Or la télévision publique garde sa liberté de manoeuvre publicitaire avec Internet. Elle pourra donc exploiter en ligne la curiosité et l'intérêt pour ses émissions et y chercher les revenus publicitaires associés. Occasion de créer une nouvelle forme de présence télévisuelle avec Internet : l'émission sur grand écran plat, la publicité correspondante sur Internet, une interactivité spontanée ou guidée entre les deux supports. Un vrai labo de la TV à venir, celle des médianautes. N'est-ce pas l'une des obligations du secteur public que d'innover, d'anticiper, de participer à l'invention d'une nouvelle relation du grand public aux médias (comme le fait PBS aux Etats-Unis) ?

La nouvelle législation pourrait ainsi constituer une incitation à innover. "Ardente obligation". Délivrée des exigences du marché publicitaire TV au moment où celui-ci est en difficulté conjoncturelle, mais sans doute aussi structurelle, France Télévision pourrait focaliser ses moyens et ses talents sur la création et l'innovation y compris dans le marketing de ses antennes et de ses présences multiplateforme.

Ce projet de loi pourrait s'avérer un défi vivifiant pour la télévision publique et pour les publics de la télévision, mais aussi, paradoxalement, pour le marketing télévisuel. Car France Télévision pourrait, par sa puissance et sa notoriété, et l'autorité commerciale de sa régie, conduire la revalorisation générale de l'espace publicitaire d'Internet, tant sur le plan des tarifs que sur le plan de son rôle, trop souvent réduit, par incompétence et paresse, à un gadget de complément.

lundi 29 septembre 2008

Les cht'is : la fabrication de l'autochtone


"Bienvenue chez les ch'tis" (en salle depuis le 20 février 2008) bat des records au Box Office (20, 7 millions d'entrées, plus que "La Grande vadrouille" à quoi s'ajoutent 2,5 millions de DVD vendus et environ 0,6 million de déléchargements "illégaux"). Le film est riche en prolongements média : une BD, un Hors Série de Trucs & astuces sur les blagues ch'tis, un autre de Détours en France ("Dans Ch'Nord"), un DVD porno, "Bienvenue chez les ch'tites coquines" et l'on attend un jeu vidéo de Mindscape. Et puis à la Une, en négatif, une banderole anti ch'tis dans les tribunes, pour finale de la Coupe de la Ligue de football.

Voici maintenant "Ch'tis magazine" (124 pages) dans les points de vente (ci-contre dans un Relay, gare de l'Est à Paris) ; selon l'éditeur, le titre doit être mis en avant près de la caisse dans le Nord de la France (on cible l'identité régionale), mais placé près du rayon "tourisme" dans les autres régions. Double positionnement. La publicité du N°1 provient presque exclusivement d'institutions de la Région, tourisme et développement économique. Le titre est publié par Milan Presse (groupe Bayard) qui compte déjà des magazines sur la Méditerranée, le Pays Basque, les Alpes, les Pyrénées, la Bretagne.

Nombre de magazines et de Hors Série illustrent un terroir, un patrimoine fait d'histoire et d'art de vivre, et de nostalgie. Toute région, tout pays a ses magazines (cf. Bretons en Cuisine. Média des racines). La ligne éditoriale y tient beaucoup du guide touristique, mais il s'y ajoute aussi une vision enchantée de la région : il faut être "fier d'être bourguignon", alsacien, breton, béarnais ou cht'imi ! Cette presse contribue à raciner une population venue s'installer au gré des migrations et du marché du travail : elle fabrique des autochtones (étymologiquement "issus de cette terre", indigènes), tout en maintenant un lien avec ceux qui sont partis s'installer ailleurs. Héritage et nostalgie pour gérer en douceur l'aménagement affectif du territoire (cf. l'essai de Marcel Detienne sur la frénésie d'autochtonie).

Ainsi, le Nord, pour des publications comme Ch'tis Magazine, Lattitude Nord ou Pays du Nord, "le magazine qui défend fièrement les couleurs de ses régions", comme pour le film, oscille entre régionalisme et folklorisation, exaltant la cuisine, la langue, l'accent et les patois, l'architecture, les paysages et la chaleur de l'accueil (déjà, Enrico Macias, l'Algérien de Constantine, avait chanté "les gens du Nord"...). Le Nord, c'est aussi le sport : l'enfer du Nord (Paris - Roubaix) et ses pavés, "Les Corons", chanson de Pierre Pierre Bachelet devenue hymne des fans du Football Club de Lens, les "Sang et Or". Symptomatique : lâchée par les Houillères, cette équipe professionnelle sera relancée par la mairie : la défense et l'illustration de la région passent désormais par les collectivités locales, qui lancent leur magazine médias (développement économique, tourisme) et tentent de faire coïncider circonscription électorale et géographie culturelle.




Dans une telle perspective, les éditeurs mettent en avant ce qui unit. Donc, oubliées Fourmies la Rouge à qui l'on doit le Premier Mai, coups de grisou et coups de poussières, Courrière-les Morts à qui l'on doit le repos hebdomadaire obligatoire. Quelle place donner après Germinal à cette barbarie au principe de la "civilisation" industrielle ? Réhabiliter les friches industrielles, aménager les ch'terrils, ouvrir un musée des luttes ouvrières, créer un ballet, "Conditions humaines" (2007), de Pietragalla sur des vies de mineurs... Louis Aragon écrivit un poème, "Enfer-les-Mines" (1940) ... "Rien n'est à eux ni le travail ni la misère"...
183 p. éditions du Seuil

Plus elle est ancienne, plus l'histoire devient acceptable : ainsi, Pyrénées Magazine Histoire (éditions Milan également), trimestriel, qui vient de paraître, s'attachera à une histoire plus lointaine, plus consensuelle : châteaux et seigneurs, Gaston Fébus, histoire déjà folklorisée, désamorcée ... people en quelque sorte. De même, Dossier pour la Science inaugure une nouvelle formule avec un numéro intitulé "Gaulois. Qui étais tu ?" ... et revoilà nos blonds ancêtres !

Mais à quoi bon revendiquer des racines ? Pourquoi vouloir se faire autochtone à tout prix ? "C'est le sol de cette langue qui est pour moi le sol français" aimait à rappeler Emmanuel Lévinas, philosophe, autochtone de nulle part. Le rôle des médias dans la célébration d'une identité réduite à la géographie, à la "terre" ne va pas de soi, et peut inquiéter : cette célébration, exacerbée, a eu, et a encore des fréquentations dangereuses (cf. "die Scholle" et son exploitation par les nazis).
Et comment l'innovation, sociale et technique, peut-elle s'extirper de cet état d'esprit tout à la conservation ?
Comment arbitrer entre les leçons du passé et ce qu'il faut dépasser, entre le musée et l'école ? "Utilité et inconvénient de l'histoire", interrogeait Nietzsche : quel partage entre mémoire et oubli "Sans l'alcool de l'oubli le café n'est pas bon" (Aragon) mais il réveille.

mercredi 24 septembre 2008

Google régie TV ?


Google TV Ads a signé un accord avec le groupe NBC Universal pour la commercialisation, à partir de 2009, de l'espace sur six de ses chaînes thématiques : Sci-Fi, Oxygen, MSNBC, CNBC, Sleuth et Chiller, espace réparti sur toutes les tranches horaires. A terme, l'accord pourrait être étendu au local, à la télévision hispanophone, et aux sites Internet correspondants. Incursion prudente, progressive dans les médias traditionnels, off-line. Ce n'est certes pas le prime time de NBC, ni le Superbowl ni même l'espace de la première chaîne "cabsat" américaine, USA Network.
Deux jours après, Google signe un accord semblable avec Bloomberg Television (chaîne d'infos financières et économiques qui compte 54 millions de foyers abonnés aux Etats-Unis).

Ces mouvements confirment que Google ne s'intéresse pas seulement à Internet mais à tous les médias, et notamment à la télévision qui reste le pilier des campagnes publicitaires pour les produits de très grande consommation, à rotation rapide (FMCG). On l'avait remarqué déjà lors de l'accord de Google avec l'opérateur satellite Dish Network qui faisait suite à des accords avec la radio et la presse quotidiennne régionale.

Google cherche à transférer à toute transaction média les savoir faire acquis avec Internet (consoles de commercialisation, webanalytics, adservers, enchères, automatisation, etc.) aux métiers de régie classique, qui n'ont guère évolué depuis des décennies. Le changement dans la commercialisation de l'espace publicitaire ne vient donc ni des régies, ni des agences média mais d'Internet qui permet de rompre avec le conservatisme.
Google prétend pouvoir améliorer le chiffre d'affaires des chaînes concernées, attirer de nouveaux annonceurs restés jusqu'à présent hors de la télévision, et améliorer le ciblage. Les chaînes craignent la "commoditisation" du marché de l'espace TV... Peuvent-elles longtemps freiner la réduction des coûts de transaction ?

Le marché de l'achat d'espace publicitaire tend inéluctablement vers l'unification, unification des outils, des modes de calcul du GRP et du retour sur investissement. Google se lance dans cette unification où ne se risquent pas les acteurs traditionnels. Google semble avoir une vision d'ensemble tandis que Nielsen, par exemple, continue d'additionner les domaines mesurés, bouchant les trous au fur et à mesure qu'ils se déclarent, additionnant des technologies disparates.

Mais il manque à Google les données de consommation TV stockées dans la set-top box. Ce sont les opérateurs du câble, du satellite et des télécoms qui les détiennent. D'où le projet Canoe Ventures, coalition de six opérateurs du câble (Comcast, Time Warner Cable, Cablevision, Cox Communications, Charter Communications et Bright House Networks) pour moderniser et dynamiser la commercialisation de l'espace sur leurs réseaux. L'objectif déclaré étant la réorientation vers le câble des budgets publicitaires perdus au profit d'Internet. Les outils sont confiés aux groupes éditeurs de chaînes, Canoe ne s'adressant pas directement aux annonceurs. Pour l'instant, Canoe a seulement produit une chaîne dédiée aux élections, Elections 08 On Demand, accessible par 32 millions de foyers, mais sans grande visibilité, et qui, semble-t-il, n'est pas un succès. Donc rien qui puisse contrer les avancées de Google. 

Mais les données des opérateurs ne sont que des données "foyer", alors que le marché a pris l'habitude des données audimétriques "individuelles". Le recours à une source unique de données numériques, Internet et TV, peut constituer la solution idéale : non intrusive et individualisée. 

jeudi 18 septembre 2008

Presse écrite : Etats généraux et doléances particulières


Mise à jour 2017. A télécharger : ICI
Un Président de la République a convoqué des Etats généraux de la presse écrite (octobre 2008). Mais où sont les "Cahiers de doléances" dans lesquels même Chateaubriand voyait, pour ceux de 1789, "un monument précieux de la raison en France" ?
Que pense le Tiers Etat de la presse ? Qui entend les vendeurs, les kiosquiers, les localiers, les médiaplanners, les journalistes, les graphistes, les clients, les lecteurs, et, au fin fond de ce Tiers, les non lecteurs ? Qu'en sait-on ? Pas grand chose. Où le "Tiers Etat" de la presse s'exprime-t-il ? On aura les cahiers des "corporations", ceux de la Noblesse et du Clergé des médias, mais pas ceux du Tiers...

Que sait-on de la relation des lecteurs à la presse ?
  • On dispose des audiences, certes, déclarées. Mais seuls quelques titres voient leur lectorat mesurés : quelques centaines sur quelques milliers.
  • Quelle relation aux contenus, au style des contenus (mise en page, ergonomie de la lecture et du feuilletage, format) : les études Vu-Lu ("eye tracking") sont rares, souvent rudimentaires. Comment la relation aux contenus (rédactionnels, publicitaires) évolue-t-elle selon les générations, les formations ? Qu'est-ce que l'attention, la mémorisation ? Qu'est-ce qui et retenu ?
  • Quid de la commodité matérielle ? Les "gratuits" sont tendus aux passants, aux voyageurs, qui ne font pas la queue, ne cherchent pas le titre, n'attendent pas leur monnaie. Comme beaucoup de produits, la presse connaît désormais plusieurs modalités d'accès, de distribution. Si un mode d'accès ne chasse pas l'autre, il faut organiser la relation, la conjugaison des modes de distribution (site, web, papier, appli tablette ou smartphone, eBook). Comment certains lecteurs effectuent-ils déjà cette combinaison, selon les types de titres, de contenus ? Et les annonceurs ? Comment s'optimise un plan multisupport d'un même titre ? Sur quelles données fonder et vérifier ce travail média, sur quelle durée ?
  • Ce sont là de premières doléances : à moins d'ouvrir un tel chantier de recherche, il n’est pas de diagnostic crédible, seulement des opinions, colportées par les porte parole patentés, doxosophes de service.
Presse invisible ? Pas vue, pas lue !
Que sait-on des occasions de voir la presse, au moment précis où l'on peut l'acheter (commodité encore) ? Il manque à la presse un indicateur de distribution qui serait l'équivalent de l'initialisation en télévision. Géographie vécue des points de vente, des horaires de distribution. Comment la presse doit-elle organiser sa visibilité ? Pas seulement ponctuellement, le temps d'un lancement, mais dans la continuité, au jour le jour. Pas seulement sur le point de vente. Partout. Tout le temps. Là aussi où sont les non lecteurs. cf. La presse invisible.
Deuxièmes doléances.

Presse introuvable ?
La presse crée et fournit des contenus, à foison, à qui en veut, en demande. Des histoires, de l'histoire, des conseils et des guides en tout genre pour acheter, cuisiner, lire, décorer, réparer, se soigner, épouser la mode, voyager, rêver du prince charmant ou se moquer des people du jour, apprendre à dessiner, à programmer, à tricoter ... Cf. Lire la presse, c'est pour faire.
La presse innove à jet continu : plus de 600 nouveaux titres par an, deux fois plus de hors séries. Source : base de données MM, 38500 titres, février 2018). Entrez dans un point de vente et, peu importe le jour, demandez les titres nouveaux de la semaine, les Hors Séries du jour...

Toute cette richesse est bien cachée :
  • Dans les points de vente même, où l'innovation et la diversité sont peu évidentes, faute d'espace sur les linéaires, de vitrines...
  • Dans les agences média où l'on s'en tient aux quelques dizaines de grands titres bien servis en statistiques par les études de références et les commodités progicielles, grâce aux régies dominantes qui offrent aussi leurs titres aux médiaplanners.
  • Dans les médias (radio, TV) et sur Internet où les titres, pillés souvent, cités rarement, découpés menu, sont dispersés à tous les vents de la toile et des ré-agrégateurs dits sociaux. Copiée / collée, la presse sert de matière première aux autres médias et à de nombreux travaux universitaires (histoire, science politique, etc.).
  • Sur le Web où la mise en avant est encore simpliste faute d’outils de ciblage suivant les comportements langagiers : car chaque titre parle une "langue de spécialité"- plus qu'un sociolecte, un idiolecte - et les indicateurs linguistiques sont plus efficaces que les indicateurs sociodémographiques (cf. les travaux de Weborama) : la socio des mots plutôt que la socio-démo. Seule une socio des mots peut produire une sémantique ou, plutôt, mais le terme n'et plus en faveur, une sémiologie ("science qui étudie la vie des signes au sein de la vise sociale", disait Saussure).
Voilà longtemps que la presse et ses points de vente sont confrontés aux paradoxes de la "longue traîne" : une offre abondante et variée pour une demande dispersée et pointue (loi Bichet). Des centaines de titres spécialisés, précis, minutieux, détaillés approfondissent une région, une passion, un métier, une affinité élective... Tout y est : les loisirs numériques et créatifs, le bricolage, de la maison à la voiture, de l'ordinateur au jardinage, l'apprentissage du métier d'enfant et du métier de parent, l'art d'être téléspectateur et internaute, pêcheur à la carpe, footballeur, touriste, fan de, philosophe, randonneur à pied, à cheval ou en voiture… Quels contrats de lecture !
La presse est disponible au coin de la rue, sans effort technologique, à tous les prix. Pourtant, paradoxalement, elle est souvent invisible, introuvable. Or la leçon première d'Internet, en acte, c'est le moteur de recherche qui la donne : trouver rapidement ce que l'on veut, sauter de trouvailles inattendues en recherches. La télévision y travaille, un peu et plutôt mal (guides de programmes interactifs, applis), mais la presse n'a pas encore trouvé son moteur de recherche.
Troisièmes doléances.

mardi 9 septembre 2008

Vendre la TV consommée loin des audimètres foyer


Compter les téléspectateurs hors du foyer est au programme des chaînes de télévision depuis longtemps. Elles sont en effet incapables aujourd'hui de vendre cette part d'audience ... qui s'accroît : la mesure actuelle ne permet de vendre que la télévision regardée au foyer. Notons que l'on ne connaît donc pas le volume total de la télévision consommée, ce qui n'empêche pas de spéculer, à la décimale près, sur l'évolution des audiences de la télévision !

Aux Etats-Unis, Nielsen collabore avec IMMI pour mesurer l'audience hors foyer avec un téléphone portable (cf. notre post du 3 avril 2008, "La télé n'est pas seulement au salon"). Pour commencer, seront mesurées les audiences dans les grandes agglomérations (DMA) : Chicago, Denver, Houston, Los Angeles, Miami et New York. Le panel hors foyer comptera 500 panélistes par marché local, plus 1 700 répartis sur le reste du territoire, afin de disposer également d'une représentativité nationale. IMMI fournit les panélistes qu'il équipe du téléphone configuré pour la mesure de l'audience (capte une signature numérique insérée dans le signal).

Mais qui dit audimètre, dit panel volontaire, opt-in. Et l'engagement du panéliste n'est pas neutre puisqu'il lui est confié gracieusement un téléphone portable, pourvu qu'il en fasse son téléphone personnel (smartphone HTC, voix et data gratuites, AT&T/ Cingular pour l'opérateur). Biais de recrutement ?
 
Les données du panel hors foyer s'ajoutent à celles du panel foyers, ce qui suppose des fusions de données pour produire une audience totale. Procédure toujours délicate.
 
Cette mesure est de plus en plus importante alors que la télévision sort du foyer, pour être diffusée dans les stations services, les salles d'attente, les transports, les lieux de travail, les bars, les hôtels, les résidences secondaires... L'assiette de l'audience évolue : la mesure doit suivre.

A priori, l'audience hors foyer paraissait devoir être plus importante pour les chaînes diffusant en continu info, météo, sport ou musique. En fait, pas seulement !
Les premiers résultats publiés montrent que, en prime time, "House" (Fox, série), "Home Run Derby" (ESPN, baseball) et la cérémonie d'ouverture des Jeux olympiques (NBC) ont été les émissions les plus regardées hors foyer. Tout type de programme est donc concerné, toute tranche horaire. Le manque à gagner pour les chaînes, considérable, s'accroît de jour en jour.

A cette mesure que l'on pourrait appeler "user centric", qui compte sur des panels de plus en plus difficiles à recruter (donc chers, et sûrement peu représentatifs de la population étudiée), on commence à opposer une mesure "site centric", partant de l'écran regardé et non des passants. Conflits de mesures ? Elles sont sans doute plutôt complémentaires car le coût d'un panel armé de téléphones portables semble exorbitant, interdisant toute extension à des échantillons de grande tailles, indispensables à un marketing opérationnel recourant à des ciblages fins. Seule une mesure "site centric", partant des appareils, pourra donner accès à des effectifs assez nombreux.

vendredi 29 août 2008

L'ère des médianautes

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Les annonceurs savent combien une association TV / Internet bien orchestrée par le plan média peut être multiplicatrice d'audience, pour chacun des deux médias. Chaque média sur son écran, simultanément parfois.
En revanche, marier TV et Internet sur un même écran relève d'une autre logique ; c'est une idée vieille... comme Internet. On se souviendra, par exemple, de TAK (Thomson, avec Microsoft) qui dès 1999 voulait, trop tôt, enrichir les émissions de télévision par des développements Internet sur l'écran du téléviseur (jeux, guide de programmes, etc.) [Voir la thèse consacrée à ce sujet et au "désir d'interactivité" soutenue en 2008 par Sandrine Bensadoun-Medioni et sa présentation au Séminaire Média de l'IREP en décembre 2004]. Une dizaine d'années plus tard, un projet semblable revient, rhabillé de pied en cap, soutenu par trois acteurs puissants du numérique :
  • Comcast, premier câblo-opérateur américain, apporte la set-top-box, tru2way. Au départ, se trouve donc un opérateur qui achemine télévision, VOD (FanCast compte plus de 3000 titres à télécharger) et Internet à plus de 25 millions de foyers d'abonnés.
  • Intel apporte le chip, “System-on-a-Chip”, SoC qui sera placé dans la set-top-box et, ultérieurement, dans le téléviseur même.
  • Yahoo! apporte la plateforme de développement de widgets. Le Widget Channel disposera les widgets dans un bandeau en bas d'écran, widgets "correspondant" à l'émission en cours (cf. illustration tirée du site de Intel). Les widgets donnent de la flexibilité et de la diversité aux propositions média. Dernier symptome de leur succès : les applis pour iPhone vendues dans la boutique App Store sur ITunes (on parle même d'"appliphilia"). Blockbuster, CBS Interactive, CinemaNow, Cinequest, Disney-ABC, eBay, NBC, Group M, Joost, MTV, Samsung Electronics, Schematic, Showtime, Toshiba, Twitter collaboreraient à la réalisation de widgets.

Dans un tel dispositif, la télévision épouse un modèle à la YouTube, où se mélangent télévision et Internet, où l'écran TV s'inscrit dans l'écran de l'ordinateur, encadré d'informations et de liens, où le moteur de recherche (IPG) est commun à Internet et à la télévision, aux sites et aux émissions, aux mots et aux images. Le téléspectateur fait place au médianaute.

Dans cette configuration, la télévision adopte enfin les outils marketing d'Internet et rentre dans le siècle. Les conséquences commerciales et publicitaires en sont formidables.
  • Pour le marketing des contenus et de la publicité. On pourra désormais comprendre le téléspectateur-internaute (médianaute) en le suivant d'une seule et même manière (cookies, tags, avec sa complicité) comme on le fait déjà sur Internet : ciblage et marketing comportemental. Une seule manière de travailler, de mesurer, qu'il s'agisse de consommation TV (linéaire ou VOD) ou de consommation Internet (streaming ou site marchand). Une seule console, des TV / webanalytics cohérents.
  • La mesure de l'audience prend en compte tout le numérique du foyer : les téléviseurs et leurs périphériques (consoles, lecteurs de DVD, DVR), les ordinateurs et leurs périphériques (lecteurs de musique), téléphones (fixes ou portables). On s'approche de manière réaliste du 360° que réclament les annonceurs.
  • Au lieu d'être passive, la mesure des audiences devient réactive, pour donner naissance à un marketing dynamique : ajuster sans délai une campagne en cours aux premiers  résultats observés, proposer des produits, suggérer des émissions, des sites, des coupons, des réductions, des opérations commerciales à la carte, des contributions, etc. La mesure de l'audience change de statut, d'objectifs, passant de la statistique descriptive à une mathématique de l'action.
Comcast ouvre la voie aux opérateurs / distributeurs multiplateforme, à toutes les entreprises qui proposent triple ou quadruple play, et notamment aux groupes de télécom, ses plus redoutables concurrents. Des changements s'en suivront, dont l'ampleur est encore difficile à imaginer :
  • Qui est le mieux placé pour assurer la régie publicitaire des widgets sinon l'opérateur multi-plateforme ?
  • Un nouveau métier de création (de widgets) pour les agences. Un nouveau marché aussi pour les développeurs, amateurs et professionnels. La création s'ouvre aux ingénieurs.
  • La question de l'encombrement (clutter) de l'écran déjà sensible, est exacerbée. Sans doute, les widgets doivent-ils être opt-in, l'installation personnalisable. Les médianautes prennent le pouvoir : ils voudront choisir et maîtriser les interruptions / interventions publicitaires.

jeudi 21 août 2008

Ego sum res googlans. Devoir de vacances

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Il n'est sérieuses vacances sans la corvée des devoirs de vacances. Suivant la règle, j'ai proposé à des futur(e)s apprenti(e)s philosophes de décrire, "à la manière de" Descartes, les modalités du penser de leur génération.
Au départ de l'exercice, une phrase de la Troisième des Méditations métaphysiques (1641) : "Je suis une chose qui pense [ego sum res cogitans], c'est à dire qui doute [id est dubitans], qui affirme, qui nie, qui connaît peu de choses, qui en ignore beaucoup, qui aime, qui hait, qui veut, qui ne veut pas, qui imagine aussi, et qui sent" (d'après l'édition de Florence Khodoss, aux PUF).

Voici un énoncé synthétique de ces nouvelles "méditations cartésiennes" :
"Je suis une chose qui googlise [ego sum res googlans], c'est-a-dire une chose qui smartphone, qui facebook, qui SMS et smyleys, qui achète peu de choses, qui en télécharge beaucoup, qui wii-fit, qui blogue, qui MSN, qui bluetooth, et qui vit in the clouds".

Comment "ça" pense, cette "chose qui pense" ? Qui pense, les doigts sur des claviers, comme le joueur de luth a sa mémoire en ses mains, observait Descartes, justement. Un ensemble de réflexes a été acquis (copier, coller, zipper, chercher, partager, envoyer, glisser, pincer, cliquer, télécharger, synchroniser, noter, etc. Cf. Doc. 1, infra), actes de pensée auxquels correspondent des états de l'ordinateur ("states", Alan Turing), du téléphone, de la console... que les utilisateurs organisent en algorithmes de vie quotidienne, des habitudes. "Nos sens sont autant de touches", résumait René Crevel (1932). Notion à façonner, à mettre en chantier.
Toute pensée de ce type, instrumentée, configure par les instruments le penser et son expression. Comme la machine à écrire changea le style de Nietzsche (cf. les analyses de Friedrich Kittler), comme l'oral détermina le style de Socrate ou de Confucius (ce qu'il en reste, une fois passés à la moulinette de l'écrit...). Nietzsche observa que la machine à écrire contribuait / travaillait à ses pensées ("Unser Schreibzeug arbeitet mit an unserem Gedanken", 1882).
Dans le Faust de Goethe, Mephistopheles, expert en lucidité, pour décrire la fabrique des pensées ("Gedankenfabrik") évoque le tissage (weben, tisser ! parent du mot Web), et tout ce qui du tissage est déclenché par un seul geste : fils invisibles, navettes... Descartes, encore, soulignait le rôle des "longues chaînes de raisons, toutes simples et faciles, dont les géomètres ont coutume de se servir, pour parvenir à leurs plus difficiles démonstrations" (Discours de la méthode). Le simple pour aller au complexe.

Cette fabrication de la pensée par les outils numériques, "simples et faciles", devrait faire l'objet d'une observation ethnographique : décrire la forme d'un acte de pensée sur iTunes, Facebook ou Snapchat, lors d'une recherche sur Google, de l'envoi d'un texto, d'un tweet, etc. Qu'en savons-nous ?
Au moins ceci, que cette "fabrique de pensée" rompt avec celle des médias analogiques, sans potentialité interactive immédiate (hors télécommande) ; s'en suivent, pour les annonceurs, toutes sortes d'hypothèses quant à l'"engagement" de l'internaute et du téléspectateur.
On notera enfin "la disette de mots" (Diderot) pour énoncer ce qui se fait avec ces nouveaux outils de pensée, d'où l'importante création lexicale, recourant à l'anglais, ou au latin ! Il faut accueillir plus vite les mots nouveaux pour dire aisément la fabrique de pensers numériques.

Pour illustrer, et appliquer, voici deux documents musicaux sur la culture et la technique.
Document 1 : Daft Punk, "Technologic"
Document 2 : Christophe Willem, "Safe text"

Références
Friedrich Kittler, Grammophon, Film, Typwriter, Berlin, 1986, Brinkmann & Bose, 430 p. , Bibliogr.
D'Alexandrie au RPA : que peut-on apprendre des lieux de savoir ?
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