mercredi 17 juin 2015

Numérique et destruction créatrice de médias


Depuis 20 ans, les médias traditionnels d'information sont assaillis par de grands services numériques sans contenu propre, sauf fourni par les utilisateurs eux-mêmes (User-Generated Content).

Tout support numérique sans contenu se fonde sur un service aux consommateurs (réseau social, moteur de recherche) pour accumuler et vendre des contacts publicitaires. Chaque service y va de son appli mobile, qui recherche et puise des contenus dans les productions des médias traditionnels et les agrège à son bénéfice. Les médias traditionnels, "legacy media", médias de contenus, sur le fond, n'ont pas changé : la presse comme la télévision ou la radio restent d'abord des créateurs organisateurs de contenus, d'information entre autres, et, notamment, d'information locale.
Le numérique n'y change pas grand chose : la collecte de cette information ("All the news that's fit to print", selon le slogan du New York Times depuis 1896), son traitement (vérification, curation, narration, illustration) coûtent cher. La monétisation semble rester en rade ; elle s'est empêtrée dans sa distribution traditionnelle.

S'agit-il de destruction créatrice ? Disruption : une concurrence terrible qui vient d'où l'on ne l'attend pas. La presse américaine n'attendait pas les moteurs de recherche, elle n'attendait pas les réseaux sociaux, elle ne se méfie pas de la géolocalisation... Les quotidiens ont craint USA Today et The  National Sports Daily comme les networks ont redouté les chaînes thématiques, CNN, ESPN... Aveuglés par ces leurres involontaires, armés d'analyses de concurrence, classiques et trompeuses, on dirait que les médias n'ont rien voulu voir venir.

Qu'est-ce qui a été détruit et recréé ? Ce sont les modes de distribution. Mais cette destruction n'a été possible que parce qu'ont subsisté, inaltérés et disponibles gratuitement, la création journalistique des médias, les contenus.
Si les plus jeunes se tournent vers le Web, mobile surtout, et abandonnent les supports traditionnels de l'information (Reuters Institute for the Study of Journalism at the University of Oxford, 2015), ils n'abandonnent toutefois pas les contenus ! L'agrégation de contenus opérée par les médias traditionnels est une commodité de distribution (packaging). La désagrégation en cours correspond à de nouvelles formes de distribution. Mais, toujours, derrière cette mutation du papier aux applis mobiles, il y a des contenus, des créations, du plaisir.
La distribution peut compter sur l'automation et l'intelligence artificielle pour optimiser son modèle économique et réduire sans cesse les coûts de transaction. En revanche, la création, qui lutte contre le chaos et l'entropie, ne peuvent guère compter que sur l'intelligence naturelle d'une main d'œuvre créatrice (journalistes, etc.).

Récemment Apple, Facebook, après d'autres (Google News, Flipboard, etc.) se sont positionnés comme distributeurs de produits élémentaires de la presse, désagrégés, l'article étant l'atome de lecture mobile.
  • Après Paper (1994), Facebook teste Instant Articles. Paper a joué un rôle de brouillon ; avec Instant Articles, Facebook se positionne comme distributeur d'articles de presse à part entière. Les articles sont publiés directement dans l'appli Facebook (iOS), bénéficiant d'une meilleure ergonomie : alors qu'actuellement, les articles de presse se téléchargent lentement, Facebook promet un téléchargement 10 fois plus rapide que le Web mobile et des modalités d'édition enrichie (zoom, plein écran, autoplay, légendage audio, etc.). L'information est-elle déjà "Facebookified" ? Quelle part du trafic des médias vient de Facebook ?
    • La publicité sera gérée directement par le titre qui alors gardera 100% des revenus ou bien elle sera confiée à Facebook Audience Network qui prendra 30% des revenus. Par ailleurs, Facebook propose aux éditeurs les fonctionnalités de LiveRail (people-based targeting pour mobile.
    • Les éditeurs pourront aussi utiliser leurs propres analytiques, dont Google Analytics ou comScore, s'ajoutant aux outils mis à disposition par Facebook (Tools and Insights for Publishers).
Les titres engagés avec Instant Articles (source Facebook, May 2015)

  • Apple annonce News pour l'automne 2015 (Etats-Unis, Australie et Grande-Bretagne d'abord). News sera une appli iOS 9, personnalisable, qui devrait remplacer Newsstand et agrégera des articles de presse. Le partenariat de lancement mobilisera The New York Times, ESPN et des titres du groupe Condé Nast (bon appétit, etc.). 
    • Les titres commercialisent leur espace publicitaire, mais à la différence de Facebook, les données de consommation de la presse ne seront pas transmises aux titres afin de garantir la vie privée des lecteurs ("Apple doesn't share your personal data"). Apple commercialisera les espaces publicitaires invendus.
    • Branding : avec Apple News Format for Publishers, Apple laisse la possibilité aux éditeurs d'effectuer la promotion de leurs titres (abonnements).
    • Le contenu proposé par News tiendra compte de ce que le lecteur lit habituellement en vue d'atteindre un niveau d'intérêt et d'engagement croissant. 
    • Au travail de gestion suivant un algorithme, pourrait s'ajouter un travail de curation humaine.
  • Twitter travaillerait à Project Lightning, une fonctionalité permettant de suivre un sujet ou un événement ; des curateurs incorporeraient des tweets sélectionnés en une narration (story) accessible et mise à jour sur l'appli Twitter pour iOS.
Parmi les questions que suscitent ces développements :
  • La mesure totale du lectorat total n'en finit pas de se complexifier ? Comment intégrer ces audiences nouvelles avec les analytiques actuels de la presse ? 
  • Qui détient les données de lecture ? Le titre pourra-t-il y accéder pour construire sa stratégie éditoriale, promotionnelle, publicitaire ?
  • S'il se crée des carrefours (hubs) où les lecteurs peuvent se rendre pour découvrir des articles, des revues, si l'on peut y passer sans effort d'une publication à une autre, quelle marque en bénéficie ? Apple ou Conde Nast ou Bon Appetit ? Qui profite de la notorité (branding) ? A qui les lecteurs seront-ils fidèles ? A Facebook, Apple, ou à l'éditeur ? La marque éditeur ne risque-t-elle pas d'être diluée ?
  • Avec des opérations comme News ou Instant Article, les médias de contenus accroissent leur dépendance vis à vis de leurs puissants distributeurs (addiction). On dirait parfois qu'ils se livrent en aveugles au destin numérique qui les entraîne...
De plus, la mainmise progressive d'agrégateurs ("massive social media aggregators") comme Google, Apple ou Facebook sur les contenus des médias américains semble se doubler de la concurrence que ces entreprises font aux médias traditionnels en matière d'information, notamment en période électorale. Ainsi, Facebook semble la source de plus en plus fréquente des informations politiques, pour les moins de trente ans (cfPew Research Center, 2014). Voir aussi le rôle de Facebook (Obama et les networks) et de YouTube (Google) dans la communication gouvernementale (cf. Un président sur YouTube).
Facebook guigne les dépenses publicitaires des partis politiques et des candidats, réduisant d'autant la part de marché des médias locaux, notamment celle de la télévision. Mais ce n'est pas la seule avancée de Facebook dans l'information : le réseau s'attaque indirectement aux médias traditionnels en facilitant la tâche des relations publiques (PR). Ainsi, alors que le nombre de journalistes décroît, celui des PR augmente : les journalistes font carrière dans les RP (y compris des jouralistes ayant obtenu des prix Pulitzer). La communication l'emporte sur l'information.
Twitter de son côté concurrence aussi 
les médias traditionnels pour la couverture des campagnes électorales (cf. le travail de Peter Hamby, journaliste de CNN, "Did Twitter Kill the Boys on the Bus? Searching for a better way to cover a campaign", Shorenstein Center Fellow, Harvard University, Spring 2013, 95 p.) : la conclusion de l'auteur sonne comme une menace de plus : "More and more, the mainstream political press is being cut out of the election process".

Les applis sur mobiles deviennent le mode le plus courant de la consommation d'information (newsreading apps). La majorité des visiteurs de la plupart des sites d'information viennent du mobile (selon Pew Research Center). Face à des entreprises gigantesques, attrape-tout, comme Facebook, Google ou Apple, les médias d'information et de divertissement semblent coincés, hypnotisés : ne pouvant les battre, ne leur reste-t-il à qu'à s'y rallier ? Facebookisation de l'information, Facebook assurant la police de l'information (content cop) ?

N.B. Pour d'autres formes d'intervention des réseaux sociaux dans l'information, voir, par exemple, les collaborations successives de Storyful (News Corp.) avec Facebook (2014) puis YouTube (2015).

mardi 9 juin 2015

Média public, média privé ? La presse invisible

Vending machineAP File photo

La presse perd du terrain dans la ville ? Dans les rues, sa part de voie s'étiole. Sa présence publique s'effiloche...

Dans les rues américaines, les distributeurs (vending machines) disparaissent ; avec leur Une "above the fold" comme un écran de prime time, ils furent, il y a trente ans, le symbole du défi que USA Today (Gannett), le nouveau quotidien national, jetait aux grands networks.

En France, le nombre de points de vente presse diminue ; en même temps diminuent la longueur totale des linéaires, et donc l'exposition aux passants. Concurremment, les ventes au numéro chutent (sources : MLP, Turnover Points de vente ; presstalis). La notoriété globale de la presse, son image en pâtissent.

Dans certains quartiers, les kiosques à journaux, plutôt que la presse, mettent en avant des colifichets pour touristes, des friandises et des boissons ; leur affichage semble moins consacré aux couvertures de magazines et davantage à des produits de mode ou de "luxe".
Même la réduction des formats (passage au format tabloïd, format poche dans la presse magazine) qui accroit la commodité de lecture affecte la visibilité de la presse.

La papier recule partout tandis que la presse investit le territoire numérique, réduisant sa visibilité : sa présence en ligne ne compense pas son absence publique. La presse a été un média de l'espace public,(cf. Jürgen Habermas, "Öffentlichkeit") lu dans les cafés et les cabinets de lecture ; les lecteurs s'affichaient avec leur titre, l'arboraient comme un drapeau (cf.  L'Huma avec ses CDH, la vente militante, la fête annuelle). Sur tablette ou smartphone, certes plus commodes, la presse devient un média de la sphère privée, discret, caché. Ainsi, quand Metronews (TF1), gratuit du métro parisien, cesse de publier sa version papier pour n'être plus présent qu'en ligne, le titre s'évanouit quelque peu...

Le modèle économique mixte, papier + numérique, peut assurer à la presse à la fois sa visibilité et sa puissance. Même une fois diffusé, un titre papier reste visible, dans les foyers, les bureaux... Facteur de circulation, de reprises en main, de durée de lecture, audience secondaire !
Comment stopper cet évanouissement de la presse, maintenir sa visibilité et sa notoriété tout en gagnant en puissance (data) ? La presse pourrait peut-être, par exemple, efficacement compter sur les écrans de l'espace public (DOOH) pour recouvrer sa place de média public.

mercredi 3 juin 2015

Télé locale en France : quelle malédiction ?


En France, la télévision commerciale locale semble ne pas se porter très bien.
Ainsi, la TLT, station de Toulouse, pourtant l'une des plus anciennes (1988), même si elle a obtenu un sursis du Tribunal de Commerce et une prolongation pour 5 ans de son autorisation d'émettre par le CSA, reste menacée de liquidation. Son endettement atteindrait 2 millions €. Et les exemples ne manquent pas : Télessonnes est en situation difficile, Médias du Sud (TV Sud Camargue, TV Sud Montpellier, TV Sud Pyrénées Orientales) pourrait déposer son bilan (sources : médias régionaux), VooTV, station de Dijon mise en liquidation judiciaire (sources : presse régionale)... Fin janvier 2013, le CSA avait autorisé, en 25 ans, 48 services de télévision locale terrestre.

Source : Télévisions locales
Manifestement, le modèle économique de cette télévision n'est pas adéquat à ses ambitions. Dépendant des financements publics, la télévision locale est de santé fragile, admet le CSA. Trop peu de revenus publicitaires, des audiences dispersées, difficiles à commercialiser. Des coûts de distribution (TNT) élevés. Une trop faible notoriété parmi les professionnels du marketing et du planning stratégique.
Pourtant, selon l'enquête TV locales 2015 de Médiamétrie qui évalue l'audience locale d'une trentaine de stations locales terrestres, près de 13 millions de personnes en France regarderaient ces stations au moins un fois par semaine (audience cumulée). La durée d'écoute serait de 44 minutes pour 1,3 million de téléspectateurs.

Des solutions ? En cas de difficulté de gestion, les stations de télévision comptent essentiellement sur les diverses collectivités locales (Conseil régional, commune, agglomération, département), sur les subventions, sur l'impôt local donc plutôt que sur des solutions commerciales (publicité, abonnement).
Le streaming (OTT) n'est-il pas une solution plus raisonnable favorisant une diffusion des programmes sur tous les supports, notamment mobiles (tablettes, smartphones) ? La mesure de l'audience en serait facilitée, plus opérationnelle, de même que la collecte de données. Des stations ont ouvert une chaîne sur YouTube comme, par exemple, TVFIL78, "la télélocale de Saint-Quentin-en-Yvlines" (ici), ou 8 Mont-Blanc. Pourquoi pas un multi-channel network (mcn) dédié à la télévision locale française ?

Aux Etats-Unis, les stations locales constituent l'armature de la télévision nationale ; elles peuvent constituer des réseaux de distribution nationale (networks). Ces stations sont titulaires d'une autorisation de diffusion locale terrrestre. La syndication de telles stations donne naissance à une huitaine de chaînes nationales terrestres grand public, commerciales ou éducatives. Toute station affiliée à un network obtient en échange la diffusion d'une grille de programmes gratuits et les revenus publicitaires dans laquelle elle peut insérer des écrans locaux (local time), placés entre deux émissions du network diffusées nationalement (adjacencies) ; cet espace publicitaire est vendu à des annonceurs locaux.

Une station affiliée ou O & O (filiale, Owned and Operated) bénéficie par conséquent de programmes de qualité nationale ; elle y ajoute l'actualité locale (news), sans dépenses exorbitantes de production ou d'achat de fiction, de sport. Elle gère une régie publicitaire locale, la publicité nationale ne la concerne pas, qui relève du network uniquement.
L'activité Internet, en synergie, épouse cette structure de marché, local et national tant pour les contenus que pour la régie. Ce montage donne à la télévision locale sa viabilité, sa visibilité et son dynamisme d'entreprise. De plus, 5 groupes de stations locales (ABC, Cox, Hearst, Media General Raycom) s'associent pour lancer NewsON en automne 2015. NewsON (112 stations, 84 DMA) est un programme d'information gratuit qui sera diffusé sur la télévision connectée (mobiles, etc.).

En fait, un tel modèle d'affaires n'est pas si étranger au marché français des médias qu'il peut paraître ; il évoque, par exemple, le réseau des Indés Radios qui représente un network de plus de 120 stations locales (régie nationale assurée par TF1) réunissant une audience cumulée de plus de 8 millions d'auditeurs (Lundi-Vendredi, 13 ans et +) ; il évoque encore le PQR66 constitué  par la presse régionale avec plus de 60 titres qui, assemblés, apportent une couverture à la fois locale et nationale aux annonceurs, conjuguant l'affinité locale, la proximité avec la qualité nationale. Tout ceci bien sûr est présent sur le Web, les stations comme le réseau, avec ce que cela apporte de données pour alimenter une DMP (Digital Media Platform). C'est un filon que convoitent Google et Facebook, notamment pour le local.

Le législateur a choisi pour la France une politique de télévision jacobine à base nationale, centralisée plutôt que locale. La télévision est conçue comme un ferment de culture républicaine capable de contribuer à l'homogénéisation d'une culture nationale ("La Voix de la France"), de réduire les différences (culturelles, langagières notamment), de promouvoir l'intégration. Comment concilier cet objectif politique, social et culturel de cohésion sociale et d'égalité avec une ambition locale ? Une "monarchie républicaine" avec la citoyenneté médiatique locale ?

Quelques références

CSA, Étude sur les conditions de réussite de la télévision locale en France sur la base d'une comparaison internationale, 2010. N.B. Hélas, si la comparaison prend en compte le Canada elle omet les Etats-Unis.
Rapport annuel 2014, ici.
Télévisions locales nationales et thématiques, le journal professionnel, ici.
Télévisions locales (actualité des), ici.

Stations prises en compte par l'étude TV Locales de Médiamétrie (septembre 2014 - juin 2015) :

  • 26 stations en régions : Alsace20, Canal 32, D!CI TV, Grand Lille TV, LCM, LCN, LMtv, Ma Télé, Mirabelle TV, Normandie TV, Tébéo, TébéSud, Télénantes, Télim TV, TLT, TL7, TLM, TV7, TV Fil78, TV Sud Camargue-Cévennes, TV Sud Montpellier, TV Tours, TV Vendée, TV Rennes 35 Bretagne, Vosges Télévisions, Wéo 
  • Pour l'Île-de-France : 4 chaînes de Canal 31 (BDM TV, Cinaps, Demain!, Télé Bocal), IDF1 auxquelles s'ajoutent, curieusement, BFM Business et France 24 (chaînes nationales, voire internationales).

lundi 25 mai 2015

Revoir "Mad Men"


La première diffusion de la série américaine Mad Men s'est achevée en mai 2015. C'est l'occasion de revenir en arrière, aux premières saisons et, peut-être, de revoir les épisodes du début comme autant de flash-backs du dernier épisode. La série, en effet, croise et tisse, en un subtile montage, les éléments biographiques des principaux personnages pour faire entrevoir leur destin provisoire.

Lors du premier épisode, nous étions au début des années 1960. Au dernier épisode, nous sommes en 1970 ; la série a vécu au rythme de la vie de son héros, le temps de l'action y est celui de la représentation. Classique !
Le premier épisode de la série fut diffusé en juillet 2007. Au cours de huit années et 92 épisodes, le personnage central aura passé par plusieurs vies, dont certaines évoquées en flash-backs : enfance malheureuse et gâchée, soldat en Corée, vol d'identité, déserteur, ancien combattant, vendeur de voitures, publicitaire adulé et riche. Deux mariages, deux divorces, trois enfants. De nombreuses amitiés amoureuses. Et malgré tout, la solitude silencieuse d'un homme qui n'a plus guère d'importance pour les siens, hors l'agence de publicité où on l'attend au retour de ses errances (J. Walter Thompson, la première agence de publicité à cette époque). Dès le premier épisode de la première saison, Don Draper n'avait-il pas annoncé la couleur : "You're born alone, and you die alone, and this world just drops a bunch of rules on you to make you forget those facts, but I never forget".

Durant l'épisode final, Dick Whitman alias Don Draper repasse par les divers personnages qu'il a endossés sa vie durant, effeuillant les couches successives de sa vie, comme on enlève les pelures d'un oignon (*). Les derniers contacts, avec sa femme, sa fille, une collaboratrice ne se feront plus que par téléphone.
D'abord, il doit entendre que, à force d'avoir été absent, sa femme, ses enfants ne comptent plus sur lui. Puis, dans des scènes à la Kerouac, on le verra, tel un "fugitif" On the road (**), jouer les anciens combattants puis donner sa voiture à un jeune homme qui lui semble ressembler à ce qu'il fut jeune homme. Toute sa vie jetée en vrac dans un sac de papier, il arrive en Californie et pour échouer dans une communauté où l'on prétend aider les âmes égarées à se retrouver grâce à la méditation et l'écoute. Finalement seul, prostré, en proie à la dépression, il semble vouloir "disparaître de soi". Au cours d'une thérapie de groupe organisée par la communauté, il se jette au cou d'un homme comme lui perdu, vidé qui confesse son désarroi d'être sans importance pour les autres. Communion, empathie, révélation ?
Au bout de son odyssée, dernier plan de la série, Don Draper, assis en tailleur, regarde le Pacifique, et il a, comme en rêve, l'intuition mystique d'un message publicitaire TV, irénique et œcuménique, pour Coca Cola, le premier des annonceurs, le budget sur lequel il est censé travailler.
La série diffuse le message et plante là ses téléspectateurs. C'est fini.

Depuis, les commentaires vont bon train. Fin ou relancement de carrière ? La création comme re-création ? "Dépouiller le vieil homme" ?
Don Draper a vendu son appartement, donné sa voiture. Etre plutôt qu'avoir pour mieux voir. Changer de peau, de vie ? "You live only twice // Or so it seems // One life for yourself // And one for your dreams" (***), prévenait une chanson de la bande son de la saison 5.
Dernière phase d'une phénoménologie de l'esprit publicitaire : le "savoir absolu" publicitaire, la création comme vision mystique, délestée des outils du marketing qu'elle transcende (enquêtes, sondages, focus groupes, études de marché ...) ? Dans le premier épisode, Don Draper jette à la corbeille l'étude réalisée par la psychologue plus ou moins freudienne du service études pour le budget Lucky Strike (N.B. Freud n'a, sa vie durant, cessé de fumer !).
Mad Men n'en a pas fini de faire penser la publicité, sa place dans la culture, mieux que bien des travaux hérissés de statistiques et de concepts. Beau sujet de réflexion épistémologique.


* Pour reprendre l'expression qui a donné son titre à l'autobiographie du romancier allemand Günther Grass, publiée en 2006, Bei Häuten der Zwiebel ("par les peaux de l'oignon"). L'une des pelures révèle qu'il fut incorporé dans la Waffen SS... ce qui avait été tu, omis jusque là !

** L'empreinte culturelle de ce roman se perçoit tout au long de la série et de ses choix musicaux. Pour Bob Dylan, The Doors, David Bowie On the Road est une référence majeure...

*** "You only live twice", interprétée par Nancy Sinatra dans le 13ème épisode. A l'origine, chanson d'un James Bond (1967). Les chansons de la série sont partie intégrante de la narration.

lundi 18 mai 2015

Twitter, Facebook and Beacons: construction of a social proximity

A Facebook's beacon in Strand's Rare Books
division (Source: GeoMarketing)

Twitter Ventures, Hearst Ventures and SoftBank Capital, three major media groups, have invested $18 million in Swirl, a start-up (2011) specialized in micro-location with beacons ($32 million in 3 rounds). Swirl's motto is: "beacon powered marketing at scale".

The demand of retailers and advertisers for beacon technology (indoor positioning) is growing: over 1 million indoor location deployments by 2020, says ABI Research. One can expect the majority of big retailers and malls to adopt this in-door advertising technology and deploy beacons in their stores. For instance, Mobiquity Networks will provide beacon technology to Macerich (300 malls, 37,000 storefronts, "America’s largest mall-based beacon mobile advertising network just got bigger" ). Apple has its own standard: iBeacon for iOS devices.
Beacon wireless sensors use Bluetooth Low Energy (BLE). They are produced by companies like Estimote and kontakt.io. They allow brands and retailers to push promotion and advertising to consumers carrying a smartphone in the proximity. It is real-time, location-based advertising. The beacons will be able to link and coordinate online and offline marketing, which will thereby become fully programmatic (Swirl already offers a programmatic platform).

With beacons, the total environment is becoming interactive, engaging not only shoppers but also museum, stadium and amusement park visitors, travelers and commuters, tourists, at the very Moment Of Truth (or ZMOT as Google calls it). Advertisers reach the consumer at the point of sale.

Meanwhile, Facebook is implementing its own beacon technology pilot (Place Tips) in a few stores in New York (among the stores, the second-hand bookstore Strand, cf. supra). In France, the Monoprix supermarket chain is testing beacons and geofencing with Catalina C-wallets in the Paris region (22 stores in the test).

What will Twitter use the Beacons for?

samedi 16 mai 2015

Data et audiences : un mixte pour le médiaplanning TV


La régie du network américain NBC Universal (NBCU) commercialise désormais son espace publicitaire en mêlant à ses audiences (peoplemeter de Nielsen) des données de comportement collectées par le câblo-opérateur (set-top boxes de Comcast). Analytiques mixtes.
Dans le cadre des présentations commerciales effectuées pour les ventes upfront, NBC utilise les données pour l'analyse de ses audiences à fin de ciblages (Audience Targeting Platform, ATP). Les données de Comcast s'ajoutent aux données extérieures (third-party consumer data) provenant éventuellement de courtiers en données (data brokers). Mais ce ne sont pas tout à fait des données third-party, plutôt first-party puisque le câblo-opérateur et NBCU appartiennent au même groupe.
La question du respect de la vie privée est traité par l'anonymisation des données et leur agrégation.

Avec cette plateforme NBCU dispose d'un avantage compétitif certain ; les autres networks ne peuvent accéder à de telles données puisqu'ils n'appartiennent pas à un grand câblo-opérateur (MSO). Comcast, rappelons-nous, compte 22,375 millions d'abonnés haut débit video et 22,369 millions d'abonnés broadband. 30% des abonnés utilisent TV Everywhere (TVE) permettant une mesure multi-plateforme.

Cette alliance de données et d'audience permet à la responsable de la régie publicitaire de NBC de présenter le Network TV comme le cœur de l'écosystème média, situé : “It’s what fuels it all” souligne-t-elle. Ainsi doté, le network est supérieur aux réseaux sociaux diffusant de la vidéo  : YouTube, Twitter ou Facebook parlent de la télévision, indirectement, NBC sait de quoi il parle et dispose de la puissance de ces contenus.

N.B. 
  1. Comcast avait préféré surseoir à la mise en place de la plateforme de ciblage durant les négociations de la fusion avec Time Warner Cable afin de ne pas inquiéter la FTC qui aurait pu y voir un abus de position dominante (le projet de fusion a échoué). Ceci peut indiquer l'avantage qu'une telle plateforme apporte à la régie.
  2. La plateforme est utilisée également pour le suivi et l'amélioration de la relation client (CRM, abonnés Comcast).

vendredi 15 mai 2015

"Mr Selfridge", histoires de la grande distribution


"Mr Selfridge" est une série de PBS (Masterpiece, 2013), une co-production de la station WGBH (DMA de Boston) et de la chaîne commerciale ITV (Grande-Bretagne). Elle compte 3 saisons et 30 épisodes (2013-2015).
Le personnage central de la série est Harry Gordon Selfridge qui ouvre un magasin à Londres en 1909. Américain du Middle West (Wisconsin), il a commencé sa vie professionnelle à Chicago dans les luxueux magasins Marshall Field's (ouvert en 1852). Les magasins Selfridges existent toujours.
La série parcourt l'histoire du début du siècle à travers la vie de ce grand magasin emblématique de la modernité. En effet, la seconde partie du XIXème siècle a vu le développement de grands magasins multi-spécialistes, organisés en départements (department stores). Ces magasins sont conçus comme des monuments, "cathédrales du commerce moderne", dira Emile Zola, "faites pour un peuple de clientes" : à Paris, ce seront Au Bon Marché (avec une architecture métallique de Gustave Eiffel, 1852), Le Bazar de l'Hôtel de Ville (1856), Le Printemps (1865), Les Galeries Lafayette (1894), les magasins A l'Innovation en Belgique... On se souvient que Joseph A. Schumpeter prend la distribution pour illustrer le concept de destruction créatrice (Capitalism, Socialism and Democracy, chap. 7).
Peu de temps avant "Mr Selfridge", il y eut une série intitulée "The Paradise", diffusée d'abord par la BBC (2012) puis par PBS aux Etats-Unis et finalmeent par Netflix ; la série, qui était inspirée du roman d'Emile Zola, Au bonheur des dames (1883), connut un moindre succès d'audience et dut s'arrêter après 2 saisons, souffrant de la concurrence de "Mr Selfridge".

Dans Mr Selfridge, le siècle voit émerger de nouvelles techniques de marketing. C'est d'abord la puissance continue des investissements publicitaires de la grande distribution et la pression qu'elle lui permet d'exercer sur la presse via l'achat d'espace. C'est la création d'événements artificiels pour promouvoir l'image du magasin qui fait ainsi son actualité : les photographes de presse sont omniprésents, couvrant chaque pseudo-event qu'il s'agisse de Louis Blériot, qui vient de traverser la Manche en avion et pose devant son monoplan, de Arthur Conan Doyle dédicaçant ses ouvragess ou de démonstration de télévision, dès 1925... Symbolique, l'heure de l'ouverture : on attend les trois coups, fébrile : comme au théâtre ou au NASDAQ, public et acteurs se tiennent prêts pour le lever du rideau.
C'est aussi l'époque des catalogues, des livraisons à domicile, des défilés de mode, des promotions ponctuelles (ventes flash), des vitrines spectaculaires, thématiques (Wimbledon), du parrainage (actrice, danseuse de l'opéra), de la marque distributeur, du "produit-star", de la logistique, déjà. A Selfridges, on montre les produits, on les exhibe ; le client est roi ("the customer is always right"), on lui laisse regarder les articles de près, les toucher, les essayer, les goûter. Le luxe est à portée de main (Guerlain, Yardley, Coty, Lanvin, Neuhaus...).

Le cœur du magasin, son esprit, c'est la mode, l'innovation de l'image. La clientèle est surtout féminine, de nouveaux rayons sont consacrés au maquillage, aux parfums, aux accessoires. "Give the lady what she wants" était déjà le slogan de Marshall Field's. Un salon de thé est ouvert à l'intérieur du magasin, comme à Marshall Field's. Le shopping est désormais promu comme un plaisir, une activité légitimes. On assiste aux débuts de la consommation de masse grâce à de fortes baisses de prix, au passage du sur mesure au prêt à porter...

Déclaration de guerre, mobilisation, syndicalisme, l'histoire de l'époque est aussi présente au travers de scansions technologiques, l'avion, la télévision, la bicyclette, l'automobile que l'on expose au centre du magasin, le cinéma (visite de Mack Sennett) ; comme dans Downton Abbey, ces innovations technologiques ponctuent la série. La série accorde une place importante au changement de statut social et économique des femmes : le mouvement des suffragettes revendique le droit de vote (National Union of Women's Suffrage Societies, 1897). Quant à la presse, sa fonction publicitaire dans la gestion des ventes est manifeste, le rôle du journalisme dans la fabrication et la manipulation de l'opinion publique est illustrée et dénoncée à de nombreuses reprises.
Après Zola, la télévision romance l'histoire, à sa manière. Bonne occasion de (re) lire le roman de Zola (Au bonheur des dames, 1883 la préface écairante de Jeanne Gaillard).

Mr Selfridge consulte sa montre : c'est l'heure de l'ouverture. Copie d'écran du site de Masterpiece (PBS). Mai 2015.

lundi 4 mai 2015

Magazine féminin ? As You Like... devient Oh! my mag


Oh !my mag : résultat de la fusionne du magazine papier As you like avec le site ohmymag en septembre 2017. Mensuel, 3 €.

As you like par Prisma (Gruner + Jahr), 152 p.
Lancement : 135 000 exemplaires. Trimestriel, 3€. "le meilleur des blogs en version papier". Site web.

ohmymag s'adressait à une cible féminine avec les ingédients habituels : style de vie, tendance, mode, beauté, luxe, cuisine. On dit plutôt lifestyle et food ! Et l'on déclare viser les millenials.

As you like devient Oh ! my mag. Le magazine de Prisma, portait un titre presque shakespearien ! Il avait failli s'appeler Follow, titre abandonné pour des raisons légales. Certes ce titre aurait bien collé à son positionnement éditorial : repérer des influenceurs et les tendances à suivre. Mais avec "comme il vous plaira" (traduction classique du titre de la pièce), le titre regagne des degrés de liberté et un ton est annoncé : légéreté, caprices, espièglerie. Plaisir des consommations et des comportements d'abord...
La couverture le dit en photo : il s'agit d'un magazine féminin et c'est bientôt l'été.

Qu'est-ce qu'un magazine féminin ? 
L'évolution de notre société aligne progressivement le statut des femmes sur celui des hommes et réciproquement, aussi n'est-il plus guère de territoires de consommation strictement féminins ou strictement masculins, hors des "techniques du corps". Reprenons la terminologie classique de Marcel Mauss, anthropologue (1934) : les techniques du corps incluent les soins du corps, le maquillage, les régimes alimentaires, la forme, la santé, les vêtements, la sexualité, la naissance, l'enfance. C'est dans les techniques du corps que presse féminine ou presse masculine trouvent leurs terrains de prédilection respectifs, leur spécialité marketing (Unique Selling Proposition).

Dans un magazine, tout autant peut-être que l'éditorial, la publicité commercialisée énonce et construit a posteriori la cible escomptée. Un magazine qui publie des messages publicitaires pour célébrer et vendre des produits féminins sera dit féminin.
Quels produits trouve-t-on dans As you like, qu'il s'agisse de la publicité ou des rubriques shopping (guide d'achat) ?
Inventaire : joaillerie, soins (épilation, bronzage, coiffure, minceur, régime), maquilllage, vêtements, décoration, accessoires. Voilà pour le cadrage féminin ; ne sont absentes, parmi les techniques du corps, que la naissance et l'enfance qui font généralement l'objet de sous-ensembles spécifiques de magazines féminins. Hors techniques du corps, on trouve dans le magazine de la publicité pour la cuisine, l'automobile et le voyage, qui sont des produits mixtes.

Journaliste ou blogueuse ?
L'innovation éditoriale essentielle du magazine consiste dans le principe d'une collaboration journalisme + blogs et réseaux sociaux (Instagram, Pinterest). Modèle économique popularisé par The Huffington Post. La blogueuse a-t-elle statut de journaliste (formation professionnelle, carte professionnelleetc.) ? Oui, dit le droit français, si la majorité de ses revenus provient du journalisme (cf. article L.7111-3 du Code du travail), oui, par conséquent, si la rédaction d'un blog est reconnu comme journalisme... On tourne en rond.
L'originalité éditoriale de As You Like vient des Blogs Hellocoton (plateforme de blogs achetée par l'éditeur en 2012) : les femmes sont auteurs. Ensuite, vient une sélection trimestrielle de contenus publiés sur les blogs, les réseaux sociaux. Two step flow of communication !
"Le magazine connecté qui explore le web et déniche les talents d'aujourd'hui et de demain", ainsi se définit le magazine. Elargie, la presse devient à son tour média de médias : le numérique a copié et dévalisé le papier ; en retour, le papier s'inspire des seules innovations éditoriales du numérique, les réseaux sociaux. "Stratégie rupturiste", annonce le communiqué de presse de lancement. "Ce magazine va dans le sens de la transformation que vit la presse féminine aujourd'hui, en se servant de son déploiement digital pour se réinventer", explique Pascale Socquet, Editrice du pôle Femmes de Prisma Media. Une volonté de repenser la presse féminine est déclarée, une expérience est lancée ; plutôt que de juxtaposer papier et support numérique, ce magazine organise et orchestre une synergie féconde entre eux. Saluons cette innovation qui se propage (cf. le hors série du magazine Saveurs consacrés aux "Blogs culinaires", 16 octobre 2015 : "nos 50 blogueuses coup de cœur" et leurs recettes).

Des blogueuses comme tastemakers, influençeuses influencées ; "blogger outreach" : les marques suggèrent des tests aux blogs, qui recommandent (ou pas) leurs produits ; ensuite, le magazine suit les blogs, leur emprunte des idées (blogger outreach campaigns). Ainsi, le prescripteur n'est directement ni le journaliste ni la marque.
Innovation éditoriale ? "Le meilleur de la toile", "être au fait des nouvelles tendances en matière de mode, déco, beauté, cuisine, et tourisme au travers de reportages sur des personnalités tendances". Des "personnalités" sont déclarées "tendance", elles sont repérées comme telles par des blogueuses spécialisées dans les tendances : à leur tour, ces blogueuses transmettent les tendances aux lectrices qui les suivent et deviennent tendance, accentuant ainsi la tendance, accélérant sa diffusion : self-fulfilling prophecy ? Magazine people, au second degré ? Prédictif ? Tout cela, sans doute.

Avec As you like, les blogueuses étaient autant actrices - au double sens du terme - que journalistes. Comment, dès lors, ne pas penser aux propos de Jacques dans la pièce de Shakespeare (As you like it, Acte II, scène VII) :

"All the world's a stage, 
And all the men and women merely players;
They have their exits and their entrances, 
And one man in his time plays many parts ..."

Oh ! my mag reprend et mêle des éléments du site Ohmymag (avec appli et vidéo) et du papier As you like. Synthèse logique, qui a sans doute des raisons économiques. La presse se cherche et cherche et semble revenir sans cesse à son point de départ, en le modernisant. La modernisation est dans l'articulation papier / numérique et dans l'articulation périodique / hors-série.

mardi 28 avril 2015

Retrogaming, nostalgie de jeux vidéo


retro Gamer Collection. Le guide ultime des classiques du jeu vidéo, Volume 1, 12,9 €, 196 p. Trimestriel

Automobiles, jouets, jeux vidéo, BD, musique, collection. La nostalgie s'empare de tous nos loisirs. Nostalgie de l'enfance, de l'adolescence, de la jeunesse et de ses jeux. Comme toute chose, le jeu vidéo donne lieu à collections et musées. La nostalgie, la rumination du passé sont parties intégrantes de la culture."Proximité du lointain", disait le philosophe.
Et comme il y aura de plus en plus d'anciens joueurs et joueuses, l'avenir du domaine semble assuré. Actualité et présence du passé : "c'était le bon temps". Aujourd'hui, 7 Français sur 10 jouent au jeu vidéo (source TNS - CNC, 2014). Rappelons que le jeu vidéo constitue la seule expérience de média interactif. L'interactivité, on en parle : seul le jeu vidéo l'a mise en œuvre.

Le jeu vidéo a une quarantaine d'années. Le Retrogaming un peu moins, évidemment. Lié à des consoles et des jeux sortis du marché, il y a longtemps, il leur donne une nouvelle jeunesse ou une retraite active. La nostalgie se traduit aussi par des graphismes de nouveaux jeux reprenant le graphisme d'anciens jeux et par des rééditions (Majora's Mask, par exemple). Avec le jeu vidéo, on assiste à la structuration de plus en plus riche d'une culture : langage, gestes, références, connivences, auteurs, héros virtuels, histoire, etc.
retro Gamer Collection s'adresse aux anciens joueurs et joueuses, aux fans nostalgiques de ces jeux que leur succès commercial a rendu "mythiques". Il est temps que la culture du jeu vidéo acquière une légitimité équivalente à celle du cinéma, de la BD ou de la musique enregistrée, entre autres. retro Gamer y contribue.

Au sommaire de ce "guide" (organisé par genre), on trouve des dossiers, des thèmes, des interviews de créateurs : Sid Meier, l'auteur de Civilization (1991). Tomohiro Nishikado auteur de Space Invaders (1978) et Reisuke Ishida, son designer. On trouve égalament beaucoup de descriptions de jeux et de séries de jeux, des informations et des anecdotes sur leur histoire ; pour les collectionneurs, des informations sur des consoles (Sega Master System, Amiga 500) et des "trésors oubliés" comme l'Atari 8-Bits.
Notons encore, à titre d'illustration de la richesse des contenus : un article sur le très légendaire Shigeru Miyamoto, l'auteur de The Legend of Zelda et de Super Mario Bros, un article sur la longue série des Final Fantasy (Hironobu Sakaguchi), un article consacré au best-of des "bosses", un autre sur les making-of de jeux (le RPG Adventure, Lode Runner, Carrier Command)...
Voici Video GAMER Retro
N°1, Juillet 2017, 6,9€

retro Gamer arrive alors que le jeu vidéo finit par faire sa place parmi les pratiques culturelles et les médias de l'époque. Il aura fallu le temps. De même que la télévision fut assimilée à une drogue, on a accusé les jeux vidéo de tous les maux, ennemis de la réussite scolaire et de la santé des adolescents, promoteurs de violence.
On dénonce la manière dont sont traitées les femmes dans la culture et l'industrie du jeu video, ce qui devra changer, mais semble encore perdurer malgré la présence dans l'industrie de développeuses et d'auteures reconnues comme Kim Swift, lead developper et level designer pour le légendaire jeu Portal (2007) dont l'héroïne, Chell, et son adversaire GLaDOS sont des personnages féminins. Notons d'ailleurs que la critique de jeux vidéo, Anita Sarkeesian, a été élue par Time parmi les 100 personnes les plus influentes dans le monde. Les femmes sont majoritaires parmi les le public américain du jeu vidéo (52%), statistique qui devrait finir par mettre fin aux clichés macho (cf. Aja Romano, "Adult women are now the largest demographic in gaming", The Daily Dot, August 25, 2014).
L'esthétique de retro Gamer (licence de Imagine Publishing, éditeur anglais qui publie aussi Now Gamer) est en phase avec celle des jeux vidéo qu'il célèbre. Spontanément, on se dit que le jeu vidéo a plus d'affinité avec le Web qu'avec le papier (on compte quand même plus de 400 nouveaux titres et hors série consacrés au jeu video depuis 2004; Source : Base MM). Peut-être s'agit-il plutôt, entre support papier et suport numérique, de division technique du travail ; avec Retro Gamer commence un travail à vocation encyclopédique : le papier convient bien à cette célébration et n'exclut en rien les diverses présences numériques. Attendons les tomes suivants.


Sur les risques du Retro Gaming, voir, ci-dessous le webcomic de xkcd (pour initiés !) :
xkcd, #606, July 6, 2009. Allusion aux jeux de Valve Corporation, Portal et Half-Life2. Pour l'explication, voir ici.

samedi 25 avril 2015

La montre, un écran de plus. Le troisième ?


La montre Apple est, pour l'instant, un événement média construit par Apple et ses thuriféraires. Normal. Mais, passé le bruit de l'événement commercial, viendront des changements silencieux qui affecteront sans doute la tectonique des plaques médiatiques. La montre est le nec plus ultra de la portabilité, de la proximité et de l'intimité. Liée à l'iPhone, elle l'est aussi au iBeacon (capteur capable de notifier sa présence à des passants, et d'entrer en communication avec eux via Bluetooth). Jalon essentiel pour l'Internet des choses. Toute l'économie des médias en sera altérée, celle de l'information et, plus encore, celle des réseaux sociaux.

Comcast, le plus grand des câblo-opérateurs américains (MSO) a proposé, dès le lancement de la montre, une application Apple adaptée à la consommation télévisuelle des abonnés à son service. L'appli XFINITY TV concerne l'iPhone, l'iPad et la montre. Avec elle, la montre devient à la fois un guide TV et une télécommande du téléviseur et de l'enregistreur (DVR). Pebble avait déjà testé ces territoires mais, avec Apple, tout change désormais de dimensions.
Avec la montre, un troisième écran s'insère dans la consommation télévisuelle, compliquant et affinant encore davantage le travail d'analyse globale de cette consommation, y apportant encore plus de data comportementales.
On peut évidemment imaginer que la promotion des émissions sur la montre soit vendue aux chaînes linéaires, tellement dépendantes des horaires.
Quant à la lancinante question de l'appartenance des données, elle se posera de manière exacerbée (droit de propriété).
Copie d'écran du site de Comcast Corporate

mercredi 22 avril 2015

Ex _Machina. Le cinéma passe le test de Turing


Affiche du film dans un multiplexe Regal
à Cambrige (MA)

Le thème central de ce film britannique de science fiction est le test de Turing et la singularité, ce moment où, selon l'expression qui donne son titre au livre de Ray Kurzweil, l'intelligence naturelle, humaine est dépassée et décuplée par l'intelligence artificielle (Singularity is Near. When Humans Transcend Biology, 2005). N.B. Ray Kurzweil dirige actuellement la recherche chez Google (director of engineering).
Quant au titre du film, ex machina, il renvoie à l'expression grecque plus connue par sa traduction latine, "Deus ex machina", c'est à dire "dieu sorti de la machine" ("ἀπὸ μηχανῆς θεός"). Le film d'Alex Garland, dans les salles aux Etats-Unis dès avril 2015, sera dans les salles françaises en juin.

Science-fiction : dans le film, une machine passe finalement le test de Turing. L'intelligence de l'automate a été alimentée massivement en données, entre autres, par toutes les conversations téléphoniques enregistrées sur les téléphones mobiles du monde entier. Grâce aux caméras des téléphones portables qui sont allumées en permanence (machine vision), l'androide est ainsi capable de mimer des émotions et de détecter des micro-expressions, de percevoir des sacasmes. Forte de ce capital communicationnel et langagier mis à sa disposition, l'intelligence artificielle s'accroît de manière autonome grâce au machine-learning.
L'automate prend corps de femme et là se noue l'intrigue. "ex_machina" allude sans doute au roman de science-fiction de Villiers de l'Isle-Adam, L'Eve Future, publié en 1886, où se trouve l'une des premières occurences du terme androide (l'héroïne du film s'appelle Ava).

Bien sûr, le film n'entre pas dans les détails techniques de l'intelligence artificielle ou de la robotique, mais les allusions sont nombreuses, clins d'œil complices aux spectateurs initiés. Restent des questions éludées, par construction narrative : comment l'androide fait-elle pour parler (processus stochastique et chaînes de Markov sont évoqués dans les dialogues), comment fait-elle pour se déplacer (il faut imaginer une robotique extrêmement avancée !) ?

La fiction l'emporte sur la science. Normal. Et dans cette fiction, le futur reste prisonnier du présent et de nombre de ses représentations, sexistes entre autres mais n'oublions pas qu'une déesse sort de la machine ! Tous les ingrédients de la réflexion actuelle sur le monde numérique et ses clichés sont présents dans le film : invasion constante de la vie privée, le codeur génial, naïf et modeste de la grande entreprise Web mal à l'aise dans le monde réel, la sécurité et l'Internet des choses, etc. Mais surtout, en filigrane, la peur d'un développement incontrôlé de l'intelligence artificielle qui menacerait l'avenir de l'humanité hante le film. Apprentis sorciers ?

N.B. Penser aux déclarations de Hiroshi Ishiguro, professeur de robotique à l'université de Osaka, qui prévoit que des androides joueront des rôles d'acteurs, de chanteurs, de modèles. La question clé de l'intelligence artificielle reste selon lui celle de l'implémentation de désirs et d'intentions. cf. Anthony Cuthberston, "Hiroshi Ishiguro: Robots like mine will replace pop stars and Hollywood actor", International Business Times, April 21, 2015.

Affectiva, société spécialisée dans la reconnaissance des émotions a levé 14 millions de dollars pour donner des émotions à des robots (mai 2016).

mercredi 15 avril 2015

TV programmatic: the future is coming


Programmatic advertising is a logical evolution of the digital market. Many signs show that TV will soon join the automated planning / buying process.
Not only will automation optimize transaction costs (workflow: RFP, invoicing, etc.) but data will greatly improve targeting precision and monetization.
First there will be a hybrid phase, with one part of the inventory still being sold manually for linear TV. Then, little by little, linear TV and video will converge: already Google and traditional people meter panels work together to bring common data to both in many countries.
  • The Clypd advertising platform just raised almost $20 million. Who invested? The RTL Group, followed by previous investors. The RTL Group, a major German media group, recently bought a majority of the video ad platform SpotXchange ($144 million).
  • TF1, the major French commercial broadcast channel, is launching One Exchange IPTV, Real Time Bidding (RTB) for catch-up TV programs (MYTF1).
  • Google brings its own tools to linear TV and OTT. In Kansas City, where Google provides GoogleFiber, DoubleClick has tested inserting addressable ads into linear set-top boxes (with mDialog, its "smart stream platform"). DoubleClick for Publishers will help publishers to forecast TV inventory and plans for the upfront market.
  • Videa (Cox Communications) partners with Videology for "converged cross-screen advertising across digital video and linear TV" (among Videology's investors: Comcast Ventures). Broadcast advertising campaigns will be optimized using data.
  • WideOrbit launches, with Tubmogul, a marketplace for local braodcast  (spot). Among WideOrbit Investors, Hearst Ventures.

jeudi 9 avril 2015

Drones : du loisir au professionnel


Drone Multirotor. Le 1er magazine sur l'univers des drones, bimestriel, version numérique.
5,9 €, 84 pages

Voici un magazine exclusivement consacré aux drones civils. Publié par le groupe Hommell (Télécâble Sat Hebdo, Echappement, VTT Magazine, AUTO hebdo, etc.), il prend la suite de Hélico RC.
Il exploite la licence du magazine américain Multirotor Pilot publié par un éditeur spécialisé dans les jouets radio-commandés (RC) et les robots.

Connus pour leurs prouesses militaires (cf. Big data militaire et publicitaire), mais aussi comme jouets, les drones ont surgi dans l'univers des médias quand le président d'Amazon annonça sur CBS ("60 minutes", fin 2013) que le distributeur se proposait d'y recourir pour les livraisons (Prime Air). Alibaba a communiqué également sur ses essais de livraison (avec Taobao). Google aussi, (Project Wing, cf. Alexis c. Madrigal, "Inside Google's Secret Drone-Delivery Program"). Et Facebook aussi, bien sûr.
Il est normal qu'un magazine assure la couverture de cette technologie d'avenir en affinité étroite avec le numérique.

Le drone est nommé d'après le mot anglais désignant le bourdon, en raison de son vol stabilisé accompagné d'un bourdonnement continu. Le drone s'apparente d'abord à l'aéromodélisme (le premier article est consacré au salon de Nuremberg) mais on envisage de plus en plus des missions professionnelles pour les drones. Le magazine donne des exemples  : inspection de pylones de GSM, photo aérienne, topographie, tourner la vidéo d'un champion sportif (VTT), réaliser un documentaire sur les marais de canneberges pour la RAI... L'utilisation des drones recourt aux tablettes pour la navigation et, certainement, pour la collecte de données (observations, etc.) et s'insert ainsi dans la nouvelle économie des médias (voir DroneDeploy et ses applis) et de l'information (cf. l'utilisation du Phantom par Stringwire de NBC Universal). Alors que la marine américaine déclare vouloir remplacer les avions traditionnels par des drones (moins chers, etc.), l'avenir commercial des drones semble asuré.

Le magazine propose de nombreux bancs d'essai de drones mais aussi d'appareils photo, de chargeurs de batteries, de contrôleurs de vol, de nacelles. Un article est consacré aux "règles d'usage d'un drone de loisir", le droit du domaine étant en cours d'établissement. Le contenu pratique et les conseils sont essentiels : bricolage électronique (soudure), photographier, recharger des batteries, optimiser le temps de vol... S'y ajoutent un carnet d'adresses, un calendrier, et, pour finir, un article sur les financements de drones par Kickstarter (financement participatif).

La publicité est strictement captive, en affinité avec le marché du drone (régie Profil-1830) : 4 de couverture pour Parrot (drone caméra), des pages pour Drone-consult, Hexadrone, salon Drone days, Droneshop, FP4ever...

Beau magazine, séduisant, donne envie de jouer avec des drones, en attendant - ce qui paraît inévitable - de travailler avec.

N.B. Fin mai 2015, ce magazine est rejoint dans les points de vente par un guide d'achat, L'officiel du Drone (5,95 €, trimestriel) devenu La vie du Drone (trimestriel, 5,95 €).

mardi 7 avril 2015

Is Use of On-demand Becoming Universal?


"Attitudes to online and on-demand content. 2014 Report", April 2015, by bdrc continental for Ofcom, 96 pages.

Methodology: Interviews with a representative sample of 2,678 adults who use on-demand and online services, plus an additional sample of 500 teenagers (aged 12-15).
The online questions cover OTT and streaming, content available via the Internet, apps or through service providers such as BBC iPlayer, YouTube, Netflix, etc. Questions cover VOD (free or paid), video posted on blogs or social networks (Facebook, Twitter), Apple TV, Roku, Chromecast, consoles.
The survey took place in the UK in June and October 2014 (two waves) and took between 12 to 15 minutes.

Key results of the survey
  • "UK adults’ consumption of online and on-demand AV content is almost universal for those aged under 24", says Ofcom
  • Under the age of 24, on-demand is the rule (94%), whether catch-up TV or YouTube. 
  • Under the age of 16, teenagers more often use mobile devices, smartphones and tablets, and less often computers (especially for non-paid long-form and short-form content). 
  • The younger the consumers, the more likely they are to consume on-demand media ; parents are more likely than non-parents to use on-demand media.
  • News video websites are less watched than any other service
Conclusion

Nothing here to surprise us: YouTube and social networks represent real threats for traditional commercial media. Mobile consumption will keep growing. Teenagers today certainly set a trend for the upcoming years.
These results are especially important for publishers and even more so for advertisers: this survey indicates how critical it is to measure all kinds of video consumption instead of TV consumption on home TV sets only. Cross-device measurement should become universal.
Are we witnessing the beginning of the end of a TV culture: linear, bundled, long-form, consumed on immobile TV sets? Video on-demand is now everywhere.

N.B. 

It would have been interesting to understand the attitudes of non consumers of on-demand media. What proportion do they represent among the total online population ? Why do they not use on-demand media: price, technology?

The report also covers concerns regarding on-demand and online content, on the one hand, and, on the other hand, attitudes towards regulation.

jeudi 2 avril 2015

Cours de gestion des médias par la Cour des comptes


La Cour des comptes publie son analyse de la situation de Radio France (2004-2013) : Radio France : les raisons d'une crise, les pistes d'une réforme. Avril 2015, 238 pages (dont 43 pages de réponses des adaministrations et organismes concernées).

Peu d'a priori idéologique ou partisan autre que le bon sens de gestion dans ce texte. Difficile de ne pas s'étonner, naïvement, des éléments mobilisés pour son diagnostic par la Cour : Radio France étant financée par l'impôt (90% du CA provient de la redevance), il est logique d'en attendre une gestion rigoureuse, et un style de vie frugal.

Or Le Canard enchaîné, qui se délecte de tels scandales, c'est son métier de journaliste, vient par trois fois successives d'épingler la gestion de Radio France pour des dépenses somptuaires incompatibles avec la gestion publique, pour des privilèges difficiles à admettre par les contribuables (voiture de fonction et bureau luxueux, frais de conseil en image, etc.). Toutefois, l'Inspection générale des finances ne verra aucun "caractère anormal" dans ces dépenses.
Canard et Cour des comptes, même combat ? "S'assurer du bon emploi de l'argent public, en informer le public", stipule la devise de la Cour.

L'analyse de la Cour des comptes dénonce, en une belle euphémisation, "une gestion peu rigoureuse", qu'il s'agisse des achats ou de la gestion de la masse salariale (4 300 employés).
La Cour des comptes recommande, entre autres, "la mutualisation dans le domaine de l’information et la création d’une rédaction unique" donc de "fusionner les rédactions de France Inter, France Info et France Culture"). Soulignant "l’intégration incomplète du numérique", les magistrats de la Cour demandent à Radio France d"accélerer la mue numérique". Métaphore malencontreuse, car il s'agit plus que d'une "mue", plus que d'un changement de peau ou de plumage : c'est une révolution, un changement de paradigme, de modèle économique qui demandent des actions radicales. En fait, plus encore que la gestion courante, c'est le modèle économique du média qui est en question. Même le mot "radio" ne convient plus tout à fait pour nommer ce média.

NPR, un autre modèle de radio publique

Le rapport évoque d'autres modèles de radio publique nationale européenne : Belgique (RTBF), Danemark, Grande-Bretagne (BBC). La radio publique américaine aurait pu être étudiée également, pour son articulation efficace du local et du national, notamment, et pour son mode de financement.

NPR (National Public Radio), réseau américain de 860 stations réparties sur tout le territoire américain, emploie 840 salariés. NPR fédère et coordonne des stations membres, à qui elle propose et vend des programmes (130 heures par semaine) et une interconnexion satellitaire.

NPR ne gère pas de station de radio - ceci est laissé à des initiatives locales indépendantes. NPR s'autofinance, les stations membres du network payant les programmes qu'elles diffusent (fees, qui repésentent la moitié de son CA).

L'Etat fédéral ne contribue qu'à hauteur de 2% du CA de NPR. Le CA de NPR provient également des messages de parrainage (sponsorship) retransmis par les stations (un quart du CA).

Les stations locales fournissent, le cas échéant, des sujets au network national "stations are partners in newsgathering" (station reporting). Les stations locales, indépendantes, sont d'abord financées par des donnations des auditeurs et, ensuite, par le parrainage local. Les deux tiers d'entre elles sont associées à des institutions universitaires.

N.B. Sur la structure du network de radio publique, voir npr radio and public media.
Sur les finances de NPR, voir public radio finances

lundi 30 mars 2015

TabletTV, télé mobile, gratuite, sans câbles

L'antenne de réception de TabletTV. Source : TabletTV

TabletTV a débuté à l'occasion de Noël 2014, à San Francisco.
Le lancement s'est effectué en collaboration avec une station indépendante appartenant à Granite Broadcasting, KOFY-TV (TableTV est une JV de Granit Broadcasting et Motive Television, une entreprise de technologie).
TabletTV est une JV (1992) de Granite et de Motive Television (entreprise londonienne).

Pour recevoir TabletTV, il faut avoir téléchargé l'application sur sa tablette (gratuite dans l'App Store de Apple) et utiliser l'antenne fournie (TPod, tuner ATSC) associée à un enregistreur (VCR d'une capacité de 7 GB). Le signal capté par le tuner est retransmis à la tablette via Wi-Fi.
Le slogan de TabletTV est "Set Yourself Free" : libérez-vous ! du téléviseur et de ses câbles, des antennes, des abonnements, des horaires de la télévision linéaire. TabletTV apporte aussi la mobilité.

Pour bénéficier de TabletTV, il faut payer 89,95 dollars, une fois pour toutes. Ensuite, il n'y a plus rien à payer, que l'on regarde en direct ou que l'on enregistre. Toutes les stations terrestres gratuites du marché (broadcasting, standard numérique ATSC) sont accessibles, soit une cinquantaine à San Francisco (DMA N°6), TabletTV couvre donc de facto tous les grands networks, commerciaux et publics. La réception pour l'instant est réservée aux tablettes iOS (Apple, iPad), la version android sera proposée un peu plus tard. TabletTV propose également un guide de programme (EPG).
A terme, le service sera disponible dans d'autres marchés (DMA), s'ouvrira à d'autres appareils (smartphones) ; la VOD / SVOD seront également accessibles.
Pour les stations de la télévision locales et les chaînes nationales (networks) qu'elles retransmettent, l'inconvénient de cette solution est que leur audience, échappant au téléviseur, échappe à Nielsen et à ses audimètres. Audience non mesurable, audience non vendable : bonne affaire pour les annonceurs !

Voici une solution nouvelle, une de plus, pour dispenser les téléspectateurs de s'abonner aux services d'un opérateur TV (câble, satellite, télécoms). Après l'échec de Aereo pour des raisons législatives, après le développement d'une solution OTT voisine par CBS All Access, avec Syncback, la mobilité gratuite et commode (cord-cutting ou cord-never) revient sur le devant de la scène télévisuelle américaine.

En Grande-Bretagne, Tablet TV a été également lancée en décembre 2014, juste avant Noël. TabletTV UK permet de recevoir Freeview, le bouquet de chaînes terrestres.


vendredi 20 mars 2015

Investissements publicitaires : le numérique d'abord


L'IREP a publié les données d'investissements publicitaires pour l'année achevée (2014). Il s'agit de recettes nettes. Cette donnée est de bonne qualité, crédible, utilisable pour la réflexion stratégique. La seule actuellement, à mon avis.

En résumé : l'année fut plate et morose. En gros, à part le numérique, tout baisse ou stagne. Dans les détails, là où s'active, dit-on, le diable, il y a deux données plus engageantes, confirmant une inflexion du marché publicitaire :
  • le mobile : +35% (hors réseaux sociaux)
  • l'affichage digital  : + 21% 
Les synergies entre ces deux médias sont structurelles (Wi-Fi, beacon et Buetooth Low Energy, NFC, QR code, etc.) et retiendront de plus en plus l'attention des annonceurs soucieux de contexte et d'interactivité.

Questions de méthodologie :
- on ne sait rien des réseaux sociaux, qu'il faudrait bien traiter désormais à part, compte tenu de l'intensification de leur dynamisme publicitaire.
- comment sont comptabilisés les investissements numériques dans des média classiques (presse, TV, radio, annuaires, etc.) ? Par exemple, un investissement sur le site d'un magazine est-il comptabilisé dans la catégorie presse ou dans la catégorie Internet ? Ou dans les deux ?
- que comprend la catégorie "affichage digital" ? Les transports, les centres commerciaux, les vitrines, les points de vente, etc. ?

Voir, en commentaire ci-dessous, la réponse de Madame Zysla Belliat, Présidente de l'IREP.

Small business is very big business

Copie d'écran de l'appli Ads Manager

Facebook annonce 2 millions d'annonceurs dans le monde (800 000 chaque mois). La majorité de ces annonceurs sont des petites, voire toutes petites entreprises, des PME (SMBs) voire des microentreprises, TPE, auto-entrepreneurs, entreprises unipersonnelles, etc.).

Semble visée par Facebook la très longue traîne des tout petits annonceurs qui recherchent pour leurs messages publicitaires des données rares et très discriminantes, pour le ciblage et la segmentation de précision. On compte 3 millions de microentreprises en France.
Ce sont de tout petits annonceurs qui travaillent avec des petits budgets, généralement sans intermédiaires, sans agences de publicité, procédant par essai et erreur, sans délai. Tout se passe comme s'ils faisaient des tests de campagnes en temps réel. D'ailleurs, un tel produit publicitaire pourrait constituer, pour des agences et de plus gros annonceurs, des occasions de tester les réactions à leurs créations (images, textes ou vidéo).

Avec Ads Manager, Facebook met à disposition des annonceurs des outils simples, à l'ergonomie évidente, qui permettent la gestion des campagnes depuis un mobile. L'appli Ads Manager for iOS (iTunes) permet d'accomplir les tâches courantes de création (édition), d'analyse des performances, de planning et de gestion budgétaire. Le tout sur mobile : Facebook est le média définitif de l'ère du mobile. "Self- média" publicitaire, cette appli abaisse la barrière à l'entrée dans la publicité et assure une réduction des coûts de transaction, d'apprentissage aussi. Simple, toujours à portée de la main, réactivité sans problème, Self-service. La vie sociale inclut la vie économique, le marché et notamment l'économie informelle, "à hauteur d'homme" (cf. Laurence Fontaine, Le marché. Un bien public).
Facebook peut également compter sur la migration vers le mobile des annonceurs du marketing direct, des petites annonces. C'est le marché des annuaires, des médias locaux, de proximité : PHR, PQR, radio, télévision, affichage, DOOH, digital indoor (écrans contextuels).
; elles
Facebook se place dans la tradition ouverte sur le Web par eBay (1995) et par Google (AdWords, 2003). Sa panoplie pour viser le marché local s'accroît des outils de paiement mobile via Messenger, et d'outils de recherche pour le e-commerce (acquisition de TheFind).

N.B. 
En 2012, l'INSEE comptait en France 2,6 millions de Très Petites Entreprises (TPE, moins de 10 salariés ETP) ; elles contribuent pour 9% au PIB et œuvrent principalement dans le commerce, les services aux particuliers et aux entreprises, la construction. Sources : INSEE, BPI France (Observatoire des PME, 2015).

jeudi 12 mars 2015

Netflix et autres OTT font baisser l'audience de la TV


Selon le Cable Advertising Bureau (CAB), la responsabilité de la chute de l'audience des chaînes du câble aux Etats-Unis, baisse observée au cours des trois derniers trimestres (2014-15), incomberait d'abord à la concurrence de l'offre de OTT / SVOD (Netflix, Hulu, Amazon Prime Video, etc.).

La seconde raison invoquée tient au fait que beaucoup de téléspectateurs consomment la télévision sur des terminaux dont on ne mesure pas l'audience (tablettes, ordinateurs, smartphones).

Diagnostic de bon sens : quand on consomme Netflix, on ne regarde pas une autre chaîne en même temps : il s'agit d'une bataille pour le budget temps des téléspectateurs (il n'y a pas de possibilité de multiscreentasking, évidemment).
Les données du CAB recoupent celles déjà notées à propos du vieillissement de l'audience des principaux networks commerciaux nationaux.

Netflix et autres OTT sont donc bien des concurrents frontaux des chaînes de la télévision commerciale traditionnelle. Ce qui amène deux questions :
  • Quel est l'intérêt à terme pour les grands studios de vendre leurs programmes aux OTT et de fragiliser ainsi l'audience et les revenus publicitaires de leurs networks et stations ? 
  • Quel intérêt à terme pour les grandes chaînes de faire bénéficier les OTT de leur puissance commerciale pour vendre leurs abonnements ? Ne se tirent-elles pas une balle dans le pied ?
N.B. (source : Nielsen)
- 41% des foyers américains sont abonnés à un service OTT / SVOD
- 10% accèdent à plusieurs services, 2,5% à 3 services
- les foyers abonnés OTT se connectent durant 2 heures et 45 mn par jour

lundi 9 mars 2015

Réseaux sociaux : gratuité abusive ?


La Commission des clauses abusives (CCA) a publié en décembre 2015 une Recommandation "relative aux contrats proposés par les fournisseurs de services de réseaux sociaux" (Recommandation N° 2014-02). La lecture de ce document en 46 points est un régal et l'on ne saurait trop en la recommander lecture à qui travaille, d'une manière ou d'une autre, avec les réseaux sociaux.

Après avoir stigmatisé la légéreté de rédaction et de présentation des contrats proposés aux utilisateurs des réseaux sociaux, rédaction et présentation qui les rendent difficilement lisibles et compréhensibles, mettant l'utilisateur consommateur en situation d'infériorité (stratégie de condescendance des réseaux ?), la Commission s'intéresse dans le détail à la qualification des données à caractère personnel et à leur traitement (licéité), à leur partage, à leur conservation...
Tout se passe comme si ces contrats étaient parfois rédigés de manière léonine, le réseau s'attribuant la part du lion. Tout se passe aussi comme si l'esprit des lois (code de la consommation, loi "relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés";loi "pour la confiance dans l’économie numérique",etc.) n'était pas le souci majeur des rédacteurs des contrats. Certaines clauses sont même tout bonnement contraires au droit français et européen.

A propos de la gratuité, retenons l'alinéa 14°) qui "recommande que soient éliminées des contrats proposés par les fournisseurs de service de réseautage social les clauses ayant pour objet ou pour effet :d’affirmer que les services de réseautage social sont gratuits".
En effet, l'utilisateur d'un réseau social fournit des données (commentaires, identifications, photos, jugements, etc. ) que l'on peut identifier à un travail. En "contrepartie", le réseau social fournit un service monétisable, très bien monétisé même (vente de données classées aux annonceurs, aux instituts d'études, notamment).

N.B.
  • "you own your story" : 8 (we are 8) est un réseau social qui propose de partager la rémunération des annonceurs avec les visiteurs du site.

mercredi 4 mars 2015

Publicité artificielle et fausse monnaie publicitaire

Illustration copiée de la Homepage de White Ops

La fraude dans la publicité numérique (The Bot Baseline. Fraud in Digital Advertising) : c'est le titre du rapport rédigé pour l'Association américaine de publicité (ANA) par White Ops, entreprise new-yorkaise spécialisée dans la détection de la fraude numérique automatisée, provoquée par des robots (botnets).
Recherche effectuée avec la collaboration de grands annonceurs : Mars, Walmart, Intel, Ford, Colgate-Palmolive, Nestlé, MasterCard, etc. Collaboration compréhensible : les robots coûtent cher aux annonceurs : White Ops évalue le coût de la fraude à 6,3 milliards en 2015.

Quelles sont les principales conclusions du rapport de White Ops ?

La première et plus frappante est que nous sommes tous complices involontaires des robots qui provoquent de fausses impressions. Si nos ordinateurs sont infectés, infestés, parasités, alors c'est d'eux que partent les robots simulant des hits, des recherches. De plus, le robot est contagieux...
  • Les robots frappent surtout la nuit
  • Ils représentent 11% des impressions des campagnes display et 23% des impressions vidéo
  • Ils visent de préférence le programmatique et le retargeting
  • 52% des impressions dites third-party sont produites par des robots
  • Les robots frappent inégalement selon les catégories de contenus : finance, famille, grande consommation alimentaire sont les plus touchées 
  • La part des impressions dues aux robots peut atteindre 62% sur les achats SSP.

N.B.
Sur le même sujet, voir le cas de ZeroAccess, observé par Dell.
Selon comScore, la fraude provient surtout des extensions d'audience. En revanche, toujours selon comScore, les éditeurs Premium auraient circonscrit le problème, réduisant à moins de 5% le taux d'impressions frauduleuses.

lundi 2 mars 2015

L'audience de la télé vieillit, ou pas ?


L'âge moyen des téléspectateurs américains des 4 grandes chaînes commerciales "gratuites" terrestres ("networks") vient de dépasser 50 ans (source : Nielsen via Horizon Media / Brad Adgate). C'est un signal d'alarme pour la publicité télévisée dont la cible privilégiée est celle des 18-49 ans, c'est un atout commercial de plus pour des médias concurrents comme YouTube ou Facebook (cf. "Un Président sur YouTube" ou "Obama et les networks" ou "Facecast: Facebook TV News?").

Et voilà que la ménagère de moins de 50 ans a plus de 50 ans. Une barre symbolique est franchie. Symbolique mais dont il faut tempérer l'importance en prenant en compte l'évolution démographique globale de la population : l'espérance de vie à la naissance est passée aux Etats-Unis, de 66 ans, en 1951, à 76 ans, en 2011, pour les hommes et de 72 à 82 pour les femmes.
Précisions encore que ce vieillissement ne concerne que l'audience de la télévision regardée au foyer sur un téléviseur.

Plusieurs causes peuvent être invoquées pour expliquer ce vieillissement de l'audience mesurée.
  • Le comportement télévisuel de jeunes générations qui se tournent vers les chaînes diffusées en streaming (OTT, SVOD) sur d'autres appareils que le téléviseur (tablettes smartphones, Apple TV, Chromecast, Roku) : Netflix d'abord, Hulu, Amazon Prime notamment. Bientôt HBO... (cf. OTT everywhere: a paradigm shift). A moins que les chaînes traditionnelles n'ajoutent le streaming à leur mode de distribution, comme l'a déjà réalisé CBS avec CBS All Access, l'audience publiée des 4 grands networks semble promise au vieillissement.
  • Le comportement télévisuel de la population dite latino, plus jeune, consommatrice de chaînes commerciales hispanophones grand public (Univision, Telemundo, UniMÁS). 
  • La mesure de l'audience a sa responsabilité aussi : Nielsen mesure mal voire pas du tout la consommation hors du foyer et la consommation sur les appareils mobiles, toutes consommations qui sur-représentent les jeunes générations (NBC signale que 70% de l'audience du talk show "The Tonight Show" échappe à Nielsen...).  
  • Plus que l'audience, c'est la mesure de l'audience qui vieillit.
L'âge n'est pas tout. L'exploitation de data pour les plans média devrait permettre aux annonceurs des ciblages plus discriminants que la cible canonique "moins de 50 ans". Pour être prédictif, l'âge gagne à être analysé à l'aide de multiples données de comportement.