mardi 30 décembre 2008

Dernières nouvelles du musée





Le musée sert à marquer le commencement du passé, tout comme les collections et leurs collectionneurs : quand le musée peint "sa grisaille sur la grisaille", c'est qu'une technologie "achève de vieillir". La paraphrase de Hegel convient à ce mouvement. Les médias vieillissent, ils pénètrent les musées, petit à petit ; des expositions marquent la fin d'une technologie et, partant, d'une époque. Les médias ont une histoire, que l'on étudie peu. Dommage, cet inconscient des technologies a sans doute beaucoup à nous apprendre, à nous, "malades" des technologies.

Berlin fête les 60 ans du disque vinyl, ou plutôt "enterre" le vinyl. L'exposition s'appelle "High Fidelity - Künstlerschallplatten in der Sammlung Marzona" et se tient jusqu'en février 2009 à la Kunstbibliothek. On y expose la collection Marzona, consacrée à l'exploitation du vinyl par des artistes (300 disques). "Haute Fidélité" était dans les années 1950 un slogan publicitaire, comme l'est "Haute Définition" aujourd'hui. 

Le musée permet d'écouter des disques mais l'exposition s'en tient surtout aux pochettes, aux disques illustrés (étiquettes), aux affiches, à des partitions (John Cage, etc.). Usages marginaux mais qui, illustrant les limites du média, en soulignent la place et font voir le travail de débordement de l'activité artistique : ceci n'est pas un disque... Nouvelle ligne de résistance de l'art à la "reproduction mécanique".

On y voit aussi quelques magazines exploitant le disque vinyl comme support complémentaire ou illustratif, "plus produit" déjà. L'histoire et ses musées servent aussi à cela, nous savoir moins modernes que nous aimerions le croire. Une illusion de perdue, c'est toujours cela de gagné !

40 ans : l'espérance de vie d'une technologie, il y a 60 ans. Le VHS et les audio cassettes auront bientôt leur exposition ; combien de temps encore avant que n'y entrent le CD et le DVD ? Que sait-on de l'espérance de vie d'une technologie à divers âges ?


Pour ceux qui lisent l'allemand :
  • Interview du commissaire de l'exposition Michael Lailach avec Egidio Marzona

samedi 27 décembre 2008

La vie contée en numérique (Gad Elmaleh)


Dans son spectacle publié en DVD ("Papa est en haut", novembre 2008), Gad Elmaleh donne une leçon magistrale de sociologie des médias numériques. 
Observateur malin (et participant), il montre l'entrée des objets numériques dans la vie de tous les jours de tout le monde. Non pas leur arrivée pour quelques uns, dits précurseurs ("early adopters" !), proclamée à l'appel des communiqués de presse mais le moment où l'on ne parle plus de ces objets parce qu'ils vont sans dire, parce qu'ils sont désormais la matière première de la langue quotidienne, des métaphores, des allusions et des références. Le moment où l'on parle ces objets. Quel plus juste indicateur de maturité des technologies que leur degré de banalisation langagière ?
Après Gad Elmaleh, on ne suivra plus son GPS comme avant ("Moi, j'aurais pas fait comme ça ... "). Pas plus que l'on n'abordera Facebook ou les textos comme avant. 
Fabuleux numéro sur les textos et le style de communication qu'ils engagent (les smileys, LOL et autres MDR) ; continuité du SMS, du faire-part de naissance à la mort dont la définition métaphorique est d'être à vie "sur messagerie". Métaphysique qui se nourrit d'imaginaire numérique. Le comédien enchaîne avec un numéro sur Facebook, simulé en face à face. Irrésistible : "Ajoute-moi !", "Tu veux être mon ami ?". 
Ressorts comiques et ressorts sociologiques se conjuguent : il suffit d'imaginer les interactions de la "vraie vie" sur le modèle de Facebook ou des textos, pour faire ressortir la connivence et l'arbitraire consensus qui les soutiennent. Ridicule de cette Préciosité numérique.

Les métaphores selon lesquelles Gad Elmaleh donne à voir nos vies empruntent à Internet, au jeu vidéo, mais surtout au téléphone portable (SMS, forfait et boîte vocale).
L'influence des technologies numériques se trahit dans les innovations sémantiques : "être en Wi-Fi avec" quelqu'un (pour dire la symbiose, la connivence), ne plus avoir de réseau (bafouiller), bugger (penser de façon incohérente) ; être en Bluetooth, c'est être ensemble, proches sans se toucher (cf. le "slow en Bluetooth", où l'on ne se tient pas). Sans compter ce qui tourne autour du forfait ("forfait voyelles" pour qui n'articule pas, "forfait sommeil" pour les SMS de nuit : "Tu dors ?"), etc.
Il y a du Montesquieu dans cette approche des Persans numériques, et des modes d'analyses qui font penser aux travaux d'Erwin Goffman ("theatrical frame", "social interaction", "frame analysis"). Quel travail d'analyse, en acte, que l'on entrevoit, mais trop peu, dans le DVD "bonus" !

La distanciation opère par l'humour (et l'on rit de bon coeur ... de nous-mêmes), elle s'élabore avec la reprise des réparties du public par le comédien, l'insertion de pseudos-apartés de spectateurs, par l'évocation répétée du rituel de la scène, la volonté de vendre la mêche. Tout ceci, dans une tonalité comique, rappelle au spectateur son métier de spectateur : il est au spectacle, embarqué et étranger, et le spectacle le lui montre sans cesse, à la Brecht (Kleines Organon für das Theater, 1948). Enchanté d'être sans cesse désenchanté. Pour mieux comprendre.

Quel talent d'explication, qui énonce pour dénoncer, sans cruauté ; on aimerait pouvoir enseigner comme cela, et à coup d'humour, laisser émerger les concepts. Sérieux !

lundi 22 décembre 2008

Publicité et TV publique


"Pour cette édition 2009, le Dakar change de continent pour se retrouver en Argentine et au Chili, du 3 au 18 janvier. France 2, France 3 et France 4 mobilisent pour suivre la compétition une équipe d'une vingtaine de personnes autour de Gérard Holtz qui avait été éloigné des trois dernières éditions du rallye. Du lundi au vendredi, il présentera en direct à 18h00 "Sur la route du Dakar" sur France 2, du samedi 3 au samedi 17 "Le journal du Dakar" sur France 3 à 20h05 et du lundi au samedi "Bivouac" en direct sur France 4 en deuxième partie de soirée (avec rediffusion en 3e partie de soirée sur France 2). Un site web commun aux trois chaînes sera dédié à la course."
J'emprunte la description factuelle de ce dispositif média au magazine TELE SATELLITE.

Le "Dakar" : quelle culture célèbre ainsi, de façon somptuaire, le secteur public de télévision ? Cet ensemble d'émissions ne peut-il être perçu comme une campagne publicitaire "collective" de l'automobile, de l'industrie pétrolière et du transport routier ? 
Car il s'agit bien de publicité : non pas de celle que paie directement et explicitement un annonceur, mais de celle, moins visible, que se paient indirectement une culture, une économie. Simultanément, l'inculcation culturelle et sa "rationalisation". 
Quel message dérive du bruit médiatique qui accompagne ce rallye et ses parrains ? Le modèle socio-économique sous-jacent proposé au public, sous des apparences neutres (spectacle et exotisme), se situe aux antipodes de la défense des transports en commun, du ferroutage, de la protection de l'environnement, de l'automobile verte (greener cars) et des économies d'énergie ... 

Plus de 20 personnes ? Sérieusement ... Pour couvrir un gaspillage social ostentatoire (conspicuous consumption)
 ... Par-delà l'énoncé du problème particulier affleure un problème technique général, celui de la définition d'une publicité réelle, qui échappe aux écrans publicitaires dans lesquels on encadre les messages commerciaux (publicité formelle) entre des séparateurs visuels et sonores (jingles). Heureuse publicité qui évite la stigmatisation publicitaire pour n'en être que plus efficace.
D'ailleurs, comment "piger" ce type d'interventions ? Comment en évaluer les retombées pour le calcul du retour sur investissement des dépenses de communication ? Et d'abord, qui est l'annonceur ? 

mercredi 17 décembre 2008

Politico, triple média


Qu'est-ce que c'est ? Un quotidien papier, un site Internet et un network plurimédia.

The Politico, journal papier, est lancé en janvier 2007, alors que la campagne électorale américaine prend son élan. Objet : la vie politique américaine, vue de Whashington (D.C.), exclusivement, ni de Green Bay (Wisc.) ni de Chine ou d'Allemagne. Politique intérieure, politicienne.
Le journal est publié trois fois par semaine (mardi-jeudi), distribué gratuitement à 32 000 exemplaires, là où souffle la politique américaine (Capitol Hill, etc.), et seulement quand le Congrès est en session. Son bassin publicitaire est local (le DMA de Washington D.C.). Les journalistes, une centaine, viennent de la presse américaine, le rédacteur en chef, du Washington Post. 
Pour construire sa notoriété, The Politico a parrainé et organisé les débats des Primaires des deux partis, en collaboration avec différents médias : Lifetime (pour cibler les électrices), CNN et le Los Angeles Times. Tout est centré sur la période Obama (cf. Mission Statement), perçue comme une occasion de rénover la couverture médiatique de la vie politique.

Politico.com est le site Internet correspondant, avec audio et vidéo. Politico.com compte plus de 3 millions de visiteurs uniques, audience recrutée bien au-delà de Washington (D.C). Son objectif immédiat est d'élargir le financement publicitaire au-delà du DMA pour viser les annonceurs nationaux. Le site fait appel aux contributions de lecteurs (moins de 1 000 mots, rémunérées 100$ si elles sont publiées) pour la rubrique "You Report".
 
The Politico Network a passé des accords de troc, contenu contre espace publicitaire, avec CBS, avec 67 quotidiens régionaux, des radios aussi (plus d'une centaine de partenariats). Avec l'agence Reuters News Agency (Londres), les termes de l'échange sont différents : l'agence et Politico Network échangent des contenus : Reuters distribue des articles de Politico à ses clients abonnés, Politico reçoit 10 photos et 10 articles par jour de Reuters. The Associated Press s'inquiète de cette concurrence, d'autant que CNN, de son côté, se comporte également en agence de presse, sollicitant les quotidiens pour CNN Wire. La crise de la presse quotidienne se propage aux agences de presse.
Le modèle économique de Politico Network (lancé en septembre 2008) est la barter syndication : le média paie le contenu avec de l'espace publicitaire ("barter + cash") que le network aggrège et commercialise. Modèle network donc, mais pluri-média ; le 360° se constitue ainsi à la source. Avec Reuters, le modèle est original : on parle de "reverse syndication".

Objectif global 
Politico entend réformer le journalisme et la presse d'information, alors que cette presse perd ses lecteurs (donc ses annonceurs), sans que l'on sache pourquoi (désintérêt pour le contenu, langue de bois, compromission avec les pouvoirs, prix, commodité moindre qu'Internet, etc.). La transformation vise tout à la fois le modèle économique, la coopération de journalistes professionnels et d'amateurs, et le style journalistique. 

Ce triple média est publié par Albritton Communications (groupe média : dix stations de télévision, toutes affiliées à ABC/Disney, dont celle de Washington, WJLA ; une chaîne d'information locale, NewsChannel 8). Problème : Allbritton est aussi connu pour ses liens étroits avec Riggs Bank qui abrita de manière illégale des millions de dollars volés au Chili par le dictateur et criminel Pinochet (cf. l'article détaillé de Salon.com sur ce point et celui des relations d'Albritton avec la Parti républicain) ...

lundi 15 décembre 2008

Enquête : sexe, TV et Internet


"Je ne vous le fais pas dire"... Lacan, psychanalyste iconoclaste aimait ponctuer son discours de cet énoncé à double sens, suivi d'un long silence appelant à réfléchir ; rien de mieux pour illustrer la situation de l'analyste qui fait que "cela" se dit sans jamais forcer à dire. Il importe que "cela" qui est "avoué" sur le divan le soit librement et que l'analysant le perçoive comme sien.

L'institut d'étude Harris Interactive, à la demande de Intel, a mené une enquête auprès de 2 119 adultes américains sur l'importance d'Internet dans leur vie. Objectif : constituer une sorte d'échelle d'attitudes et y placer Internet au moyen des réponses à des questions adéquates.
Question : préférez-vous renoncer au sexe pendant deux semaines ou renoncer à Internet pour une même durée. 46% des femmes et 30% des hommes renonceraient au sexe. C'est du moins ce qu'ils / elles déclarent à l'enquêtrice / enquêteur. Quant à la télévision, 61% des femmes y renonceraient plutôt qu'à la connexion Internet.

Voici placés quelques barreaux de notre échelle d'attitudes : au plus haut, Internet, après, le sexe puis, au plus bas, la télé. Ce que l'on a fait dire à ces pauvres enquêté(e)s, coincé(e)s par la question, absurde pourtant ! Sérieusement, qui s'est trouvé déjà devant telle alternative, hautement hypothétique : devoir choisir entre sexe et Internet ? Enfin, cela doit dépendre du / de la partenaire, de l'émission...

Que dit ce sondage sinon l'efficacité de la procédure d'enquête qui "fait dire" ? Cela énonce l'efficace des questions fermées, simples à dépouiller et qui produisent à coup sûr des pourcentages et des graphiques, qui font d'excellentes présentations, et qui se commentent comme le tiercé.

"Les faits sont faits". Artéfacts ourdis par l'outil d'enquête. Le questionnaire et la situation d'enquête ont fabriqué un "fait" et une "opinion publique". Ce que dit cette enquête, au mieux, c'est que interrogé(e)s au téléphone par des inconnu(e)s, des américain(e)s sont prêt(e)s à déclarer préférer Internet au sexe. Autrement qu'en situation d'enquête, allez savoir !

dimanche 7 décembre 2008

L'eBook et la presse


Amazon a mis l'eBook au programme de l'édition (cf. post du 20 août 2008), ajoutant une plateforme de plus à la distribution de la presse, et un support nouveau au livre. Amazon compterait 200 000 ouvrages à son répertoire numérique et élargit son offre sur Kindle à la presse. 
Quoi de neuf depuis un an ?
  • Nxtbook Media est une entreprise qui assure le passage des magazines papier au format Internet. On est loin du simple PDF : Nxtbook Media combine le meilleur des deux formats, papier et numérique. Nxtbook Media fournit également les éléments nécessaires à la commercialisation (abonnements, indexation, promotion, échantillons, etc.). Nxtbook Media rénove et élargit le modèle économique de la presse et des catalogues, et tout particulièrement des milliers de titres que l'on ne voit guère dans les points de vente, des titres que l'on ne voit pas, et que l'on ne trouve pas facilement (B2B, par exemple, et, d'une manière générale, tout ce que l'on classe dans la long tail) : "What comes after the newstand". Plutôt impressionnant. Désormais tous ces magazines seront également accessibles via Kindle.
  • Les magazines peuvent accéder à la plateforme Kindle d'autres manières. Ainsi, Newsweek a publié plusieurs "livres" reprenant des articles consacrés aux candidats aux élections présidentielles. Le groupe Tribune Company publie depuis le printemps des magazines conçus pour le Kindle : l'un consacré aux arts et à la culture (abonnement mensuel pour 1,49$), l'autre sur la politique, au même prix, Opinionated (25 articles d'environ mille mots chacun) et un à la finance personnelle (Cash: Personal Finance for Real People, hebdomadaire du lundi). 18 magazines sont commercialisés sur Kindle dont Forbes, Fortune, Time, The Nation, Reader's Digest, Technology Review Magazine, Slate, ... De plus, 28 des plus grands quotidiens américains proposent des abonnements à leur "Kindle Edition".

Voici de bonnes occasions de repenser le statut des contenus et de leur adéquation aux différentes plateformes accessibles à la presse, d'observer comment la presse peut s'adapter aux usages de ses multiples supports.

Sur le plan promotionnel, le Kindle a reçu l'aide (involontaire ?) de Oprah, la plus célèbre et la plus populaire des stars de la télé américaine, le déclarant son "favorite new gadget" au cours de l'une de ses émissions. Résultat : plus de Kindle en stock avant février 2009 ! Joli pouvoir de prescription !

Sur tout cela, peu de chiffres vérifiables pour l'instant (en attendant la prise en compte de l'eBook dans les procès-verbaux de l'ABC). L'eBook, qui en est encore à sa pré-hisoire, est peut-être en train de trouver sa voie. Amazon mène le jeu, mais d'autres suivent : le Sony Reader (57 000 titres), le iRex Iliad, Stanza (application pour iPhone), etc.
Dans le même ordre d'idées, signalons que Google Book Search prend désormais en compte des magazines tels que Ebony, Popular Science, Popular Mechanics, etc. Google scane les articles et constitue, semble-t-il, des archives accessibles au moteur de recherche.

mardi 2 décembre 2008

Quelles études hors foyer ?


Deux informations tombent presque simultanément, aux Etats-Unis, à propos des études hors foyer (out-of-home).
  •  Arbitron Custom Research étudiera l'efficacité publicitaire du dispositif publicitaire de EYE dans des centres commerciaux américains. EYE est une filiale du groupe TV australien Ten Network ; elle met en place et gère les équipements publicitaires hors foyer (aéroports, points de vente, etc.). Il s'agit d'enquêtes plurilocales auprès des adultes (dans le mall) et auprès des teenagers (à la sortie du mall). Manifestement, il s'agit d'une étude de type "intercept survey" : les questions portent sur l'identité socio-démographique, sur la segmentation psycho-sociologique des visiteurs (psychographics), leurs comportements d'achat, et sur leur intérêt pour la publicité. Pour les teenagers, s'y ajoutent des questions sur les intentions d'achat et les consommations média. Tout cela en déclaratif. Objectif, selon Arbitron : comprendre la formation de la relation aux marques (brand awareness).
  • Nielsen suspend son Out-Of-Home Report (réalisé avec IMMI, cf. post du 9 septembre 2008), faute de souscripteurs (seuls ESPN et une agence média avaient signé). Cette étude recourait à un panel local/national de personnes équipées de téléphones portables ad hoc enregistrant l'exposition aux médias.

    Dans les deux cas, on recourt à des panels dont le recrutement est de plus en plus sujet à caution tant le taux de coopération aux études marketing est bas et le risque d'échantillons biaisés élevé. 
    Dans les deux cas, les effectifs sont trop faibles pour permettre des croisements opérationnels fins (avec les variables géographiques notamment, limitant les ambitions du géomarketing). 
    Dans les deux cas, les études sont ponctuelles, interdisant toute prise en compte de la saisonnalité par les analyses. Or la saisonnalité est l'une des variables les plus discriminantes de l'activité commerciale. Sans longue durée, sans continuité, impossible de saisir l'effet des événements dans le point de vente (ou dans le stade, le musée, l'aéroport, la gare, etc.), de la météo, des actions de la concurrence. Faible capacité de modélisation.

    A quoi bon lancer des études hors foyer qui ne soient pas au niveau des études foyer (panel TV) ? Les annonceurs, les médias hors foyer (digital signage, entre autres), les distributeurs attendent des outils plus malins, des données mieux construites, continues et, surtout, directement opérationnelles. 
    A côté de ce quanti tourné vers l'action (automatique, passif, massif, continu, seconde à seconde), le quali garde une place éminente pour comprendre le comportement des consommateurs sur les points de vente : mais il ne s'agit plus alors de déclaratif en chaîne (auquel il devient difficile de s'efforcer de croire), mais d'approches ethnographiques. Celles-ci requierent des enquêteurs formés à l'ethnologie de nos organisations sociales, entraînés (donc bien payés), maîtrisant les outils d'enquête numériques (vidéo, photo, mash-up, micro-blogging, Twitter, etc.). 



dimanche 30 novembre 2008

La tentation du papier


La pente de la presse, récemment, c'est de passer au numérique, corps et biens. Sans trop savoir : oeuvre de Panurge ? Suivre sa pente, pourvu que ce soit en la remontant, recommandait un héros de Gide. Nonfiction.fr suit cette maxime ; c'est un site consacré aux ouvrages récemment publiés : sciences sociales ou humaines, art, philosophie. Tout sauf la fiction ? Presque, car le site ne couvre ni le jardinage, ni le bricolage, ni la cuisine, ni la santé, ni les loisirs créatifs ou numériques. Qui comptent pour une part importante du chiffre d'affaires de l'édition.

Ce titre en ligne, pour son premier anniversaire, s'offre une version papier dans les points de vente (20 000 exemplaires, selon les MLP qui le distribuent. N.B. : sans loi Bichet, il serait mort né). Cet éditeur fait à rebours le chemin de ses concurrents qui commencèrent leur vie dans le papier, pour passer, non sans mal, sur Internet. Rythme trimestriel ; en ligne, il est quotidien, 4,9 € le numéro. Quadri, bon grammage, 100 pages, agréable à feuilleter et à lire. Belle maquette.
Le contenu ? L'objectif de donner envie de lire, d'éveiller la curiosité, d'informer de la parution de nouveaux ouvrages est partiellement atteint. A mon avis, trop de politique politicienne (on a déjà tout entendu, jusqu'à la nausée), impression parfois de communiqués de presse des "piètres penseurs", toujours les mêmes... On attend d'un tel magazine un positionnement plus rare, moins "microcosme", pas news du tout, différenciant... Exemple, la place exceptionnellement raisonnable accordée à la Chine (3 articles), à François Jullien et Anne Cheng (mais on aimerait aller plus loin). 

Peu d'annonceurs pour ce premier numéro : Allocine en quatre de couv, Radio France en 3 (pour les émissions sur les livres), les Editions du Félin en 2 ; à l'intérieur, quelques publicités pour une librairie (Mollat, Bordeaux, le magazine L'Histoire, evene.fr, un site sur l'art, Philosophie Magazine, donc des annonceurs captifs, principalement. Médiaplanning tautologique, conservateur par défaut. Quand même, ni Amazon, ni Gallimard, ni Hachette, ni chapitre.com ... Espace mal vendu ou mal acheté ? Pourtant, c'est dans une revue comme celle-ci que la publicité devrait évoquer les automobiles, les parfums, les montres, les vacances, les ordinateurs ... Evidemment, si l'on ne conçoit les plans médias qu'à partir des données en "bécanes" (AEPM ou OJD) dans les agences média, aucune chance. Car un titre nouveau n'y est pas, restant invisible aux repèrages du marché, aux médiaplanners... En revanche, on apprendrait du site Internet et de ses analytiques (mais je doute que Google Analytics y suffise) ... Associer la régie du papier à celle du site ? Pourquoi pas, même combat de l'affinité, de la long tail ? Transferts d'outils. A étudier ...

600 "rédacteurs", annonce le magazine pour le site. Quel est leur statut ? Journalistes ? "Jeunes chercheurs, journalistes, militants politiques, syndicaux et associatifs et créateurs de sites Internet" dit la présentation au-dessus de l'ours. On n'est pas loin d'une sorte de crowd sourcing restreint... Intéressant.

Alors que les grands prédicants déclarent la presse papier condamnée, le mouvement à rebours de NonFiction.fr suscite l'intérêt. Tentation du modèle mixte ? Oracom prend des riques : pourquoi pas ? Spécialisé dans la presse des télécoms et du numérique (plus d'une douzaine de titres), l'éditeur a l'habitude des esssais et erreurs ... Voici une contribution en acte aux Etats généraux de la presse écrite !

Même si l'on redoute une diminution des ventes de livres et le basculement éventuel des lectures sur suppports électroniques, le modèle économique mixte attire les magazines consacrés aux livres, chacun visant son segment particulier : la non-fiction"l'actualité par les livres du monde" (Books Mag), les romans (Service Littéraire, "le magazine des écrivains fait par les écrivains" consacré aux romans et qui se veut un "Canard Enchaîné culturel") ... pour ne citer que les très récents. 

En suivant ces innovations hardies, à contre-courant, on pense à cette remarque de Stendhal dans Le Rouge et le Noir (II, XI), digne de Mandelbrot : "Quelle est la grande action qui ne soit pas un extrême au moment où on l'entreprend ? C'est quand elle est accomplie qu'elle semble possible aux êtres du commun." En gestion, seul le réalisé prouve le possible ; le non réalisé ne prouve rien, et surout pas l'impossible. Donc, suivons l'avenir de cette initiative.

samedi 22 novembre 2008

Le stade s'habille en numérique : "Field of Dreams" ?


Le stade des Yankees à New York (53 000 places) investit 17 millions de dollars avec Cisco afin d'être à l'heure numérique pour la prochaine saison de baseball (MLB, avril 2009). Les travaux sont en cours.
  • 1 100 écrans HD seront installés ("fan-facing technology"), omniprésents dans tout l'univers du stade, le Yankee Museum, les restaurants, les bars, les boutiques diverses ("concessions stands"), les toilettes, les travées. Chaque écran pourra être programmé individuellement : statistiques sportives, informations sur la circulation, échauffements de l'équipe, météo, alertes en cas de danger (évacuation, etc.), indications pratiques, adaptées à l'emplacement de chaque écran, etc.
  • Le Wi-fi haut débit sera accessible partout pour servir les équipements des visiteurs (smart-phones, Net Pc) et leur donner accès aux boutiques du stade, recevoir les grands titres, s'abandonner à quelque "réseau social" spécialisé (MLB, baseball, fans de l'équipe) ... 
  • Un système de téléconférence (TelePresence) pour communiquer avec les fans. 
  • Des ordinateurs avec écrans tactiles dans les vestiaires des joueurs. 
Le jeu repris sous tous les angles, multiplié, partout, en direct et en bref différé. Rève d'Argus aux cent yeux, tout voir (panoptique) et revoir (Aργος Πανόπτης). Tout ceci est en phase avec une politique de présence systématique du baseball sur les médias mobiles : bientôt les Yankees seront sur tous les téléphones : fantasy games, scores, brêves, réseau social, etc.

Cisco StadiumVision apporte aux Yankees le dernier état de sa technologie avant que Cisco construise un stade portant son nom, Cisco Field (naming) à Fremont (Californie, où jouent les Oakland A's). Cisco est déjà présent dans 60% des stades américains.

Nous assistons au changement de tout l'univers visuel des spectacles grand public, musiques et sports populaires d'abord. Bientôt, la musique savante, les expositions, les musées suivront. A terme aussi, inéluctablement, les univers didactiques (établissements scolaires et universitaires).

Economie. Le stade devient un lieu de vie commerciale, sociale où l'on se rend pour passer le temps autour d'un événement sportif. Avec tous ces écrans, la périphérie devient centrale. Le sport est de plus en plus une expérience numérique, un spectacle omniprésent, un environnement : définition nouvelle du média (forme en acte du 360°). Ce média a besoin de contenus frais pour fuir la rediffusion et l'ennui, de nouvelles manières de filmer, de moins de montages a priori. C'est le spectateur dans sa déambulation qui effectue, à son gré, à son rythme le montage de l'événement. 
Le modèle économique du sport (et du spectacle en général) en est affecté, donnant plus de poids au stade, au local, au direct sur place, donc à l'audience massive et émiettée dans les stades.

Mais comment tout ces contenus offerts seront-t-ils gérés, quelle place sera donnée à la publicité, à la promotion ? Nielsen avait déclaré mesurer l'audience des écrans de Arena Media Network (34 stades, dont le Yankee Stadium et Shea Stadium à New York, le Dodger Stadium à Los Angeles, Wrigley Field à Chicago), mais cette mesure semble remise à plus tard, fautes de clients (cf. post suivant !).

Nostalgie. Avec tout cela, on est loin des petits ballparks de quartiers, soirs d'été, odeurs de hot dog, l'orgue hammond ponctuant les phases de jeu, bancs de bois, home runs guettés par les enfants, mitaine à la main, les moustiques aussi ..."The House That Ruth Built" était dans le Bronx la maison des Yankees depuis 1923. "If you build it, they will come"... Qui viendra rêver dans cet univers d'écrans ? Babe Ruth ? Shoeless Joe ? Will you still "Take me out to the ball game".

mardi 18 novembre 2008

Obama marque contre le football


"60 Minutes", le magazine d'information lancé par CBS en septembre 1968, diffusé en début de soirée le dimanche sur le network national américain a obtenu un taux d'audience de 17,4% pour une part d'audience de 26% (données issues de la mesure partielle, préliminaire, effectuée par Nielsen à partir des 56 marché disposant de l'audimétrie individuelle, qui sont les plus grands marchés / DMA ; les audiences nationales sont disponibles le surlendemain). "60 Minutes" est en tête des audiences dans la tranche horaire 19-20H (prime time).

Le magazine était consacré au nouveau président et à son épouse. Mais cette interview n'était diffusée que par une seule chaîne nationale : NBC diffusait du football, ABC du sport automobile. Fox rediffusait des séries et PBS, la chaîne de secteur public, une programmation locale. On est bien loin des habitudes télévisuelles françaises, si déférentes : le président américain a dû gagner son audience contre le foot !

L'entretien avec le journaliste (Steve Kroft) vaut à "60 minutes" sa meilleure audience depuis neuf ans. L'entretien couvrait les sujets politiques et économiques les plus graves mais aussi des questions plus domestiques, les enfants, l'école qu'elles fréquenteront, le chien que les parents ont promis, la vie quotidienne d'une famille de président des Etats-Unis. Avec une dernière question ... sur le football.

Excellente performance, d'autant que cette audience mesurée ne peut prendre en compte la diffusion sur Internet (dont CBSNews.com) et une grande partie de l'audience différée. Tout ce qui a été regardé hors du foyer, tout ce qui a été regardé sur Internet est ignoré. Cette mesure, pertinente pour les annonceurs, ne rend donc plus compte de l'ampleur de tels événements, qu'elle sous-évalue de plus en plus. 

Cette audience indique aussi la situation d'une chaîne généraliste grand public, dans un pays où l'offre dite "élargie" est vraiment large et touche presque tous les foyers (près de 90% des foyers TV sont abonnés au câble, au satellite ou à l'ADSL) et où la télévision est banalisée. Cela remet en perspective les débats français qui fleurent encore à plein nez le temps béni de l'ORTF. 
Une chaîne généraliste nationale a seule le pouvoir de réunir de grandes audiences autour d'un événement. Et 26% de part d'audience - mesurée -, c'est un événement.

mercredi 12 novembre 2008

Tout à la demande, sans condition


Le bouquet Sky Digital (8,3 millions d'abonnés payants, Grande-Bretagne) vient de mettre sans fanfare son offre de vidéo à la demande (VOD) à disposition de tous, même non abonnés ("non-Sky TV customers") :  "Anybody can use Sky PLayer". "For everybody - no Sky TV subscription required. Sign up is free".
Cette offre de VOD en ligne comprend tous les éléments, désenchaînés, d'une grille de chaîne grand public : divertissement dont sport (Sky Sports Highlights), documentaire, cinéma (pour l'instant seulement annoncé), émissions pour enfants, information, etc.
Il suffit de télécharger et installer un logiciel ... et de payer (7£ pour le pack sport, 1,5£ pour les autres émissions). On est donc loin de l'offre "CanalSat à la demande" qui n'est offerte qu'aux abonnés.

Cette offre inaugure discrètement une nouvelle conception du marketing des programmes télévisés.  
Délinéarisation totale. Pour ceux qui n'en veulent pas, suppression du carcan du bouquet, tout en profitant de son image. Cette offre dessine un nouveau modèle économique, mixte : bouquet ou programmes à l'unité, comme chez la fleuriste. L'offre non-clients constitue de plus une incitation à essayer le bouquet et à s'abonner. Excellente promotion qui rompt avec l'auto-célébration courante.

On voit dans tout cela poindre une évolution de fond : le distributeur prend toute la place et toute la notoriété. La marque distributeur (MDD) pourrait l'emporter sur les marques des chaînes. Tiraillées entre l'émission que souvent elle ne font qu'acheter et le bouquet qui les distribue, les chaînes s'estompent.

Ce qui n'est pas encore clair dans ce modèle : 
  • Quel rôle est assigné à l'enregistrement (qui est une fonctionnalité du Sky PLayer) et à la synchronisation sur divers supports (dont supports mobiles). 
  • Quelle place à la publicité : garde-t-on la publicité d'origine (écrans de coupures) ou commercialise-t-on un nouvel espace publicitaire pour de nouveaux annonceurs ou de nouveaux messages ? 
  • Comment sont mesurées et prises en compte les audiences de cette VOD par les panels audimétriques, selon quel degré de différé (J+1, J+3, J+15) ?
  • Comment l'offre est-elle connue des clients non-abonnés ? Vont-ils y accéder par le guide de programmes en ligne (IPG, "accessible TV listing") ?
  • Aujurd'hui, c'est la chaîne linéaire qui construit et finance la visibilité première des programmes ? Peut-on se passer de cette vitrine ?

mercredi 5 novembre 2008

La TV locale en panne


En France "métropolitaine", la télévision locale est le parent pauvre des médias. Arrivée très tard, longtemps après la télévision d'Etat, centralisée et centralisatrice, et dans ses fourgons (France 3 Régions). Quant à la télévision locale commerciale, tout se passe comme si l'on avait tout fait pour qu'elle ne réussisse pas (des supects ?).
La réglementation a d'abord été hostile, interdisant pratiquement toute publicité locale. Donc pas de business plan possible. M6 s'est risqué sur ce marché dès 1987, à Dijon (avec Le Bien Public), suivant une idée originale, les décrochages de 6 minutes dans une quinzaine de grandes agglomérations. Idée qui aurait pu déboucher sur un network, si la contrainte réglementaire avait été desserrée. Trop tard, M6 semble renoncer.

Depuis quelque temps, le CSA multiplie les autorisations. Mais le modèle économique en place n'est pas convaincant : peu de publicité locale, très peu de publicité nationale (malgré le GIE Télévisions Locales-Publicités dont TF1 assura la régie publicitaire). Certes, dans quelque temps, le passage au numérique fera baisser les coûts de distribution. Pour l'instant, cela ne va pas fort et l'heure est aux réductions d'effectifs, plutôt drastiques (cf. Les Echos du 3 novembre). 
Evidemment, comme toujours, on attend une solution de l'Etat ou des collectivités locales : des subventions, des aides ... Pourquoi ne pas suivre l'exemple de la presse en matière de réseau ? D'autant que la presse régionale est souvent ou fut partie prenante du développement de la télévision régionale (Le Progrès à Lyon, La Dépêche du Midi à Toulouse dont TLT, la station, est déclarée en cessation de paiement, La Montagne à Clermont-Ferrand, Sud Ouest à Bordeaux, La République du Centre à Orléans, etc.). 
En fait, on conçoit encore la télé locale comme un modèle réduit de la télé nationale, et sans doute aussi comme une déclinaison vidéo de la presse. Ce n'est sans doute ni l'un ni l'autre.

C'est l'occasion de revenir sur quelques problèmes fondamentaux laissés en jachère.

  1. Comment penser et organiser l'association de la presse, de la télévision et d'Internet en région (éventuellement de la radio) ? Quelles synergies, quels transferts ? Vise-t-on, comme on en fait  l'hypothèse, le même public pluri-média ? Disposons-nous d'études évaluant l'intersection des audiences entre plusieurs supports, et d'une manière plus générale les usages de l'information locale selon chacun des supports ? Savons-nous si les utilisateurs / lecteurs quittent un support pour passer à l'autre ? Il  serait judicieux de mettre en place un type d'enquête permettant de situer, quantitativement (contacts, occasions de contacts) mais surtout qualitativement (usages), la répartition des audiences locales entre télévision, radio, Internet et presse. Et de suivre l'évolution de cette répartition. 360° local ?
  2. Faut-il encore segmenter radicalement les messages selon les médias / supports ? Si la réponse est positive, comment définir le métier de journaliste, par le média ou par le domaine couvert ? Monomédia ou plurimédia ? 
  3. Faut-il s'appuyer sur une seule "marque média" ? Ou distinguer autant de marques que de supports ? 
  4. Une station locale de plein exercice correspond sans doute pour l'instant à une ambition exagérée. Aux Etats-Unis, elles sont rares (indies) ; une station locale est soit contrôlée et gérée par une grande chaîne généraliste nationale (owned & operated), soit elle lui est affiliée. Le network lui apporte 80% de sa grille, au moins, et 100% de son prime time. Le network va même souvent jusqu'à financer la reprise de certaines émissions afin de leur assurer une couverture nationale. Les networks ne contrôlent que les stations (owned & operated) des plus grands marchés (New York, Los Angeles, Chicago, etc.). Pour compléter leur grille, les stations accèdent au large marché de la syndication, notamment via des contrats de troc (barter syndication). Globalement, la station locale n'est rien sans son network, dont elle peut changer (et inversement). 

L'échec du local télévisuel en France n'est pas un destin. Regardons, par exemple, ce que développent Google ou Facebook pour les petits annonceurs (PME, TPE) : cela indique qu'un marché publicitaire local plurimédia est à construire (la métaphore courante du "gisement publicitaire" qui laisse entendre qu'il suffirait de le "dé-couvrir" et d'y puiser, constitue un obstacle épistémologique). Développons les outils nécessaires au travail média des régies et des agences pour le local : quelle pige locale des investissements publicitaires, quelle mesure régulière des audiences (auditée) ? Ce n'est pas un marché à découvrir mais à construire. Le développement du numérique va mettre de l'ordre dans tout cela.

samedi 1 novembre 2008

Les déclarations, un art du mensonge ?


Tout le monde ment. C'est le fameux leitmotiv de House dans la série de Fox consacrée au diagnostic médical. C'est aussi l'un des postulats, plus ou moins tacite, des sciences humaines, tellement dépendantes des déclarations, confessions, entretiens, questionnaires auto-administrés, histoires de vie ... Informateur, panéliste, enquêté, patient : même combat ? 
Il en va de même avec les déclarations des entreprises qu'il faut traiter avec circonspection, prudence alors que fleurissent les communiqués de presse où elles cultivent pour plaire aux analystes, aux actionnaires, une constante auto-satisfaction.

Voici un cas de déclaration. Le "bouquet de chaînes" allemand, Premiere, est soupçonné d'avoir gonflé le nombre de ses abonnés : ce n'est pas le "bouquet", bien sûr, mais probablement une série de responsables qui ont sciemment menti, du patron à ses subordonnés qui gèrent les fichiers d'abonnés. Dévoilée par News Corp, qui est devenu récemment le premier actionnaire du bouquet (avec 25,01% des actions. Cf. post du 1 mai 2008), l'erreur est désormais publique. Evidemment, le cours de l'action a chuté. On peut quand même se demander comment a été effectuée la due diligence d'acquisition...
On ne sait donc pas exactement combien d'abonnés compte la chaîne, d'ailleurs on ne sait même pas comment sont comptés les abonnés. Un audit conduit par News Corp. reprenant les principes comptables du bouquet BkyB (Sky Digital) en Grande-Bretagne donne des résultats surprenants : Premiere disait 4,2 millions, News Corp dit 3,6 millions, dont seulement 2,3 millions de clients directs.
En presse, les abonnements sont audités régulièrement (selon les pays par l'OJD, par l'ABC, notamment). Pourquoi les abonnements de la télévision (câble, satellite, télécoms) ne le sont-ils pas ? Comment sont comptabilisées les promotions ? Combien d'abonnements payants (et à quel prix), combien de gratuits ?

Or, si l'on ne dispose pas de ces données, fiables, régulièrement mises à jour, publiées après un audit neutre et non d'une déclaration toujours propre à séduire et à mentir (communiqué de presse), comment peut-on caler les enquêtes d'audience ? Comment élaborer, puis fonder, puis, éventuellement, imposer une politique de la concentration des médias ? Comment imaginer une réglementation qui n'aurait pas, préalablement, défini un standard comptable en ce domaine.
Ou bien se résigne-t-on à entériner une sorte de "mentir-vrai" et à se satisfaire d'une méfiance généralisée, chacun ayant sa recette pour cuisiner les déclarations et les faire avaler ?

mardi 28 octobre 2008

Google régie TV. Suite.


Google poursuit son patient et méticuleux travail d’expérimentation dans l’achat d’espace publicitaire. Une nouvelle pierre vient d’être ajoutée à l’édifice : après la radio, la presse, la télé traditionnelle (écrans publicitaires), Google a passé un accord avec CoreDirect, une entreprise majeure de marketing direct en télévision (direct response TV, DRTV). Google apporte à ce métier classique sa capacité d’analyse des résultats, des "réponses", permettant aux annonceurs et aux agences d'optimiser l’efficacité des messages diffusés par les régies des chaînes. Analyses plus rapides, meilleures anticipations du ROI : améliorations décisives alors que les investissements DRTV sont en hausse (+37% en 2007) et qu'ils concernent désormais tout type d'annonceurs, toute marque. 

CoreDirect intègre les données de Google TV Ads (audiences seconde à seconde des messages) dans ses plateforme logicielles, permettant la fusion des données des campagnes achetées et diffusées avec les données de réponses et d’achat de produits provenant des centres d’appel et serveurs des clients. Fusion aussi avec d’autres données publicitaires et marketing (pige, analyse concurrentielle, résultats des campagnes antérieures, etc.). Optimisation de l’optimisation. 

Cette batterie d'analyses illustre le transfert continu vers les médias traditionnels des innovations mises en place avec Internet depuis treize ans, et longtemps suivies avec condescendance par ces médias. 

Par ailleurs, au même moment, Harris Corp. annonce l'intégration de ses produits (logiciels de gestion de la diffusion des messages publicitaires et de l'inventaire, ad scheduling) avec Google TV Ads.


Cette nouvelle étape de la conquête par Google des métiers médias traditionnels devrait intriguer les acteurs du marché publicitaire. Car ceci s’effectue avec la participation, la complicité même des médias, des agences de marketing direct et des agences média, tous avides de résultats claironnables à court terme. Mais, dans le plus long terme, tout se passe comme si régies et agences avaient perdu l'initiative en matière de recherche et de technologies marketing au profit d'études servant leur communication. Cette abdication, ce désintérêt hautain pour la recherche approfondie, ce sous-investissment finiront par porter des fruits, amers ... Pendant ce temps là, Google fait le travail, prend son temps, invente, expérimente à jet continu, avance ses pions commerciaux, apprend le métier en compagnie des médias qui, obnubilés par le très court terme, en oublient l'avertissement proverbial : "He must have a long spoon that must eat with the devil" (Shakespeare, dans une pièce au titre prophétique, "The Comedy of Errors"). Dans cette histoire, chacun verra le diable à sa porte !


mercredi 22 octobre 2008

In memoriam : TV Guide


Le TV Guide a dominé l'univers télévisuel américain. Lancé en avril 1953 (résultat de la fusion par Triangle Publications de trois magazines régionaux), trônant au coeur du foyer TV, ce magazine dominait aussi le médiaplanning presse avec ses 20 millions d'exemplaires (1977), des dizaines de millions de lecteurs, des centaines de millions de lectures, de contacts... En juin 1968, Salvador Dali peint la Une du magazine ... Le TV Guide était la référence et le mode d'emploi quotidien de la télévision populaire, son indispensable complément.

Racheté par News Corp. (News America Publishing) pour près de 3 milliards de $ en 1988...puis fusionné avec United Video Satellite Group (Prevue Channel), puis fusionné avec Gemstar, puis revendu à Macrovision Solutions Corporation, puis revendu à OpenGate Capital ...
Le guide de programme (TV listing) s'est petit à petit révélé incapable de rendre compte de l'offre de programmes TV, a fortiori de guider les téléspectateurs dans sa complexité. Des centaines de chaînes, une régionalisation des offres qui exigeait la multiplication des éditions ont détérioré et l'ergonomie du titre et son modèle économique. Des coûts croissants pour une efficacité décroissante ont finalement eu raison de cet emblème de l'univers télévisuel américain. 

Plus un marché télévisuel se complexifie moins le guide de programmes édité sur papier est pertinent. Ainsi pourrait-on estimer que la santé de la presse TV est un indicateur de pauvreté de l'univers télévisuel. TV Grandes Chaînes, merveilleuse idée, serait ainsi le symptôme d'un marché télévisuel français encore mal et peu développé.

De guide de programmes, le TV Guide est devenu magazine people : quand il n'y a plus rien à dire, il reste encore le people. Tout s'y laisse aller, sport, politique, philosophie, finance...
La TV est un réservoir de people, de "célébrités" qui peuplent notre désert d'intimes étrangers (je traduis, mal, littéralement, "intimate strangers"). Les acteurs et même les animateurs de TV mènent une double vie, dimension du "paradoxe sur les comédiens" (déjà, à l'époque de Molière et Racine, la Champmeslé, Melle du Parc, etc.) : une vie en séries à l'écran et une vie hors série à la ville. Le TV Guide permet de s'y retrouver et de s'y perdre ... si vous avez manqué un épisode des vies de Hugh Laurie (Dr House), misanthrope wittgensteinien ou de McDreamy (Patrick Dempsey), amant impossible dans Grey's Anatomy, père de famille modèle dans la vraie vie. Mais la conversion au people n'a pas suffit pour sauver le magazine : le TV Guide est dans le rouge et vient d'être vendu pour 1 $ symbolique, assorti d'un prêt à l'acheteur !

Le TV Guide vit désormais sa vraie vie sur Internet (y compris mobile), mais ausi sur les réseaux câblés, bouquets satellites ou télécoms. A terme, ces existences séparées devront converger et cette schizophrénie transitoire faire place à un moteur de recherche spécialisé (collaboratif, avec nomenclature, recourant au speech-to-text). Quant aux terminaux mobiles ils incorporeront bientôt une fonction de télécommande (cf. les brevets déposés par Apple, Sony Erikson, etc.). 

Intéressante mise en garde pour la presse européenne alors que les opérateurs TV (câble, satellite, télécoms) ont tous un guide numérique interactif en chantier (Interactive Program Guide, IPG). 
En France, la télévision fait encore vendre des millions d'exemplaires et joue un rôle majeur pour le trafic dans les points de vente : toutefois, tous les grands titres voient leurs ventes au numéro baisser (Souce OJD).

Rappel : en 2008, en France, 7 magazines parmi les 12 premiers pour le lectorat sont des magazines TV (source : AEPM luillet 2008)

mercredi 15 octobre 2008

Présence rédactionnelle à vendre


Selon l'enquête annuelle de Milward Brown pour PRWeek et Maning Selvage & Lee, on estime qu'un responsable marketing américain sur cinq (252 personnes interrogées) a troqué de l'espace publicitaire contre de la présence rédactionnelle : si vous parlez de mon produit, de mon entreprise, je placerai de la publicité dans votre média. Play-for-play ! 
Plutôt que condamner bien haut ce qui se fait tout bas, interrogeons cette pratique ! Ne représente-t-elle pas le passage à la limite de notions de médiaplanning telles qu'emplacement préférentiel, contexte programme, contrat de lecture, toutes notions prédictrices d'affinité ? Ne s'agit-il pas d'exploiter au mieux un "support" (de publicité) pour faire valoir un produit, un service, etc. ? Relèvent de la même collusion intelligente : les publi-rédactionnels, publi-reportages, infomercial / documercial / edumercial, programmes courts, parrainage, underwriting, placement de produits, sans oublier tout le bruit médiatique obtenu par relation presse (RP) et, bien sûr, les "liens sponsorisés" achetés et placés dans les résultats de recherche. 
Qu'est-ce que cela signifie ? La publicité serait un produit qui se dévalorise en se révélant ? L'efficacité de la publicité croîtrait comme son taux de dissimulation (ou mieux, comme la distance entre célébrant et célébré). Fâcheux postulat qui prend les consommateurs pour des nigauds ("Toute publicité, [ ] doit pouvoir être clairement identifiée comme telle" stipule l'article 20 de la Loi pour la confiance dans l'économie numérique du 21 juin 2004). Allons donc ! Tout le monde "connaît" la logique publicitaire et sait reconnaître la publicité quand il la rencontre. Ces démarches où la publicité s'avance masquée ne trompent personne, sauf quelques stratèges média ou planners stratégiques empêtrés dans leur condescendance. 
On en est à l'information commerciale, ni plus ni moins digne que tout autre domaine d'information. Tout aussi utile. D'ailleurs, qui croit encore que l'information littéraire n'est pas aussi de la publicité "payée" par les éditeurs, que l'information sur les films (acteurs en tournée de lancement, passant de TV en magazines pour vanter leur film ou leur concert) n'est pas aussi de la promotion "payée" par les studios ? Et de même pour l'information médicale, oenologique, financière, télévisuelle, touristique, etc. Combien de contenus parmi les plus nobles qui ne sont que du commercial ? Quant à la politique ...

Si l'on prend au sérieux toutes ces pratiques publicitaires, si l'on cesse d'en appeler à l'ethique et à la déontologie, plusieurs remarques opérationnelles viennent nécessairement à l'esprit. 
  • Les médias sont inégaux devant ces pratiques. Tous n'ont pas d'espace rédactionnel à vendre, à dissimuler dans leur contenu. Sur Internet, du fait de la relative non rareté de l'espace, la différence s'estompe, la transparence s'affiche, même si des marques croient encore devoir enrober leur information commerciale dans du "conseil" désintéressé au consommateur. Qui est dupe ?
  • Comment sont pigées et valorisées ces interventions "rédactionnelles" ? Pour être efficaces, il faut bien que les modèles d'efficacité publicitaire les prennent en compte dans leurs analyses.
  • Dans nombre de cas, la distinction contenu / publicité relève d'une véritable casuistique ; d'ailleurs, la jurisprudence des tribunaux s'y perd.En témoigne la délicate application d'une définition opérationnelle de la publicité par la Commission paritaire (CPPAP) : entre des contenus comme un défilé de mode, la "critique" d'un spectacle, les guides d'achat, d'une part, et un message publicitaire, d'autre part, "quel dieu verrait la différence" ?

  • L'essence du médiaplanning qui consiste en marketing indirect, qui fait le détour par un média, faute de pouvoir réaliser un marketing direct, im-médiat, est la collusion (terme étymologiquement noble, "jouer ensemble"). Après, aux instrumentistes, tuttistes et solistes de bien s'accorder pour que le média final sonne juste. 

mardi 7 octobre 2008

Transferts d'audiences et transfert de chiffre d'affaires


Quelle sera l'évolution des parts d'audience de la télévision en France, une fois appliquée la législation en cours de gestation qui réalise la demande présidentielle d'un secteur public de télévision sans publicité ? 

  • Le budget de France Télévision disponible pour la création, l'invention et les acquisitions sera au moins constant (revenu garanti, indexation sur l'inflation).
  • La charge publicitaire des chaînes du secteur public tendra vers zéro. L'encombrement publicitaire y sera nul (clutter) : donc le téléspectateur sera moins tenté de zapper (Opportunity To Zap), à fuir sans retour un écran publicitaire dont le taux d'affinité, par construction, est parfois médiocre. 
  • Inversement, et simultanément, s'accroîtra pour les chaînes du secteur public l'occasion d'accuellir et garder plus longtemps une audience qui a quitté l'écran publicitaire d'une chaîne commerciale, par désintérêt pour la publicité proposée, souvent intempestive, ou par curiosité pour un programme alternatif : confrontation favorable, par les téléspectateurs, des taux d'intérêt des programmes des chaînes où investir leur attention.
  • Le coût d'opportunité de la promotion de l'antenne, élevé sur une chaîne commerciale (équivalent au coût de la publicité dans la même tranche horaire, pour simplifier) tend naturellemt vers zéro sur une chaîne sans publicité, donnant toute possibilité aux chaînes publiques de vanter leurs programmes et les sites Internet correspondants (possibilités accrues par le déserrement réglementaire autorisant la promotion croisée entre chaînes d'un même groupe).
  • En revanche, la charge publicitaire des chaînes commerciales ne baissera pas, au contraire (a fortiori si le CPM baisse) ; cette charge maintiendra, voire accroîtra, inévitablement, l'occasion de zapper la publicité lorsqu'elle est inopportune (in-opportunity to see). Pour le téléspectateur, le coût d'opportunité de la publicité croîtra : en face d'un écran publicitaire, il y aura toujours une émission d'une grande chaîne, auquel il / elle "renonce" (rendement de l'emploi alternatif de son attention, risque faible voire nul). L'absence de publicité sur les chaînes du secteur public, et de programmes instaurant des coupures artificielles permettant de créer des écrans, fera monter le "coût de renoncement" du téléspectateur qui regarde un écran publicitaire (le concept de "coût d'opportunité", anglicisme malheureux, établi par F. von Wieser a toujours, selon lui, une dimension subjective, l'appréciation personnelle de "l'occasion").


Résultat : l'absence totale de publicité sur les antennes du secteur public avec une programmation de qualité au moins constante, cela devrait se traduire, ceteris paribus, pour les chaînes publiques, par une augmentation nette de la part de l'audience disponible (Total TV).

Dans le débat sur le calcul de l'effet de la législation en cours (évaluation des transferts de revenus publicitaires), cet aspect est souvent omis. Mépris du grand public par les mass-médiologues autorisés, mépris au principe de nombreux calculs tablant, "par défaut", sur un public amorphe, passif (ce que traduit l'expression condescendante, couch potatoes).

Et puis, il y aura Internet

Bon an mal an, une partie de l'audience d'une partie de la télévision va basculer progressivement vers Internet (mobile ou immobile), de manière variable selon les tranches horaires et selon les comportements culturels et professionnels. Le meilleur prédicteur de ce basculement partiel est sans doute la proximité avec Internet : équipement et notamment équipement mobile, très haut débit, disposition personnelle et professionnelle. Les premiers touchés seront ceux qui exercent un métier où l'excellence dans l'exploitation d'Internet est requise : les plus diplômés, les plus jeunes, les plus mobiles. Les annonceurs les suivront, où qu'ils aillent.

Or la télévision publique garde sa liberté de manoeuvre publicitaire avec Internet. Elle pourra donc exploiter en ligne la curiosité et l'intérêt pour ses émissions et y chercher les revenus publicitaires associés. Occasion de créer une nouvelle forme de présence télévisuelle avec Internet : l'émission sur grand écran plat, la publicité correspondante sur Internet, une interactivité spontanée ou guidée entre les deux supports. Un vrai labo de la TV à venir, celle des médianautes. N'est-ce pas l'une des obligations du secteur public que d'innover, d'anticiper, de participer à l'invention d'une nouvelle relation du grand public aux médias (comme le fait PBS aux Etats-Unis) ?

La nouvelle législation pourrait ainsi constituer une incitation à innover. "Ardente obligation". Délivrée des exigences du marché publicitaire TV au moment où celui-ci est en difficulté conjoncturelle, mais sans doute aussi structurelle, France Télévision pourrait focaliser ses moyens et ses talents sur la création et l'innovation y compris dans le marketing de ses antennes et de ses présences multiplateforme.

Ce projet de loi pourrait s'avérer un défi vivifiant pour la télévision publique et pour les publics de la télévision, mais aussi, paradoxalement, pour le marketing télévisuel. Car France Télévision pourrait, par sa puissance et sa notoriété, et l'autorité commerciale de sa régie, conduire la revalorisation générale de l'espace publicitaire d'Internet, tant sur le plan des tarifs que sur le plan de son rôle, trop souvent réduit, par incompétence et paresse, à un gadget de complément.

lundi 29 septembre 2008

Les cht'is : la fabrication de l'autochtone


"Bienvenue chez les ch'tis" (en salle depuis le 20 février 2008) bat des records au Box Office (20, 7 millions d'entrées, plus que "La Grande vadrouille" à quoi s'ajoutent 2,5 millions de DVD vendus et environ 0,6 million de déléchargements "illégaux"). Le film est riche en prolongements média : une BD, un Hors Série de Trucs & astuces sur les blagues ch'tis, un autre de Détours en France ("Dans Ch'Nord"), un DVD porno, "Bienvenue chez les ch'tites coquines" et l'on attend un jeu vidéo de Mindscape. Et puis à la Une, en négatif, une banderole anti ch'tis dans les tribunes, pour finale de la Coupe de la Ligue de football.

Voici maintenant "Ch'tis magazine" (124 pages) dans les points de vente (ci-contre dans un Relay, gare de l'Est à Paris) ; selon l'éditeur, le titre doit être mis en avant près de la caisse dans le Nord de la France (on cible l'identité régionale), mais placé près du rayon "tourisme" dans les autres régions. Double positionnement. La publicité du N°1 provient presque exclusivement d'institutions de la Région, tourisme et développement économique. Le titre est publié par Milan Presse (groupe Bayard) qui compte déjà des magazines sur la Méditerranée, le Pays Basque, les Alpes, les Pyrénées, la Bretagne.

Nombre de magazines et de Hors Série illustrent un terroir, un patrimoine fait d'histoire et d'art de vivre, et de nostalgie. Toute région, tout pays a ses magazines (cf. Bretons en Cuisine. Média des racines). La ligne éditoriale y tient beaucoup du guide touristique, mais il s'y ajoute aussi une vision enchantée de la région : il faut être "fier d'être bourguignon", alsacien, breton, béarnais ou cht'imi ! Cette presse contribue à raciner une population venue s'installer au gré des migrations et du marché du travail : elle fabrique des autochtones (étymologiquement "issus de cette terre", indigènes), tout en maintenant un lien avec ceux qui sont partis s'installer ailleurs. Héritage et nostalgie pour gérer en douceur l'aménagement affectif du territoire (cf. l'essai de Marcel Detienne sur la frénésie d'autochtonie).

Ainsi, le Nord, pour des publications comme Ch'tis Magazine, Lattitude Nord ou Pays du Nord, "le magazine qui défend fièrement les couleurs de ses régions", comme pour le film, oscille entre régionalisme et folklorisation, exaltant la cuisine, la langue, l'accent et les patois, l'architecture, les paysages et la chaleur de l'accueil (déjà, Enrico Macias, l'Algérien de Constantine, avait chanté "les gens du Nord"...). Le Nord, c'est aussi le sport : l'enfer du Nord (Paris - Roubaix) et ses pavés, "Les Corons", chanson de Pierre Pierre Bachelet devenue hymne des fans du Football Club de Lens, les "Sang et Or". Symptomatique : lâchée par les Houillères, cette équipe professionnelle sera relancée par la mairie : la défense et l'illustration de la région passent désormais par les collectivités locales, qui lancent leur magazine médias (développement économique, tourisme) et tentent de faire coïncider circonscription électorale et géographie culturelle.




Dans une telle perspective, les éditeurs mettent en avant ce qui unit. Donc, oubliées Fourmies la Rouge à qui l'on doit le Premier Mai, coups de grisou et coups de poussières, Courrière-les Morts à qui l'on doit le repos hebdomadaire obligatoire. Quelle place donner après Germinal à cette barbarie au principe de la "civilisation" industrielle ? Réhabiliter les friches industrielles, aménager les ch'terrils, ouvrir un musée des luttes ouvrières, créer un ballet, "Conditions humaines" (2007), de Pietragalla sur des vies de mineurs... Louis Aragon écrivit un poème, "Enfer-les-Mines" (1940) ... "Rien n'est à eux ni le travail ni la misère"...
183 p. éditions du Seuil

Plus elle est ancienne, plus l'histoire devient acceptable : ainsi, Pyrénées Magazine Histoire (éditions Milan également), trimestriel, qui vient de paraître, s'attachera à une histoire plus lointaine, plus consensuelle : châteaux et seigneurs, Gaston Fébus, histoire déjà folklorisée, désamorcée ... people en quelque sorte. De même, Dossier pour la Science inaugure une nouvelle formule avec un numéro intitulé "Gaulois. Qui étais tu ?" ... et revoilà nos blonds ancêtres !

Mais à quoi bon revendiquer des racines ? Pourquoi vouloir se faire autochtone à tout prix ? "C'est le sol de cette langue qui est pour moi le sol français" aimait à rappeler Emmanuel Lévinas, philosophe, autochtone de nulle part. Le rôle des médias dans la célébration d'une identité réduite à la géographie, à la "terre" ne va pas de soi, et peut inquiéter : cette célébration, exacerbée, a eu, et a encore des fréquentations dangereuses (cf. "die Scholle" et son exploitation par les nazis).
Et comment l'innovation, sociale et technique, peut-elle s'extirper de cet état d'esprit tout à la conservation ?
Comment arbitrer entre les leçons du passé et ce qu'il faut dépasser, entre le musée et l'école ? "Utilité et inconvénient de l'histoire", interrogeait Nietzsche : quel partage entre mémoire et oubli "Sans l'alcool de l'oubli le café n'est pas bon" (Aragon) mais il réveille.