On lit couramment que "les médias rythment la vie des Français". Inversons plutôt les termes de ce postulat qu'aiment à répéter les médias. La consommation des médias est règlée par les contraintes de la vie professionnelle et domestique, donc par le budget-temps des ménages.
Pour s'y retrouver, voici une étude originale consacrée au budget temps des actifs analysé dans le cadre de l'unité familiale : "Organisation du travail dans la semaine des individus et des couples actifs : le poids des déterminants économiques et sociaux" (publiée par la revue Economie et Satistique, N° 414, 2008). Recherche effectuée, à partir de données INSEE, par Laurent Lesnard et Thibaut de Saint Pol. Les données (séquences d'activité) ont été collectées au moyen d'un semainier auto-administré dans le cadre de l'enquête Emploi du temps de 1999 (l'enquête a lieu tous les 10 ans, la prochaine aura lieu en 2009-2010).
Objectif de l'étude
Analyser la synchronisation et la désynchronisation des emplois du temps des couples.
Synthèse des résultats (du point de vue de l'analyse des médias)
Résumée en quelques mots, la conclusion établit que la fragmentation des emplois du temps s'accroît comme la domination sociale. Les moins qualifiés cumulent et enchaînent les désavantages : fragmentation de la durée de travail, désynchronisation des horaires, faible contrôle de leur emploi du temps. Habituelle surdétermination des handicaps.
De plus, l'organisation de la semaine, et sans doute de l'année de travail, déterminent les usages du temps libre. La progression de la bi-activité dans les ménages augmente la complexité globale de la vie familiale, de sa gestion.
Vies conjugales, vies conjuguées à l'imparfait des emplois du temps : horaires désaccordés et sociabilité partielle sont corrélés. Avec l'élargissment des plages d'activité et la dérégulation du temps de travail, les horaires atypiques se multiplient, surtout dans les services à faible valeur ajoutée. Comme l'organisation économique repose de plus en plus sur les services, donc sur le travail effectué au service de ceux qui ne sont pas au travail ("loisirs", commerces, etc.), les conclusions de cette étude sont actuelles pour longtemps. En filigrane, qu'est qu'un foyer média ?
La durée de travail apparaît comme une variable insuffisante si elle n'est pas redressée par la structure des horaires conjoints. La "famille désarticulée", ou écartelée (selon le titre d'un ouvrage de Laurent Lesnard) a des horaires disjoints. Les conséquences sur la socialisation (sous-traitance de la "garde" d'enfants, divorcialité, etc.), sur la transmission et la formation du capital culturel s'en déduisent.
Les médias trouvent dans ces dysharmonies des occasions de se faufiler et d'occuper les moments vides, d'attente. Ils comblent les trous creusés par la dé-socialisation : médias bouche-trou, mobiles (portables, radio) ou immobiles (TV). L'enquête ignore le travail domestique : gageons que les observations quant à la désynchronisation s'en trouvent accentuées, les inégalités accrues.
Du point de vue de l'analyse média, cette étude invite à ne pas s'en tenir à la durée comme seule variable pour le évaluer le temps de travail ; elle suggère de prendre également en compte la flexibilité, l'autonomie des emplois du temps (et donc, la double autonomie pour les couples bi-actifs, effet de l'homogamie) et l'évolution du temps conjoint (donc de l'audience du même nom). Travail et emploi du temps en miettes, médias en miettes ?
Méthodologie
Elle pourrait inspirer certaines études média : sur les audiences conjointes d'un même média, ou de plusieurs médias, sur les itinéraires dans la ville, les lieux de vie ou les points de vente.
- L'enquête est menée tout au long de l'année pour saisir la saisonnalité.
- Tirage aléatoire des foyers à partir du recensement.
- 6 396 semainiers (grilles). Taux de retour des semainiers auto-administrés : 80%. Pas d'écart observé entre répondants et non répondants.
- Recours à la méthode d'appariement optimal (Optimal Matching Analysis, OMA) pour confronter les rythmes de travail des conjoints (en termes de séquences, comme l'ADN). Les auteurs ont publié en 2006 un article sur cette méthodologie empruntée à la biologie (article en ligne en avril 2009). Cette méthodologie (séquences d'activité, OMA) est aussi mobilisée pour une étude sur "Le dîner des Français : un synchronisme alimentaire qui se maintient" (2006).