mercredi 20 juin 2018

(AT&T + Time Warner) + Appnexus = la riposte des médias traditionnels américains s'organise


AT&T pourra fusionner ses activités avec celles de Time Warner moyennant 85 milliards de dollars et un endettement très élevé (180 milliards selon Moody). Le ministère américain de la justice (Department of Justice, Antitrust Division) avait marqué son opposition à cette fusion verticale annoncée par AT&T dès octobre 2016. Le Tribunal de Washington (U. S. Court District for the District of Columbia) l'a autorisée (Memorandum Opinion, June 12, 2018) réfutant un à un tous les arguments du gouvernement dans un document de 172 pages. Le juge s'étonne même qu'un débat ait dû avoir lieu : "small wonder it had to go to trial".
Copie du début de la décision du juge Richard J. Leon
Cette décision peut ouvrir la voie à d'autres fusions dont celle, retentissante, en cours de discussion, de 21st Century Fox, soit avec The Walt Disney Co. (71 milliards de $, cash and stock), soit avec Comcast (65 milliards de $, "all cash" son endettement atteignant alors 170 milliards) ; elle crée une sorte de jurisprudence qui pourrait éveiller l'intérêt, par exemple, de Lionsgate Entertainment, des chaînes Hallmark Channel ou AMC, voire même des groupes CBS et Viacom. Selon le juge, la fusion Time Warner / AT&T ne restreint pas la concurrence, contrairement à ce qu'estimait le gouvernement et elle n'affectera pas négativement les consommateurs.
Toutefois, le ministère de la justice (DoJ) peut encore faire appel de la décision du juge Richard J. Leon et, de son côté, la FCC peut ajouter des restrictions à la fusion. La fusion avait été acceptée par la Commission européenne en mars 2017.

L'ensemble AT&T / Time Warner est apparemment considérable mais il faut l'évaluer en comparaison avec la puissance des acteurs intervenant désormais sur les deux marchés pertinents :
  • le marché de la télévision et du cinéma avec la concurrence des SVOD de dimension internationale : Netflix, Amazon Prime, Google avec YouTube, Facebook avec Facebook Watch, et peut-être bientôt Apple. 
  • le marché de la publicité numérique : Amazon, Google, Facebook et Comcast.
La fusion associe deux métiers : connectivity business pour AT&T, entertainment business pour Time Warner ou, autrement dit, l'intégration de la distribution et de la production de contenus (programming). L'ensemble nouvellement constitué par cette fusion comprend :
  • des télécoms (AT&T est le premier opérateur mobile américain avec 151 millions d'abonnés)
  • un important MVPD (avec son bouquet de télévision payante, DirecTV et U-verse) et un MVPD virtuel, DirecTV Now 
  • des chaînes de télévision : HBO et toutes les chaînes de Turner Broadcasting (CNN, TBS, FilmStruck, TNT, etc.), des chaînes sportives régionales
  • des studios de production cinématographique et de télévision (Warner Bros.)
Grâce à AT&T, les chaînes de télévision de Turner Broadcasting pourront accéder à leurs propres données de consommation ce qui leur permettra un meilleur ciblage publicitaire. De plus, AT&T a annoncé le lancement prochaine d'une chaîne sportive OTT (AT&T Watch).

L'argumentation du juge repose sur le fait que la concentration verticale ne modifie pas immédiatement le niveau de concentration dans chacun des deux marchés concernés ; au contraire,  la concentration verticale présente plusieurs avantages : elle réduit les coûts de transaction (bargaining friction, elimination of double marginalization) ce qui peut se traduire par une réduction du prix de DirecTV pour ses abonnés ; enfin, elle facilite la distribution direct to consumers (OTT, SVOD).
Néanmoins, l'ensemble issu de cette fusion serait bien loin de rattraper les Facebook, Apple, Netflix, Amazon et Google : il resterait loin derrière, "chasing tail lights".

La première réaction de AT&T, dès l'acquisition de Time Warner (rebaptisé WarnerMedia), est une autre acquisition, celle de l'adexchange Appnexus (1,6 milliard), acquisition qui renforce les moyens de AT&T dans la publicité numérique (programmatic, etc.). 

Quelles leçons pour l'Europe ?
Une consolidation européenne dans les médias semble indispensable ; est-il même une autre voie ? Il faut reconsidérer les questions de taille des entreprises médias : les entreprises européennes semblent sous-dimensionnées. Pour contrer les effets induits par la puissance des GAFA et de Netflix, que le juge américain qualifie de "tectonic changes", l'Europe doit revoir l'approche des questions de concentration, en revoir les outils d'analyse (l'opinion du juge émet notamment des doutes sérieux sur la validité de certaines évaluations d'audience).
Les règles anciennes ne correspondent pas à la situation nouvelle crée par les GAFA qui révolutionnent la notion de marché pertinent. Tout semble indiquer, si l'on en croit l'analyse du juge américain, qu'il faille encourager les concentrations verticales qui associent distribution et production de contenus. D'autant que le développement prochain de la 5G ne manquera pas d'affecter fortement la distribution des contenus...

samedi 16 juin 2018

GRP contre abonnements : Lucifer, série TV plutôt angélique


La série est produite par Warner Bros pour le network Fox et compte 40 épisodes ; elle a été lancée en janvier 2016 par ce network, puis reprise par Netflix. La troisième saison, "Lucifer" est diffusé le lundi en prime time. Chaque épisode apporte une nouvelle enquête ; le tout est servi avec beaucoup d'humour, parfois subtile. Légende modernisée, détente assurée : que le diable vous emporte !
Mais, début mai, Fox a arrêté "Lucifer", juste avant les ventes publicitaires upfront. Les audiences sur le network Fox ont été considérées insuffisantes (4,1 millions de téléspectateurs). Les fans se sont manifestés par de nombreux #SaveLucifer sur les réseaux sociaux.
La carrière de Lucifer se poursuivra pour une nouvelle saison car Netflix, qui doit donc être satisfait des performances de la série auprès de ses abonnés (saison 1) vient de commander une quatrième saison à Warner Bros. Netflix avait de la même façon sauvé la série "Longmire" (Warner Bros. également) annulée par AMC après 3 saisons. Voilà qui illustre le rôle de Netflix sur le marché télévisuel et confronte deux manières d'apprécier les performances d'une série : la mesure de l'audience pour la publicité, d'une part, la satisfaction des abonnés, d'autre part. Deux modèles économiques en conflit, GRP contre abonnements ?
Ceci ne manquera pas d'interpeller AT&T qui a racheté HBO et Warner Bros.

Depuis le Faust de Goethe, on sait bien que le diable est de bonne compagnie.
Voici donc les aventures d'un nouveau diable venu sur terre, et qui prend goût à notre époque et à ses maux : Lucifer Morningstar, le bien nommé. A Los Angeles, la nuit, Lucifer, "porteur de lumière", selon l'étymologie latine de son nom, est dans son élément, Morningstar, il est est l'étoile du matin. Très, très vieille histoire (cf. le livre d'Isaïe, chapitre XIV, 12).
Bien sûr, comme Faust, Lucifer rencontre une Gretchen, sous la forme d'une policière, blonde, comme il se doit, et vertueuse bien sûr, certes elle est mère d'un jeune enfant, mais elle est séparée de son mari, bio qui ouvre grand les possibilités narratives et la combinatoire des personnages. Gretchen sera-t-elle sauvée (gerettet) ou condamnée (gerichtet) ?
En aussi vertueuse et charmante compagnie, le diable risque d'échouer et de faire le bien alors que pour son emploi, le brief paternel est de faire le mal, de propager et louer le péché. Evidemment, le diable est beau (comme un dieu ?), s'habille à la mode, il est bon musicien (pianiste), "le plus savant et le plus beau des anges" (Charles Baudelaire, "Les litanies de Satan"). Diablement sympathique, voire même irrésistible : comment ne pas lui donner sinon lui vendre son âme ? Même la psychanalyste qu'il consulte succombera : ni elle ni lui n'ont de sur-moi ! Ce n'est pas Gérard Philippe (cf. "La Beauté du diable", 1950, film de René Clair) mais les cinéphiles y penseront certainement...
Le diable, déchu, a posé ses ailes à la consigne et devient l'assistant, obéissant et espiègle, de sa policière bien aimée ; en plus de Faust (celui de Marlowe, celui de Goethe), le rôle s'inspire indiscutablement de celui du consultant de "The Mentalist" (CBS, 2008). Intertextualité tacite entre networks qui ravira les amateurs de séries.

On n'échappe pas aux inévitables plans de coupe sur la nuit de Los Angeles, ville des anges où s'épanouit notre diable. L.A., ville volée par les Espagnols aux Indiens Chimash et Tongva, rachetée au Mexique par les Etats-Unis : le diable peut s'y sentir chez lui, it's his "kind of town"  et prétendre, comme le chantent Frank Sinatra et Quincy Jones, que "L.A. is my lady" ! Chaque ville a ses séries Miami, New York, Chicago, Boston, Seattle, voilà celle de L.A. sauvée par Nettflix.


lundi 11 juin 2018

Social media at the French newsstand: hybridization of influencers?



The press has always taken advantage of other media to create new magazines, even if it was thereby helping its competitors on the advertising market: radio, cinema, television and video games. It is therefore not too surprising to see the digital media give birth to magazines. At the beginning, television networks brought new blood to the press (TV Guide), now social media are injecting their dynamics into the legacy media. We should also remember that the press itself is still a hybrid medium, paper and digital. This hybridization is welcome as well as favorable to an association with digital media and their influencers.

Recently, two major European publishers, Hachette and Mondadori, each launched a French magazine (paper first) to cover young digital stars. YouTube brings an audience of modern youth that the press so badly needs. In exchange, the magazines offer YouTube stars legitimacy and add to their visibility (reach): France boasts more than 20,000 points of purchase for the press. Moreover, these magazines also generate their own online presence, website, and app, re-enforcing awareness and the reputation of Youtube stars and their channels where, as influencers, they advertise and sell products.
YouTube is the new television for the new generation (in addition to Netflix); according to Pew Research Center, it is the most favorite popular platform among American teens (13-17 years). They use it more than Snapchat, Facebook, Instagram or Twitter.
Will these magazines become a new kind of TV guide for these digital times?

L'atelier de Roxane (Roxane's workshop)
Roxane is a so-called influencer, a "socialtubeuse". She boasts 2 million followers/subscribers on social media. Reminiscent of a woman's magazine, Mondadori publishes L'atelier de Roxane fortnightly for a price of 5.90 Euros (7 USD). Published as a special issue of Closer Teen, it is distributed via newsstands throughout France. The magazine has 68 pages and targets kids, young teenagers and their mothers. No brand advertising in the first issue but every item, cooking tool or fashion, is for sale on an online store (promotion): we count 77 items for sale in the magazine, ranging from 1.59€ (for a dog treat) to 455€ (for a mixer). 77 micro-influences and recommendations, and so well done: no impression of clutter! You want to trust Roxane's bits of advice! Micro-influencers show a new advertising business model for the media.
A digital version can be read on the publisher's website for 4.50€ (4 USD) and on YouTube, of course. Cooking is the major subject (cake design): baking made simple (easy)for everyone ("la pâtisserie accessible à tous"), mostly with recipes for sweets, pastry, and candy. Roxane covers fashion as well: "Mon look of the day".
In "My Life": Roxane introduces her family, her husband and their two kids (11 and 7 years old), and their dog. "Nos abonnés font partie de notre vie, de notre famille" ("Our subscribers are part of our life, a part of the family"). Roxane is 28 years old and trained as a child care worker. She presents herself as a friend and sounds like a fun mom, her tone is somehow demagogue, she seems too old to speak that way. Nevertheless, the magazine is cleverly positioned, both as a parenting magazine (DIY, cooking) and a kids magazine.

WEBUZZ. Le magazine n°1 des stars du web (Number one magazine for web stars)
Launched in February by Hachette Presse, the monthly is almost exclusively dedicated to YouTube and its numerous influencers (although there is also an article about Snapchat, one about Instagram, one about Facebook). 3.95 €, 100 pages.
On the cover, Norman, 31 years old (not a teenager!) is a French star on YouTube who boasts 10 million followers. Most of the magazine content covers YouTube culture with articles such as "YouTube is my only friend" ("YouTube est mon seul ami") or another covering a visit of the YouTube building in Paris. Webuzz presents many portraits or interviews of YouTube stars, mentioning the number of followers.
Who are the advertisers? Fashion, Galeries Lafayette (department store), a hip-hop FM radio station, comic books, a novel (by Zoella). Among the articles: a clever one discussing the communication gap, comparing the younger generation's lifestyle to that of their parents ("Retrobuzz"), articles about video games, a "shopping" page (about fashion, between 7.90€ and 69€), a cooking article (cake with lots of M&Ms, a recipe from Roxane). Conclusion: "Everyone can become a star, send your video" ("à toi la gloire"). With YouTube, every teenager can hope for their 10 minutes of fame.

Both magazines share a style, a vocabulary, teenager slang, allusions, Frenglish, gestures, body language, facial expressions ("techniques of the body", Marcel Mauss), tastes, grimaces. These patterns of a new culture (probably short-lived) call for a new ethnography. Again the social networks are full of "intimate strangers", too intimate to be true ("family", "my only friend"!).

References
  • Richard Schickel, Intimate Strangers. The culture of Celebrity in America, 2000, 334 p.
  • Ruth Benedict, Patterns of culture, 1934, 291p.
  • MediaMediorum, "Les médias sociaux des enfants passent au papier", August 2018

dimanche 10 juin 2018

The Prinicipal, série TV : impossible école ?


"The Principal", série TV est une mini série en quatre parties, diffusée en automne 2015 par la télévision publique australienne, SBS One. Elle est reprise par Netflix et s'inscrit dans sa stratégie de mondialisation des contenus télévisuels.
Le cadre de la série est celui d'un établissement public d'enseignement secondaire pour garçons, dans la banlieue Ouest de Sidney, première agglomération d'Australie. Un nouveau directeur (principal) y est nommé, dernière chance de cet établissement difficile menacé de fermeture, peuplé d'élèves provenant de familles plus ou moins récemment immigrées d'Afrique, du Moyen-Orient (Liban, Syrie), de Polynésie, d'Asie, d'Europe*. La bonne volonté du principal, du personnel, des parents d'élèves, d'une policière est mise à mal, chacun cherchant de son mieux le difficile équilibre entre fermeté et générosité, optimisme et découragement...

Un crime a lieu, une enquête s'en suit qui donne son fil directeur à la série, la narration étant conduite par les interactions de l'établissement avec les familles d'élèves et la justice. Pourtant, l'essentiel de la série n'est pas l'enquête mais la présentation concrète de la situation sociale de l'établissement où convergent tous les problèmes sociaux du quartier et de l'époque : commerce de drogue, coexistence conflictuelle de cultures religieuses diverses, pauvreté, tentation terroriste... Comment ne pas tolérer l'intolérance prônée ici ou là et qui délabre les comportements des élèves ? "School is a war zone", titre la promotion de l'émission par SBS (cf. supra). Le cinéaste semble un correspondant de guerre, embedded. On est loin de l'idée rabâchée de communauté ; la tentation de cette utopie n'est pas absente de la série et fait sourire certains protagonistes : on va désarmer la police, saluer le Principal à l'entrée de l'école, mettre une cravatte...
A rapprocher de la série danoise Rita qui porte également sur l'école et ses difficultés.

Ce que l'on observe avec ces séries venues d'ailleurs, et dont la dimension documentaire est essentielle, n'est pas étranger à la France ou aux Etats-Unis, où les enseignants, de la maternelle au lycée, sont confrontés à des problèmes semblables et dont ils savent qu'ils ne peuvent pas les résoudre et qui les invitent au renoncement. Conditions désespérantes et ignorées par les administrations, loin du terrain et qui n'en ont souvent qu'une expérience abstraite, comptable ; la distance administrative est habilement rendue par la série : le Prinicipal ne communique avec son autorité administrative que par téléconférence et écran de portable interposé, quant à l'inspecteur de Rita, son bureau le tient prudemment éloigné des écoles... Heureuse bureaucratie.
Rita et The Principal abordent des questions primordiales de l'école actuelle, généralement tues : ignorance distante ou silence politiquement correct, irénisme coupable du pédagogisme (appelons "pédagogisme" la croyance selon laquelle tout problème rencontré à l'école y trouverait une solution pédagogique). L'institution scolaire (et universitaire de masse) est confrontée à des problèmes venant d'ailleurs, dont elle hérite. Ce n'est pas la seule institution dans ce cas : l'hôpital, les transports publics, la police, par exemple, connaissent de semblables situations, qui détériorent tous les services publics et les guettent tous.
Quel est le rôle de l'école dans cette situation ? L'enseignement ou l'assistance sociale ? Palier l'impéritie et la démagogie des pouvoirs politiques successifs ? Avant d'enseigner, il faut organiser un petit déjeuner pour les élèves qui n'ont pas à manger ("the breakfast club" du Principal) ? De quelle éducation parle-t-on ? Quelles sont les limites du métier d'enseignant dans de telles situations ? A quel métier les enseignants doivent-ils être formés ? Instituteur, comme le demandait la IIIème République en France, c'est à dire, comme le rappela énergiquement Jean Jaurès, "instituer la République" ? La didactique des langues ou des mathématiques ne constituent qu'une partie, souvent secondes, du métier de professeur des écoles ou des collèges.


* Les premiers habitants de la région, dits aborigènes, ont été presque entièrement décimés. Cf. Grace Karskens, The Colony. A History of Early Sydney, Crows Nest, Allen & Unwin, 2010, 678 p., Bibliogr., Index.

vendredi 1 juin 2018

Patrimoine national, tous héritiers ?


Découvertes. PATRIMOINE, magazine trimestriel, premier numéro publié en avril 2018, 100 p., publication du groupe Cap Elitis, 9,9€

La presse magazine constitue un observatoire des passions françaises ; le patrimoine est l'une de ces passion et, semble-t-il, l'une des obsessions françaises. D'ailleurs, n'y a-il pas chaque année, depuis les années 1980, des journées du patrimoine : 17 000 lieux, 26 millions de visiteurs (en 2016). Voilà qui promet un bel avenir à ce magazine, entre les châteaux et les églises, les marchés et les remparts, les beffrois et les forts, les routes, les anciennes usines... Le second numéro (juin 2018) porte sur "les sites touristiques de France les plus visités" mais évoque aussi la fameuse tarte des sœurs Tatin et le Cadre noir de Saumur ("école de l'excellence à la française"). Son premier hors-série est consacré aux "40 plus beaux châteaux de France" (juillet 2018, 9,9 €).

Qu'est-ce que le patrimoine ? Ce que l'on possède (et qui nous possède ?), ce dont certains héritent et qu'ils transmettront peut-être à leur tour, tout comme un patrimoine génétique, ensemble de "lieux de mémoire", carte de l'identité nationale. Quand on naît Français, quand on le devient, on hérite, bon gré mal gré, d'un patrimoine national. Dans ce patrimoine, il y a des monuments conçus pour que les générations futures se souviennent (du latin monere, faire se souvenir). Et, parmi les monuments, il y a les ponts auxquels est consacré ce premier numéro.
Pont du Gard, pont d'Avignon, pont Valentré à Cahors, viaduc métallique de Garabit (1900, Gustave Eiffel), viaduc de Millau... Indispensables à la circulation, ils commémorent aussi (Alexandre III, Louis-Philippe, Arcole, Iena, Austerlitz, Sully, etc. ). Découvertes. PATRIMOINE propose un dossier sur les ponts de Paris, sans le pont Mirabeau, sans Apollinaire... Dommage, mais il y a tant de ponts et de viaducs en France. On aurait pu faire figurer le viaduc de Chaumont dans l'inventaire et combien d'autres...  Dans son numéro 3, Découvertes. PATRIMOINE inscrit la collection des ouvrages de La Pléiade ("le fleuron de la littérature française, Gallimard), Honoré de Balzac (son roman, Les Illusions perdues) et le cassoulet dans son inventaire du patrimoine. Le numéro 3 est consacré aux églises.

Le patrimoine suscite une floraison de titres dans la presse : environ 300 titres depuis 2003 (cf. infra, source : Base MM, janvier 2019), dont plus de 200 hors-séries. L'attribution d'une catégorie à un magazine n'est pas commode car, pour la plupart des titres, le thème du patrimoine se combine à l'histoire, à la région, à l'architecture, à la cuisine, au transport, au tourisme. La notion de patrimoine est confuse et ses contours sont flous : "le train c'est aussi notre patrimoine", annonce le magazine Le Train Nostalgie (lancé en avril 2015, trimestriel, 14,9 €). Notre comptage est plutôt restrictif - et discutable : nous y intégrons les routes (ainsi, chaque année Moto Revue publie un hors-série sur "les plus belles routes de France" qui fait une part belle au patrimoine) et les villages ("Les plus beaux villages de nos régions", hors-série annuel de Détours en France, "Les plus beaux villages de bord de mer", hors-série de Télé Star, mai 2018, 7,9 €), "Partir en France" (juin 2018) titre sur "Les 50 plus beaux villages" (sous-titre : "A la découverte du plus beau pays du monde"). Notre statistique comprend donc une part inévitable d'intuition et comporte certainement, hélas, de nombreuses omissions. La notion de patrimoine ne va pas sans épouser les arbitraires d'une époque.


Tout est prétexte à patrimoine. Quelques exemples récents : en mars 2018, Le Point titre : "comment sauver le patrimoine français". "Soyons fiers de nos territoires", titre #Nous, le nouvel hebdomadaire du groupe Nice Matin lancé en avril 2018. Châteaux & Patrimoine est publié en mai 2018 (trimestriel, 5,9 €). Le magazine Pyrénées évoque "l'héritage romain" et invite à la "découverte d'un patrimoine d'exception" (numéro spécial, juin 2018, 6,95€). "Découvrez les trésors de notre patrimoine", (hors-série de Détours en France, juin 2018). Géo publie en juin 2018 un hors-série sur le Tour de France : "étape par étape, les trésors et pépites de notre patrimoine" (6,9 €). Quant au nouveau magazine Storia Corsa, il est sous titré "histoire et patrimoine" (juin 2018, 9,9 €). Télé Star en juillet 2018 publie un trimestriel Jeux intitulé "Patrimoine & Régions"... Télérama, plus radical, titre : "Réinventons le patrimoine !" (15 septembre 2018). Quant à Ça m'intéresse - Questions & Réponses, il consacre son numéro de janvier 2019 aux "secrets de notre patrimoine" (la perruque de Louis XIV, la Tour Eiffel, les vieux cépages, le Mont Saint-Michel...).

Patrimoine et terroir, territoire, patrie et terre, culture, pays, patriotisme, fierté nationale... Champ sémantique complexe dont on perçoit pourtant l'axe et la dominante... Mais il existe une liste officielle des monuments historiques, un monument y est "inscrit" ou "classé" (la Maison de la radio vient d'y être inscrite, en avril 2018). On compterait en France 44 000 monuments, inscrits ou classés, beaucoup sont en péril et, l'impôt n'y suffisant pas (i.e. le budget de l'Etat), on recourt à un loto (18 septembre 2018) pour les "sauver".
La notion de patrimoine est large et dépasse les monuments, tout le passé, l'histoire peuvent être dits patrimoine : la culture (musique, littérature, cinéma), la cuisine et le vin également et même la publicité peinte (pignons publicitaires de longue durée). Quid du patrimoine agricole, du patrimoine industriel, des anciens ateliers, des moulins, des canaux, des vignobles (cf. l'œnotourisme), des jardins : Marianne a publié un hors série sur "les derniers vrais fromages de France"(juin 2015, 7,5 €) tandis que Le Figaro magazine publie, en mai 2018, "les 100 inventions qui font la fierté de la France" (mayonnaise, douche, soutien-gorge...).

Notons encore que beaucoup des monuments du patrimoine relèvent d'une "architecture de domination" comme les monuments gallo-romains, les arcs de triomphe (triomphe de qui ?), de lieux d'exercice du pouvoir d'anciennes classes dominantes : châteaux, palais, tribunaux, voies romaines, casernes...
La notion de patrimoine ouvre d'ailleurs bien des problèmes que l'on pourra trouver délicats : ainsi les noms des ponts de Paris, comme ceux des boulevards extérieurs, n'en fissent pas de célébrer la légende militaire napoléonienne. Voulons-nous encore commémorer cette histoire alors que se construit une Europe qui se veut paisible et accueillante aux touristes ?
En mars 2019, Le Parisien annonce un hors-série régulier consacré au patrimoine : Patrimoine & balades. Le premier numéro traite des châteaux. (5,9 €)

Découvertes. PATRIMOINE est un magazine qui sensibilise son lectorat à la dimension historique du patrimoine, à l'architecture, à la technique des constructions monumentales. Invitation intelligente au tourisme "culturel" en France, heureuse vulgarisation. Devrait intéresser les annonceurs malins (et leurs conseils !).


Références

Pierre Nora, Les lieux de mémoire, Paris, Gallimard, 1984-1992.

MediaMediorum, Musées et patrimoines : une histoire transnationale

Marc Combier, Les publicités peintes de nos nationalales (2 vol.)

lundi 28 mai 2018

SyncBak, et la télévision locale américaine est connectée



Voici, avec SyncBak, le début de la télévision connectée pour les programmes locaux américains.
En mai 2018, la plateforme de streaming SyncBak a lancé SBTV, un service qui permet aux stations locales de télévision de diffuser leurs programmes OTT (over the top) sur tout support numérique (cf. copie d'écran de l'appli iOS, ci-contre). La maxime de SBTV est "Live streaming made simple", simple pour le stations émettrice et simple pour les téléspectateurs.
  • Pour les stations, la diffusion des programmes par Synbak est gratuite.
  • Les émissions sont gratuites pour les téléspectateurs, le financement étant assuré par la publicité. SyncBak recourt à l'insertion publicitaire dynamique (DAI, Dynamic Ad Insertion) avec adSync.
  • Les programmes sont syndiqués et mises à disposition sur une place de marché (Cloud Syndication Marketplace) ; ils sont accessibles à la demande (VOD) ou en direct avec SimpleSync.
Ce dispositif permet aux stations d'être accessibles hors de leur DMA d'origine, lorsque les droits le permettent donc cela ne peut concerner ni les programmes du networks - pour les stations affiliées à un network ou lui appartenant (O&O) ni les programmes qui sont achetés par une station sur le marché de la syndication.
Quel est le fonctionnement ? L'appli localise d'abord le téléspectateur ; pour des raisons de geo-fencing, celui-ci doit se trouver sur le territoire américain. Ensuite, le téléspectateur doit rechercher le marché (DMA) qui l'intéresse afin de se connecter aux programmes des stations de ce marché, dans leur version hors marché (out-of the market version). 

Disposer d'un accès aux stations locales distantes (hors marché) peut s'avérer importante pour une population mobile, qui déménage souvent et reste attachée à son marché d'origine (c'est un problème que la presse régionale connaît bien). Mais pourquoi appliquer un geo-fencing national aux programmes locaux ou hyper-locaux d'information ? Il semble que ce soit pour des raisons publicitaires... On peut certes le comprendre pour les droits sportifs, mais pour l'actualité locale ?

Les services recourant à SyncBak représentent d'ores et déjà 196 DMA (sur 210, soit 98% des foyers TV américains) ; les principaux groupes de télévision (broadcast) participent. Gray Television, qui compte une centaine de stations dans 57 DMAs, a été le premier groupe à y recourir. SyncBak est utilisé aussi par des virtual MVPD (Multi Video Programming Distributor) comme Hulu, Fubo TV ou Play Station Vue. Il s'agit donc d'un acteur technologique déjà important sur le marché de la télévision américaine.
CBS a investi dans SyncBak en 2013 et l'utilise pour son service OTT, CBS All Access. Le groupe Northwest Broadcast (une douzaine de stations dans 6 marchés) dès 2012, puis Gray Television en 2016, ont également investi dans SyncBak.

Le développement de SBTV est une nouvelle illustration  du dynamisme de la télévision locale américaine et de son adaptation au numérique et à la mobilité, en attendant que se généralise la "télévision de la nouvelle génération" ("NextGen TV", ATSC 3.0.).

vendredi 11 mai 2018

TV américaine: le network national, c'est le triomphe du local


Aux Etats-Unis, la géométrie des networks de télévision commerciale est modulable, variable au gré des évolutions législatives et réglementaires mais surtout au gré du marché.
Fox, le dernier né des grands networks généralistes commerciaux anglophones traditionnels, change de dimension en rachetant 7 stations au groupe Sinclair ; en effet, Sinclair Broadcast Group doit réduire sa part de marché afin de racheter le groupe Tribune Media Company et se conformer à la réglementation en cours concernant la concentration ("divestiture plans for the remaining stations they intend to sell as part of the regulatory approval process for our merger", selon les termes du groupe Sinclair). La transaction s'élève à 910 millions de dollars à laquelle s'ajoute un renforcement des accords d'affiliation avec Sinclair.

Après cette opération, Fox sera présent avec une O&O (station Owned and Operated) dans 19 des 20 premiers marchés télévisuels américains (DMA). Les 7 stations acquises sont les suivantes : KCPQ-TV (Seattle), WSFL-TV (Miami), KDVR-TV (Denver), WJW-TV (Cleveland), KTXL-TV (Sacramento), KSWB-TV (San Diego) et KSTU-TV (Salt Lake City). Toutes ces stations, sauf celle de Miami (affiliée CW), étaient déjà affiliées au network Fox et deviennent O&O, la transition en sera donc plus commode. L'acquisition prendra effet au second semestre 2018 et pourrait être prise en compte lors des ventes d'espace publicitaire upfront.

Cette opération correspond à la volonté de Fox d'être présent dans les grands marchés locaux du football (NFL) et du baseball (MLB) à Denver, Miami, Seattle ; il s'agit aussi d'un renforcement de la présence à l'Ouest (Seattle, San Diego, Sacramento, Salt Lake City).
Ces 7 stations s'ajoutent aux 28 que possède Fox dans 17 marchés (dont les plus grands DMA, New York, Los Angeles, Chicago, Dallas, San Francisco, Washington, Houston). Sinclair a l'option de racheter deux stations à Fox. La couverture totale du network Fox serait de 45,9% des foyers TV américains, mais, en prenant en compte le mode de calcul avec réduction pour les stations UHF (dit "UHF discount"), cette couverture passerait au-dessous du seuil de 39% fixée par la législation actuelle.

Au-delà d'un ajustement conjoncturel pour les deux groupes, cette opération souligne l'importance stratégique du local tant pour le marché des programmes (sport, information) que pour le marché publicitaire. “This transaction illustrates Fox’s commitment to local broadcasting", décare le président du groupe des stations de Fox Television Stations (FTS). On peut également y lire une optimisation stratégique pour affronter la concurrence de Facebook et Google (YouTube TV) qui se tournent de plus en plus vers les marchés locaux, mais aussi pour contrer les incursions de Facebook, Amazon, Twitter et Snapchat sur le marché des retransmissions sportives.
Rappelons que le marché de la télévision locale américaine atteindrait 28 milliards de dollars en 2018 (en augmentation de 5,6%) selon BIA Advisory Services.


Références sur MediaMediorum

Concentrations à venir dans la télévision américaine ?

vendredi 4 mai 2018

La fin d'un monde médias


Deux événements, presque simultanés, sans relation aucune en apparence, font la une de la réflexion média, cette semaine de printemps.
  • Comcast, câblo-opérateur géant (MSO) qui contrôle aux Etats-Unis un network national (NBC) et des studios (Universal), impose à ses abonnés de garder leur abonnement à la télévision s'ils veulent bénéficier de l'amélioration de débit broadband. Et pour faire avaler la pilule, il leur propose Netflix, qui requiert le très haut débit. Chantage tacite : continuez de payer pour la télévision si vous voulez profiter de Netflix et du web dans de bonnes conditions. Avertissement à ceux qui veulent se désabonner de la télévision traditionnelle (cord-cutting). Conclusion, il faut Netflix et le web pour sauver - provisoirement - et maintenir sous perfusion la télévision traditionnelle.
Coïncidence ? Pas si sûr. Plutôt deux symptômes d'une même maladie des médias qui affecte leur distribution, celle de la télévision d'un côté, et de la presse de l'autre (Presstalis).

mercredi 25 avril 2018

Soap magazines, dernier carré de la presse TV américaine


Sur le présentoir avant une caisse
dans un supermarché Publix (avril 2018)
La presse télévision américaine a vécu ; elle a été asphyxiée par l'abondance de télévision et par le développement d'outils de connaissance et de sélection électronique puis numériques, plus commodes, offerts d'abord par le câble puis le satellite, puis, enfin par Internet. Cela se poursuit par des applis et des assistants vocaux. Netflix donne le ton du guide de la consommation de la télévision de l'abondance. L'ergonomie des guides électoniques ou numériques reste discutable ; la commande vocale est approximative... mais cela progressera ! Dernière des évolutions : Netflix propose une appli pour des previews de 30 secondes...

Pourtant, une presse résiste discrètement qui reste en vente dans les supermarchés, une presse de magazines papier qui couvrent les soap operas (en plus de deux titres spécialisés). Plutôt people télévision : gros plans sur des acteurs, leur vie, leur vêtements... Récapitulation des intrigues (Storyline recaps), indications concernant les événements en cours (sneak previews). Tout ce qu'il faut pour suivre son soap favori.

Voici trois titres. Ils se ressemblent : bimensuels, même format poche, 98 pages, même prix (4,99 $). Ils traitent des soap opera diffusés par les trois networks historiques (ABC, CBS, NBC), en début d'après-mdi (tranche horaire dite daytime). Très peu de publicité, surtout pour des produits VPC.

  • Soap Opera digest
  • CBS Soaps in depth
  • CBS ABC NBC Soaps
  • Les soaps constituent un genre télévisuel après avoir été un genre radiophonique ils témoignent d'un phénomène télévisuelet socio-culturel remarquable. Certains soaps ont une longévité étonnante. "Guiding Light" commença sa diffusion à la radio en 1937 avant de passer à la télévision en 1952 ; pendant une phase de transition, il fut diffusé à la radio et à la télévision et sa diffusion ne cessa qu'en 2009 (après plus de 20 000 épisodes - radio + télévision). Une chaîne spécialisée (câble et satellite) a existé entre 2000 et 2013, Soapnet (groupe Disney); elle se consacrait à la rediffusion de soaps.

    Les soaps, c'est toute une culture ! Ils ont leurs fans, au premier comme au second degré (House, le fameux médecin de la série, est un de ces fans). Des fans très nombreux et fidèles (loyalty). Chaque soap suit les aventures et les querelles de familles établies dans une ville moyenne, meurtres, maladies graves, mariages, divorces... c'est qu'il en faut des événements pour qu'un soap puisse durer ! Du coup, il existe des Soap Trivia pour que s'y mesurent les spécialistes et fans (exemple), et de véritables addictions.

    Les magazines traitent principalement de quatre soap opera :
    • "General Hospital" (GH), diffusé par ABC, compte plus de 14 000 épisodes ; il a débuté en 1953, c'est le plus célèbre. Elisabeth Taylor et Roseanne Barr (de "Roseanne") y ont été invitées.
    • "The Young and the Restless" (Y&R) est diffusé par CBS depuis mars 1973 et compte près de 12 000 épisodes.
    • "Days of Our Lives" (DOOL), co-produit par Sony Picture Television, a été lancé par NBC en novembre 1965. Plus de 13 300 épisodes.
    • "The Bold & the Beautiful" (B&B), sur CBS depuis mars 1987.



    jeudi 19 avril 2018

    Une vie de chat : mode d'emploi (magazines)


    miaou. La revue pour ronronner de bonheur, trimestriel, 170 p. , 10€ (une version "collector" est en vente en librairies pour 12,95€), Prisma Presse, avril 2018

    Tout pour le chat, et pour celles et ceux qui vivent avec. La naissance, les premiers jours, d'heure en heure ou presque ; l'odorat, la vue, l'ouïe, la perception des vibrations, parfaits pour les chats ; en revanche, leur sens du goût est limité (ce que ne dit pas la publicité TV, qu'ils ne regardent pas, de toute façon). Comment s'exprime le chat, quel est son langage corporel ? Que disent ses miaulements, ses ronronnements ? L'inventaire du mode de vie des chats commencé dans ce premier numéro est à suivre. Passées les pages style de vie (du chat), nous trouvons une page gadget, un sujet d'histoire (le chat de Louis XV), un sujet documentaire (les chats dans un temple bouddhiste), des interviews, des photos de chats, des anecdotes sur les chats, des étiquettes avec des images de chat, des cartes postales avec des chats...  Et un dossier "Vivre dans la peau d'un chat".

    Le chat, depuis l'Egypte antique, occupe une place particulière dans l'imaginaire et dans les maisons. De tous les animaux domestiqués, c'est le moins utile (il fut considéré comme "utile" en Egypte et il l'est encore dans les fermes, pour écarter les souris). Animal qui tient compagnie, bien obligé ! Le chat dont on parle dans le magazine vit dans les maisons et les appartements dont il ne sort guère, plus ou moins prisonnier. Terriblement "dhommestique", comme disait Jacques Lacan.
    Le chat mène grande vie dans la BD, vie commencée dans la presse le plus souvent  : "Le Chat" de Philippe Geluck fait ses premières apparitions dans le quotidien belge Le Soir, le "chat du rabbin", qui parle et veut faire sa bar-mitzva (par Joann Sfar) fait ensuite une carrière au cinéma, Garfield (1978), chat dévoreur de lasagnes et téléspectateur grognon, commence sa vie dans un comic strip qui fut, en syndication, un succès de la presse quotidienne américaine. Tous ces chats sont plus malins que les humains. Comme dans La Fontaine, anthropomorphisme oblige, dont Miaou ne manque pas non plus. Méditatifs, philosophes, les chats ? Peut-être, c'est du moins ce que prétendaient Charles Baudelaire et Claude Lévy-Strauss...
    Dans la presse française, on compte une centaine de titres et hors-séries consacrés au chat publiés depuis une trentaine d'années. La concurrence est rude. C'est un peu moins que les titres concernant les chiens, et cela sans compter la presse animalière généraliste comme 30 millions d'amis qui n'ignore pas les chats (source : Base MM). On sait aussi le succès des photos de chats sur les réseaux sociaux et leur contribution aux travaux de reconnaissance d'images et de classification portant sur le distinction chien / chat (cf. la compétition lancée par Kaggle en 2013). Et puis, n'oublions pas le chat de Schrödinger qui vit ou /et mœurt dans la mécanique quantique !


    Miaou est un magalivre (magazine + livre) ou, si l'on préfère, un Mook (magazine + book) ; 85 000 exemplaires ont été mis en vente selon l'éditeur, Prisma Media. Le mook représente un nouveau format, plus livre que magazine ; on en compte de plus en plus parmi les innovations presse récentes. Distribution mixte, en librairies et points de vente presse, en attendant une hybridation numérique complémentaire, une appli ? "Bel objet", se vante Laura Stioui, l'éditrice du titre. Magazine robuste, agréable à consulter, qui peut trouver sa place partout, et même être rangé, sur une étagère. Et peut se garder longtemps : son contenu est intemporel, et tout public : la passion des chats est universelle, elle ne connaît pas d'âge, de générations, d'époques, de styles de vie ("les amoureux fervents et les savants austères", disait Baudelaire). Et pourtant, la passion des chats distingue les fractions de classe, comme l'a vu Disney qui oppose "aristochats" et chats de gouttière... Sans doute, le positionnement de Miaou, quelque peu attrape-tout (famille, psychologie, féminin) mais délibérément non animalier (pas d'éthologie, etc.), sera-t-il amené à se préciser avec l'usage. "Culture chat" ! dit-elle, habile.

    Signalons, pour compléter l'univers domestique des félins,
    • Mon CHAT Superstar, hors-série de Télé 7 Jours, septembre 2018 (cf. supra)
    • Tama, la chatte devenue chef de gare de Kishi et idole des voyageurs japonais
    •  neko atsume, un jeu video japonais de Sony Entertainment, appli pour smartphone lancée fin 2014. En attendant les chats, qui ne viennent que quand les joueurs ont éteint l'appli (cf. infra).
    • CryptoKitties, un jeu pour ordinateur (Chrome, Firefox) avec Blockchain, qui permet de son nourrir un chaton, de vendre, de collectionner des kitties...
    Copie d'écran du jeu neko atsume ("cat collection"), appli lancée en 2014

    jeudi 12 avril 2018

    Roseanne et sa sitcom se rejouent les élections américaines


    Hier soir mardi, soirée TV, dîner avec "Roseanne". A 20 heures, sur ABC, juste après "Jeopardy". Pas terrible, cet épisode : une histoire de mère porteuse (gestation pour autrui) qui ne porte plus et qui comptait s'acheter un chien avec la récompense. La commanditrice de l'enfant escompté, mère intentionelle, reprend l'œuf de Fabergé qu'elle avait offert à la mère porteuse. Quel humour... Plus tard, à 9 heures, la série "Black-ish", c'était moins déprimant, une histoire de chien. Un enfant, grâce à de très bonnes notes à l'école (straight As!) a gagné d'avoir un chien. Ses parents lui avaient promis, confiants dans ses habituelles mauvaises notes. La promesse est compromise car le père est décidément contre. Débat familial, campagne électorale, vote : le fils gagne l'élection grâce au swing vote de sa petite sœur... Beau joueur, le père rapporte un chien à la maison, tout blanc. Sitcom sympathique, comédie filmée avec une seule caméra, sans public (Warner Bros., 22 mn).
    Entre les deux séries, au milieu, une autre série "The Middle" (middle class, middle age, etc.) ; mais les écrans publicitaires pour les voitures ainsi que le décalage horaire m'ont vaincu : j'ai somnolé.

    Revenons à "Roseanne", la sitcom (21 mn). Elle est enregistrée en direct, ce qui nous vaut les ricanements du public invité. C'est le succès de la saison télévisuelle. Inattendu. Comme l'élection de Donald Trump aux présidentielles. Roseanne, l'actrice comme le personnage, ont voté Trump et en sont fièrs (cfRoseanne et son partenaire interviewés lors du talk show de Jimmy Kimmel) ; sa sœur a voté Clinton. Débat dès les premiers épisodes : la série ne craint pas la controverse.
    Le monde de "Roseanne" est un monde modeste (working class, blue collar), sans "distinction", celui d'une partie de l'électorat, mésestimé, sous-estimé. La famille Conner habite dans le Mid-West, Rust Belt, terre électorale de Donald Trump : désindustrialisation, chômage, difficulté lancinante à joindre les deux bouts (Roseanne conduit un taxi pour Uber). Bob Dylan a déjà tout dit de cet univers. "Roseanne", c'est le retour du refoulé, et la nostalgie : revival, reboot, dit la presse. Un monde normalement absent de l'univers télévisuel américain, où règne l'aisance sociale, surgit en plein prime-time. "Misère du monde" télévisuel.

    Pour les séries, il y a donc une vie après la mort. Vingt ans après sa mort, la série est de retour. Elle fut à l'antenne de 1988 à 1997, sur ABC déjà. Si possible, on a repris les mêmes acteurs, pour sa onzième année, renouvelée par ABC Disney, en mars 2018. Les audiences sont bonnes, nombreuses (25 millions de téléspectateurs, beaucoup de 18-49 ans, key demo pour les annonceurs), et encore, c'est sans compter le streaming d'ABC, la rediffusion du dimanche et celle de Hulu. Le Président a félicité Roseanne pour ces audiences. Selon Samba TV, une plateforme d'analytiques TV, la série sur-performe dans les régions de vote Républicain et parmi les téléspectateurs de Fox News.
    Anticipation des prochaines présidentielles ? La TV ne fait sans doute pas l'élection (question éternelle pour un grand oral à Sciences-Po) mais elle l'explique peut être mieux que les politologues (cf. Oprah élue bien avant Obama). On parle, au moment du marché upfront de "l'effet Roseanne".

    Mise à jour (29 mai 2018). ABC annule (cancel) l'émission en raison d'un "tweet raciste" de l'actrice Roseanne Bar.

    lundi 26 mars 2018

    Koï : l'Asie, proximité du lointain


    Koï, 100 pages, bimestriel, Magazine de société des cultures asiatiques, bimestriel, 5,9 €. Abonnement : 30 €

    "Koï" drôle de nom pour un magazine ! "Koï" signifie carpe en japonais, poisson dont on raffole en Asie et connu pour remonter le courant. Tout un programme.
    Lancé en septembre 2017 au terme d'une opération réussie de crowdfunding (KissKiss BankBank), Koï traite des cultures asiatiques en France. D'abord, soulignons le pluriel, non exhaustif, et, ensuite, le fait qu'il ne s'agit pas d'exotisme, mais de cultures établies en France, parfois depuis longtemps. L'Asie, si lointaine, est proche !
    Koï traite logiquement de la deuxième génération, intégrée. Loin de tout "communautarisme", prendre les questions de l'immigration par l'intégration ? "Deuxième génération. Culture fusion : ils sont le trait d'union entre tradition et modernité", titrait le N°1 qui consacrait un article aux "Cambodgiens de France".
    Quelle est l'ambition culturelle du magazine ? Faire comprendre, faire valoir par touches légères, les cultures de grandes régions d’Asie en France : Chine, Viet Nam, Japon, mais aussi Thaïlande, Indonésie, Singapour "ville jardin du futur", Laos.
    Cuisine et gastronomie, bien sûr, BD, cinéma, musique, urbanisme, tourisme, médecine. Présentation des fêtes et de leurs rituels : fête du Têt au Viet Nam, Nouvel An khmer, Hanami au Japon, Nouvel An lunaire en Chine (chunyun, 春运), fête chinoise des morts (Qing Ming, 清明)… Un soupçon d’exotisme mais pas trop. Volonté de faire découvrir, aimer ces cultures par un grand public non averti mais curieux. Donner envie d'y goûter, de lire, écouter, voir...
    Koï ne craint pas d'être parfois utilement didactique : à propos du vocabulaire, de l’explication du symbolisme des fêtes, etc. A quand des approches des langues asiatiques, tellement stimulantes pour les francophones (décentrement), trop peu présentes dans les établissements scolaires et universitaires français, obsédés par l'anglais ? On trouvera dans le magazine des articles sur le Cambodge, la jungle et les éléphants ; sur la pâtisserie française revue par Mori Yoshida, un chef japonais qui donne sa recette du "Beige", un entremet séduisant ; sur les aromates asiatiques, les chocolats... Quelques pages de publicité bienvenues, en affinité, enrichissent le contenu éditorial... Koï présente également un agenda culturel et littéraire bien meublé. 

    Au-delà d'un exotisme bon enfant, notons un article poignant sur les agressions racistes dont sont victimes, en France, des personnes d'origine ou d'allure asiatique, agressions qui n'ont pas - pas encore ? - attiré la solidarité méritée. Agressions, insécurité ne peuvent qu'augmenter les difficultés vécues par les immigrations asiatiques et nuire à l'intégration, et même au tourisme (cf. le travail doctoral de Simeng Wang (Illusions et souffrances. Les migrants chinois à Paris, Editions Rue d'Ulm, 2017). Sociologiser, c'est désenchanter mais c'est aussi dénoncer en énonçant.
    Il y a déjà, en France, beaucoup de magazines traitant de l'Asie, la plupart sont spécialisés : s'adressant aux fans de culture japonaise (cf. Médias du Japon en France : animes, mangas et jeux vidéo), des magazines traitant de la Chine, de la K-pop... Koï, en revanche, qui se veut généraliste, occupe une place originale en visant le grand public mais aussi l'Asie en France. Pour se dépayser tout près de chez nous, car la Chine, le Viet-Nam, la Corée, c'est un peu ici aussi. Une partie de la richesse de ce pays, de son "patrimoine". Koï, introduction à l'Asie en France.

    vendredi 23 mars 2018

    Netflix : modèle économique. A propos d'une série coréenne sur les présidentielles


    "Président" est une série coréenne qui traite des élections présidentielles, des primaires surtout. Deux classes de personnages sont suivis et mêlés par l'intrigue, l'entourage politique devant partager son pouvoir avec l'entourage familial du candidat. L'entourage familial du candidat est compliqué, bien sûr, série oblige (enfants adoptés, fils non reconnu). Le candidat est un père, sévère bien sûr, celui qui manque et celui qui décide, pater familias. La relation père / fils est au centre de l'intrigue, teintée de culture confucéenne. Quelle place pour l'épouse ; elle est Professeur d'université, née d'une famille riche, et ambitieuse... Conseillère du futur président, "première dame" ?
    Les entourage politiques partisans sont dévoués et roués, carriéristes et un peu pourris si nécessaire : ne faut-il pas gagner à tout prix ? La réflexion morale rôde : peut-on faire de la politique sans avoir "les mains sales" ? Les partis politiques n'en sortent pas grandis.
    En arrière-plan, dramatique, omniprésente, on perçoit l'histoire récente de la Corée depuis l'occupation japonaise : les dictature successives (Park Chung-hee, etc.), la tout-puissance économique et politique des conglomérats industriels (chaebols), les classes laborieuses surexploitées, les manifestations et insurrections étudiantes, leurs violentes répressions, les camps de travail, etc.). Dans les discours électoraux et professions de foi, le téléspectateur coréen saisit certainement beaucoup d'allusions politiques qui échappent aux téléspectateurs étrangers qu'apporte la couverture internationale de Netflix.
    La série, reprise par Netflix, compte 17 épisodes ; elle a été diffusée en 2010-2011 sur la chaîne KBS - TV2. Le hasard (?) a voulu qu'en même temps soit programmée par une chaîne concurrente une série portant également sur l'élection d'une présidente ("Dae Mul", sur SBS).
    L'importance des séries étrangères et notamment asiatiques (K-dramas) et hispaniques ne doit pas être sous-estimée : Warner Bros. a lancé DramaFever dès 2009, service de VOD consacré aux séries étrangères ("international televised content") qui aurait compté plus de 3 millions de téléspectateurs par mois... mais qui a été fermé en octobre 2018 par AT&T (après son rachat de Time Warner).
    "Président" fait partie des séries conçues pour un  marché national auxquelles Netflix donne une nouvelle chance sous la forme d'un exposition internationale non anticipée (nous avons déjà rendu compte de telles séries : Rita, Argon, Misaeng, "When Calls the Heart, "Cheasapeake Shores", IRIS, White Nights, Midnight Dineretc.).

    Quelles caractéristiques distinguent sur ce point Netflix des opérateurs traditionnels ?
    • Netflix s'avère de plus en plus pourvoyeur de fiction internationale, plurilingue (80 langues). Ainsi, Netflix occupe une position originale sur le marché de la fiction et du cinéma, c'est une sorte de monopole international. Exemple : en  Grande-Bretagne, les 16-24 ans regardent davantage Netflix que l'ensemble des supports de la BBC (cf. The Guardian).
    • Par-delà de publics nationaux monolingues qui ne supporteraient que la télévision nationale, Netflix s'adresse à une population non américaine, jeune, qui a pu bénéficier d'une éducation internationale (apprentissage de langues étrangères, stages à l'étranger, tourisme, etc.) et ce d'autant plus qu'elle a bénéficié d'une formation post-secondaire européenne (Erasmus, etc.). L'étranger ne la déroute pas, au contraire, et l'ouverture d'esprit international s'impose dans les formations et les recrutements. Les frontières culturelles s'estompent.
    • Au-delà de l'achat de l'acquisition de séries existantes, dont certaines ont parfois échoué lors de leur diffusion nationale, les productions nouvelles, exclusive, conçues par Netflix s'amortissent sur un marché de plus en plus large. L'idée qu'il faille adapter au public national les fictions étrangères en les tournant à nouveau s'avère, en comparaison, une solution fort onéreuse et ne vaut guère que pour le marché américain ("Homeland", sur Showtime, reprenant une série israélienne, "The Good Doctor" sur ABC, reprenant une série coréenne, "Jane the Virgin", The CW, s'inspirant d'une telenovela vénézuélienne,  etc.). A terme, Netflix finira par dissoudre les marchés nationaux dans un vaste marché international. Il ne restera aux acteurs strictement nationaux que la ligne Maginot des réglementations.
    • Les séries étrangères reprises par Netflix ont été conçues en visant une audience nationale, elles ne sont pas (encore) dépouillées des traits nationaux, gardant ainsi le bénéfice de leur étrangeté, pour les téléspectateurs. En revanche, les fictions financées dès l'origine par Netflix anticipent déjà des cibles supra-nationales. 
    • Le sous-titrage donne accès à un nouveau type de consommation, requérant un type différent d'attention visuelle que ne peuvent compenser des dialogues son incompréhensibles. Nouveau mix de perception audio-visuelle. Par conséquent, la question des langues devient essentielle pour Netflix qui connaît un besoin considérable de sous-titrage (des milliers de combinaisons de langues). Le sous-titrage est plus qu'une traduction, c'est aussi une adaptation : rendre compréhensible une série étrangère à une cible imaginée. Le sous-titrage doit emprunter aux techniques développées pour les sourds et mal-entendants. Traductions à mi-chemin entre ciblistes et sourciers.

    vendredi 16 mars 2018

    Cord-cutter, cord nevers ? Le malaise des abonnés américains


    L'enquête de TiVo auprès des abonnés à la télévision payante (depuis 2012) semble indiquer que les désabonnés (cord-cutters) au câble ou au satellite (MVPD) ne se réabonnent plus (cord-nevers). Cord-cutter un jour, cord-never toujours !
    Les téléspectateurs américains ont de bonnes raisons de se désabonner : d'abord, le prix élevé de l'abonnement (un tiers d'entre eux paie plus de 100$), ensuite la qualité croissante de l'option alternative : antenne + streaming.
    L'antenne pour capter la télévision terrestre donne accès à la réception gratuite des principales chaînes commerciales nationales (networks), à la télévision publique (PBS) et aux stations locales de la région (DMA). Donc aux séries du moment, à l'information, notamment locale, et surtout aux événements sportifs (football, baseball, basket, jeux olympiques). Une étude de Park Associates (mars 2018, cf. infra) confirme cette tendance et précise que 20% des abonnés haut débit (broadband) utilisent désormais une antenne terrestre, équipement en progression régulière ces dernières années.
    Ensuite, pour qui en veut d'avantage, il y a le streaming, donc Netflix et, de manière secondaire, Amazon et Hulu, tous trois en hausse constante ; pour le streaming du sport, Facebook, Amazon et NFL.com prennent une place significative. Plus des deux tiers des répondants (68,2%) utilisent un service de streaming à la demande (SVOD), 54,8% utilisant Netflix, 25,6% amazon, 16,7% Hulu, 8,5% YouTube TV.
    Pour les désabonnés, Netflix est plébiscité (83,3%). 
    Retour de l'antenne terrestre : Netflix + antenne terrestre, nouvelle formule de base pour la télévision ?

    Le mécontentement semble se stabiliser mais les intentions de changement (déclarées) restent élevées : désabonnement, et désir insistant de ne s'abonner qu'aux quelques chaînes qu'ils regardent (mini bouquet, skinny bundle). La demande de télévision à la carte est presque unanime (81,3%), le bouquet mensuel idéal se réduisant à 24 chaînes à 1,5 € pièce soit 36 $, les chaînes les plus demandées étant A&E, Discovery, Food Network, AMC. Cette demande correspond d'ailleurs à la structure et au prix des bouquets proposés depuis peu par les MVPD virtuels  (Hulu Live, YouTube TV, etc.).
    Comment trouver ce que l'on cherche ? Le papier, c'est fini, ou presque. A côté du programme électronique, s'installe la commande vocale (voice search) ; elle est déjà présente dans un foyer sur quatre mais elle n'est utilisée que  par 14%, en hausse toutefois. Malgré tout, les amateurs de sports se plaignent de ne pouvoir trouver aisément des programmes sportifs qu'ils recherchent. Les assistants vocaux, smart speakers, présent chez 21% des répondants, n'aident pas, pas encore du moins.

    Sources :
    • Q4 Online Video and Pay-TV Trends Report. L'enquête trimestrielle porte sur 3 330 abonnés à TiVo aux Etats-Unis et au Canada. L'échantillon est représentatif de la population de 18 ans et plus. Marge d'erreur : 2%.


    mercredi 14 mars 2018

    Distribution du cinéma aux Etats-Unis : Movies Anywhere


    Les distributeurs de Movies Anywhere auxquels 
    s'ajoute FandangoNow (Comcast) depuis mars 2018
    Movies Anywhere, lancé en octobre 2017 par Disney, soutenu par la plupart des studios hollywoodiens, semble en voie de réussir.
    S'agit-il encore une contre-attaque, d'une alliance contre Netflix ?
    Ensemble se retrouvent Pixar, Marvel Studios et Lucasfilm (Walt Disney) avec Sony Pictures Entertainment, Twentieth Century Fox Film, Universal Pictures et Warner Bros. Entertainment. Un guichet unique pour 7500 films téléchargeables à l'aide d'une appli via iTunes (Apple), Vudu (Walmart), Google Play et amazon. Deux absents notoires, pour l'instant : Paramount Pictures et Lionsgate (qui termine l'acquisition du bouquet TV, Starz). Pas d'abonnement, paiement à l'unité ("No subscription fee. Ever").
    FandangoNow, qui appartient à Comcast, a rejoint Movie Anywhere en mars 2018.

    Movie Anywhere n'est pas la première tentative du genre ; en 2011, UltraViolet l'avait précédée, que n'avaient soutenu ni Disney, ni Google, ni Apple, ni Amazon. UltraViolet a pourtant annoncé 30 millions d'utilisateurs en juin 2017. FandangoNow reste membre de UltraViolet.

    L'accès à Movies Anywhere peut s'effectuer à l'aide des principaux streamers : Roku, Apple TV, Chromecast, iPhone, Amazon Fire, Android TV, etc. Les clients peuvent y retrouver les films qu'ils ont achetés en DVD ou disques Blu-ray ; ils peuvent ainsi constituer et rassembler leur librairie en un seul point ("Your Movies, Together at last", clame le slogan de Movie Anywhere). C'est le fonctionnement de iTunes Match pour la musique.
    Cinq films gratuits sont offerts lors de l'inscription.

    "Movies Anywhere", "TV Everywhere", streaming : aux Etats-Unis, la relation au cinéma et à la télévision est désormais universalisée : partout, n'importe où (pas nécessairement dans les salles, fût-ce de séjour), tout le temps, 24/7. Les technologies de distribution (dont ATSC 3.0) ont ébranlé puis effacé les anciennes contraintes de la linéarité (lieux, horaires) : finies les chaînes et les grilles, la télévision se libère !

    mercredi 7 mars 2018

    Suisse, débat sur la redevance et sur le secteur public de radio télévision


    No Billag ? Non. Une votation a eu lieu en Suisse le 4 mars 2018 à propos de la redevance TV. Finalement, démentant les sondages, 71,6% des votants demandé le maintien la redevance qui finance la SSR (Société Suisse de Radiodiffusion et télévision). Une longue et dynamique campagne hostile à la redevance ("No Billag") a eu lieu, commencée fin 2015. Le référendum d'initiative populaire a été organisé suite à une pétition recueillant 100 000 signatures.
    Billag est l'entreprise suisse qui perçoit actuellement la redevance obligatoire, redevance assise sur la possession de tout appareil de réception, y compris le téléphone portable et l'ordinateur ; la redevance s'élève à 451 Francs suisses par an (392 € ou 481 $). Bientôt, elle devrait baisser un peu pour les personnes et augmenter pour les entreprises...

    No Billag ? Non mais... Au-delà du résultat, l'important est surtout qu'il y ait eu débat, que la redevance n'aille plus sans dire, que le principe même d'une radio-télévision publiques puisse être discuté. "Démanteler le service public", accusent les uns, refuser des "médias sous perfusion publique", se défendent les autres. "La SSR est tout sauf une vache sacrée", rappelle en arbitre le rédacteur en chef de la Tribune de Genève (19 février 2018), elle n'est plus intouchable : le débat reviendra et la SSR doit l'anticiper avec des réformes drastiques.
    Le débat reviendra aussi dans d'autres pays d'Europe. Aux Etats-Unis, où pourtant il n'y a pas de redevance mais un versement volontaire, l'idée et l'existence même d'une radio-télévision publique sont discutées. Le Danemark vient de supprimer la redevance (mars 2018), la Wallonie (Belgique) l'a déjà supprimée...

    En Europe, les secteurs publics de radio et télévision ont été conçus et mis en place dans un monde de médias de papier dominants. Des décennies avant la télévision commerciale (c'est l'inverse aux Etats-Unis). Leur vocation était culturelle et éducative, sans publicité aucune. Quel rôle concevoir aujourd'hui, pour la puissance publique nationale, en matière d'information et de divertissement, dans un univers numérique où triomphent sans partage des réseaux sociaux américains (YouTube, Facebook, LinkedIn, Twitter, Snapchat), un moteur de recherche américain (Google), la vidéo payante américaine (Netflix, Amazon), la radio payante internationale (Apple, Spotify) ?
    Parmi les arguments des défenseurs de la radio-télévision publique, la défense des cultures nationales a été essentielle ; les artistes suisses, les organisateurs de manifestations sportives, le cinéma suisse ont été mobilisés... Quels moyens d'action sont aujourd'hui les plus appropriés pour défendre les cultures nationales, si du moins elles doivent-elles être défendues ? Quel secteur public construire pour développer la démocratie, renforcer les libertés ? La radio-télévision commerciale d'Etat est-elle encore un levier adéquat ? Les médias, tous les médias, ne devraient-ils pas être indépendants de l'Etat ?
    La votation suisse invite à y penser, à douter, à remettre en chantier cette institution. On ne peut plus ne pas se poser la question. Question qui est du même ordre que celle qui concerne l'école publique, elle aussi bouleversée et affectée jusqu'en ses racines, par la numérisation.

    Ce n'est qu'un début, continuons le débat !
    En Suisse et ailleurs, le débat se poursuivra et son centre se déplacera, passant de la notion de radio-télévision publique à la notion plus large de médias publics. Car la presse aussi participe du service public d'information générale et de divertissement, l'affichage numérique urbain (DOOH) de plus en plus... L'information ce n'est pas seulement le débat politicien, électoral, c'est aussi la consommation, les modes vie, les loisirs et la presse magazine y joue un rôle important.
    Qu'en pensent les plus jeunes générations qui ont mieux intégré la culture numérique et qui sont plus friandes de médias numériques étrangers que de télévision nationale, et qui réclament en Suisse le droit d'affecter les 450 CHF de la redevance aux médias de leur choix ? Avec Netflix et YouTube, la télévision n'est plus pour ces générations une affaire d'Etat.

    La grande peur que No Billag a provoquée dans le cinéma suisse

    lundi 5 mars 2018

    Eduquer aux médias à l'école ? Contribution à un débat


    Eduquer aux médias à l'école ? Qui peut oser y trouver à redire ? A première vue, l'idée semble tellement évidente et généreuse. Pourtant cela ne manque pas de surprendre car, pour s'en tenir à l'essentiel, il semble que tout ce qu'il faut pour comprendre les médias soit déjà enseigné à l'école (ou devrait l'être) :
    • Les langues. Car les médias, c'est les langues (dont le français, discipline primordiale). Plus d'une langue, le plus tôt possible, c'est indispensable pour l'entraînement à la communication.
    • L'esprit critique et le bon sens (la logique). Distinguer l'opinion de la science, le croire du savoir, le certain du probable. Interroger la fabrication des faits car "les faits sont faits". Réfléchir au mode de production et de diffusion des contenus, à leur mise en forme, leur économie. Cela relève encore des langues et de la sémiologie, "science des signes dans la vie sociale". 
    • Les statistiques et leur limites : calcul, mathématiques (dont automatisation et algorithme). Corrélation et causation, sondage, précision, marge d'erreur...
    • L'économie de la consommation dont relèvent marketing et publicité.
    Le reste est affaire de spécialisation ultérieure (enseignement professionnel, post-secondaire).
    Les vertus que doit inculquer une éducation aux médias sont celles que doit transmettre toute éducation générale ; elles relèvent de l'esprit scientifique et de la logique qui s'acquièrent en sciences et en langues.
    Les médias et la publicité sont partout, ils composent l'air que l'on respire. Par conséquent, il ne faut pas d'enseignement spécialisé aux médias mais une sensibilisation partout, à chaque occasion. L'école a déjà tellement à faire ! Dotés d'esprit scientifique, les élèves sauront l'appliquer aux médias qu'ils fréquentent.

    Une seule solution sérieuse pour l'éducation aux médias : renforcer et renforcer encore l'enseignement obligatoire et les disciplines essentielles. L'éducation aux médias s'en suivra sans peine. Ne rien ajouter, il y en a déjà trop.

    Contribution à un débat...

    vendredi 2 mars 2018

    "Suits" : costumes sur mesure et procès en série


    D'abord le jeu de mots, implicite : "Suits", les costumes, l'uniforme des cadres au bureau, où l'habit fait encore le moine ; "Suits", les procès (law suit), poursuivre en appel (courtiser aussi) ; suits désigne également, de manière quelque peu argotique, les cadres d'entreprise (business executives) et c'est aussi une main (gagnante ?) au poker (quinte). Significative et féconde polysémie qui convient bien à la série mais que l'on perd à la traduction. Le titre initial était plus clair, mais tellement monosémique : "A legal mind" (une tournure d'esprit juridique).
    Et le bingeviewer attend la "suite", évidemment ! L'action se passe à New York, ce qui nous vaut de superbes - mais nombreux - plans de coupe sur les gratte-ciel de Manhattan et les lumières de la "ville qui ne dort jamais".
    La série a été lancée en 2011 par USA Network, chaîne qui appartient à NBCU / Comcast. "Suits" en est à sa septième saison et la réalisation d'une huitième saison a été décidée en janvier 2018, longévité exceptionnelle pour une série. De plus, Netflix allonge cette longévité en (re)diffusant la série (en lieu et place de la syndication ?).
    Le lieu et les acteurs : un cabinet d'avocats d'affaires qui a réussi, dirigé par Jessica, brillante et belle, secondée par un senior partner, brillant et beau. Bureaux somptueux, chauffeurs, luxe ostentatoire : il faut impressionner clients et  adversaires. Rivalités, jalousies, ambition, blessures d'enfance, manies, autant de problèmes éternels qui s'entremêlent avec des questions dont on parle à la une des médias : harcèlement sexuel, startups, capteurs, mensonges, vie privée, etc. Chaque procès, chaque client gagné par l'équipe est prétexte "for a party" : Champagne ! Le nom même de la société, portant le nom des associés, est un enjeu de luttes internes... Comme dans la publicité. La huitième saison verra l'arrivée de l'actrice Katherine Heigl (ex. "Grey's Anatomy").
    Une assistante juridique (paralegal), qui n'est pas donc (encore ?) avocat, effectue les recherches ("grunt work") pour les avocats, avec talent et efficacité. Elle rêve de Harvard Law School (HLS), alma mater de tous les avocats du cabinet (capital social commun d'héritiers !), HLS est d'ailleurs le fil rouge de l'intrigue.

    Il faut être américain pour apprécier toutes les subtiles distinctions de cet univers, il faut être juriste pour en suivre les joutes verbales souvent liées à la procédure, qui diffère de la procédure française.
    De "Mad Men" à "Suits", se dégage une structure narrative constante, dans la composition, dans les décors, les styles de vie de rêve... Tout fait penser à l'émission "The Good Wife" ou à  "Mad Men" ; on est passé de l'agence de publicité au cabinet d'avocats d'affaires, les gammes de personnages se ressemblent, les rôles aussi et les intrigues qui mêlent vie privée et vie professionnelle. Les premiers rôles sont élégants, avec application, conformes aux critères de la mode du moment, au point que la série semble par instant un défilé de mode (démarches stylisées de mannequins, etc.)... Une combinatoire des personnages est mise en place ; les liens se nouent en réseau, se dénouent et se renouent d'épisode en épisode... Galerie de portraits ou tableaux d'une exposition. Un peu de "comédie humaine" aussi ! Les personnages ne cessent d'échanger des références et allusions complices à des séries TV (intertextualité généralisée). Un personnage de "Suits" dira même, à propos de Downton Abbey :"I'll netflix it" (saison 2), comme l'on dit "I'll google it". A la manière de Google, Netflix a donné naissance à un verbe ! Netflix aussi "is your friend ! Mesure de son succès auprès des internautes.
    Un spin-off est annoncé à partir du personnage de Jessica qui quittera le droit pour la politique à Chicago. La série fera également l'objet d'un remake pour la télévision coréenne (KSB2). Sous le titre de "Avocats sur mesure", "Suits" est diffusée dans les pays francophones depuis 2013-14.

    N.B. On ne peut pas, après avoir suivi ces avocats et paralegals s'épuisant, épisode après épisode à analyser des dossiers de fusion-acquisition (M&A), ne pas mentionner les outils d'intelligence artificielle (lawyer-bots) capables d'accélérer la recherche et l'analyse des documents juridiques (cf. Contract Intelligence, Casetext ou Casemine par exemple). Ce qui changera tout dans cet univers professionnel, et les intrigues de la série car Mike, le personnage principal, se distingue d'abord par une mémoire éidétique (photographique) qui lui permet de traiter d'énormes dossiers rapidement tout comme le logiciel de recherches juridiques Casetext se vante de ses performances : "attorneys who use Casetext for legal research find on-point cases 24.5% faster". Text IQ propose d'identifier les documents pertinents et de faciliter leur traitement...

    Copie d'écran de la chaîne USA Network (novembre 2017)