jeudi 27 décembre 2018

Automobile : la fin d'un rêve... le début d'un cauchemar ?


"L'Automobile. Mythes, culture et société", hors-série Patrimoine, Revue des deux mondes, décembre 2018, 20 €, 148 p.

La Revue des deux mondes - l'ancien et le nouveau monde -, est une revue bientôt deux fois séculaire (1829). L'ambition première de la revue était plutôt littéraire ; n'a-t-elle pas publié Baudelaire, Balzac, Musset, Mérimée ? Ensuite, elle a touché à toutes les composantes de la culture, de l'économie et de la politique internationales. Une orientation conservatrice s'est confirmée progressivement.
Depuis peu, la revue publie des hors-série dits "Patrimoine" consacrés à des thèmes traités sous un angle historique : le champagne, la mode, les jardins... Voici "L'Automobile". Soulignons d'abord la qualité de la réalisation matérielle de ce numéro, splendide en tous points, luxueux, et sobre. La publicité y rivalise avec les illustrations, sans gêner : une double page pour BMW, une page pour Renault, une pour Total ; la 4 de couverture pour le champagne Pommery, la 3 pour PCA services "courtier en automobiles" et, inattendues, une page pour YouTube ("Petites Observations Automobiles") et une page pour la Salle Pleyel. Défense et illustration de l'automobile.

Pourquoi l'automobile ? Parce qu'elle a créé une culture totale, l'automobile se prête bien à une approche globale multipliant les points de vue, ce que traduit le sous-titre : "mythes, culture et société". L'impact de l'automobile est si considérable qu'il est encore mal estimé. Impact sur les choix économiques et sociaux, bien sûr, mais aussi sur la culture : les jouets, le permis de conduire, rituel de passage à l'âge adulte, les salons annuels et leurs pin-ups, le marché de l'occasion et l'argus, les vacances et les week-ends, les sports mécaniques et leurs héros (F1 et rallyes, voir l'article de Sylvain Reisser, "Le combat des chefs"), les collections et la passion des voitures anciennes... l'automobile a façonné l'urbanisme, aménagé (déménagé ?) le territoire à sa convenance ; annonceur primordial, elle a créé ses médias, financé des centaines de magazines : en France, de 2003 à 2018, on compte plus de 1300 créations célébrant l'automobile (dont 400 nouveau titres - s'ajoutant aux anciens - et plus de 900 hors-séries. Source : MM, décembre 2018). Et que serait la radio sans l'automobile et le "morning drive" (le "7-9" des média planners), que seraient la publicité extérieure et les 4X3 sans la circulation urbaine ?
Le sommaire du numéro retient de la culture automobile et de son impact plusieurs aspects, la plupart positifs : la réputation de l'automobile allemande (dont une forte réputation nazie), Tintin et Elon Musk côte à côte, les débuts du jeune Habermas comme journaliste à propos de "l'homme au volant", l'esthétique futuriste des années 1900 et la philosophie de la vitesse (Marinetti), quelques portraits des pères fondateurs de l'automobile (Renault, Citroën, Porsche, Ferrari). Manque l'américain Henry Ford, antisémite et hitlérien notoire. De même, manquent les millions d'ouvriers (dont beaucoup d'émigrés-immigrés), usés par l'usine, la chaîne et son implacable monotonie. Rien sur le syndicalisme, le risque et l'assurance, la géographie industrielle automobile, les réseaux de stations services... Il y faudrait plusieurs hors série pour renoncer à ces renoncements !

Au cours du siècle dernier, la population française a rêvé d'accéder à l'automobile : Traction Avant, 4CV, 2CV, 3CV, 203, 403, 404, 504, l'ID et la DS, etc... voitures populaires, promesses de mobilité sociale ascendante. "Tous les plaisirs de l'automobile", promet encore le sous-titre de l'auto-journalCe hors-série est la célébration nostalgique d'un enchantement aujourd'hui déçu. Outil de loisirs pour quelques uns, l'automobile a fait rêver. Lorsqu'elle est devenue un outil indispensable à presque tous, le rêve a tourné au cauchemar : industrialisation galopante et aliénante, embouteillages constants, coûts d'utilisation croissants (dépense personnelle perçue, coût social caché), destruction inexorable des villes (parkings, voirie délirante). Ce numéro de la Revue des deux mondes est aussi celui de la gueule de bois qui succède à l'ivresse automobile. Eric Neuhoff avec un humour grinçant en donne la tonalité. Frustré, l'automobiliste est de plus en plus souvent de mauvaise humeur. Lui reste la nostalgie...

Dans les agences de publicité, on rêve encore de budgets automobiles. L'automobile est un mythe : elle raconte une histoire, notre histoire, c'est aussi pour cela que la publicité l'aime ; dans son article, "Ce que la publicité automobile dit de nous", Guillaume Martin (BETC), souligne que la publicité automobile raconte nos vies. Vies parfois tragiques car l'automobile c'est aussi l'accident qui guette : près de 4000 morts par an en France... La route, c'est le destin, les Parques n'épargnent personne, les célébrités en témoignent, Françoise Sagan, Albert Camus, Diana Spencer, Roger Nimier, Grace Kelly, Eddie Cochran...
L'automobile accompagne souvent une rêverie de séduction dont le cinéma sera le chantre (voir l'article de Serge Toubiana, "L'Amérique à toute allure"). L'amour, la mort, "Un Homme et une femme" (Claude Lelouch, 1966). Le quotidien est plus trivial : coincé dans les embouteillages, on habite de plus en plus sa voiture, des heures par jour : radio, téléphone, sandwich, café... Vacances, week-ends, tout commence et finit par des bouchons !

Bien sûr, la mythologie n'insistera pas sur les ravages de l'automobile. Pourtant, depuis un siècle, notre civilisation est malade de la voiture. Maladie auto-immune qui, perverse, attaque nos défenses. Dès l'enfance, on est drogué à la voiture (miniatures, jouets, manèges), les piétons naviguent, non sans risque, dans des villes inondées de voitures dangereuses, disciplinés par des feux de circulation. L'automobile s'est emparée de la vie au point que l'on n'en perçoit plus l'omniprésence. Invisible, elle est l'environnement et, par là même, difficile à critiquer tant elle semble aller de soi, comme l'eau pour les poissons. Coûteuse, incommode, polluante... et indispensables : les citadins (d'abord les plus jeunes, les parents de jeunes enfants) réclament des arbres, de l'herbe, des pistes cyclables, des transports publics, de l'air, de l'espace et moins de bruit. Les ruraux veulent plus de routes, veulent rouler plus vite : contradiction politique, centre / périphérie, ville / campagne... Politiques aveugles.
On perçoit désormais les problèmes qu' a induits la civilisation automobile. D'une ville stupide à souhait (dumb city), il faudrait passer à une "smart city", à une ville débarrassée de la pollution et qui en finirait avec le massacre de l'environnement, avec la dépendance énergétique, avec le gaspillage quotidien du temps dans les embouteillages, avec les trottoirs encombrés. Peut-on compter sur l'Internet des choses et ses multiples capteurs pour y parvenir ? Bien que droguée à l'automobile, la population tente de résister et proteste contre les taxes accumulées (la vignette !), les péages autoroutiers, les contrôles techniques, la vitesse limitée... Ni les voies sur berges ni la circulation alternée n'y ont pu mais. Rien n'y fera, ni Waze, "bison futé" électronique avide de données personnelles, ni Uber, ni les voitures sans chauffeur, ni les motos qui ne font qu'ajouter au vacarme, à la pollution et au danger.

Résumé de la situation par un magazine
janvier 2019
Quel politicien aura, un jour, le courage de "désespérer Billancourt" ? Car l'automobile est condamnée et le désenchantement, inévitable, douloureux. Les robots dans les usines ne font pas grève, il n'y a plus de "forteresse ouvrière" pour préparer un "grand soir" mais seulement de malheureux consommateurs, sauvés et condamnés par l'automobile, et qui enragent, maladroitement.
Ce hors-série tombe pile, entre les Tesla et les "gilets jaunes". "Nouvelle tectonique", annonce Karl de Meyer : bientôt des voitures chinoises construites en Europe (LynkandCo) avec Volvo... Le rêve peut-il revenir avec la voiture électrique, ou avec la voiture autonome, sans chauffeur ?


Références

MediaMediorum, La presse automobile entre dans l'histoire par la nostalgie

Philippe Bouvard, "On est toujours perdant aux quatre roues de l'infortune", Le Figaro Magazine, 11 juillet 2009.

Jacques Frémontier, La Forteresse ouvrière : Renault, Paris, 1971, Fayard, 380 p.

Robert Linhart, L'établi, Paris, 1978, Les Editions de Minuit, 179 p.

Alfred Sauvy, Les quatre roues de la fortune, essai sur l'automobile, Flammarion, Paris, 1968,

jeudi 20 décembre 2018

Deutsch-Les-Landes : une grande illusion culturelle


"Deutsch Les Landes", série, Amazon Prime Video, 10 épisodes de 25 minutes, sortie fin novembre 2018.

"Vivre comme dieu en France"("Leben wie Gott In Frankreich"), dit-on encore en Allemagne. C'est la promesse que l'on a faite aux employés d'une usine allemande de design automobile délocalisée et à leurs familles. Donc, ils débarquent un jour, invités par le maire, une femme énergique, à s'installer dans un bourg du Sud-Ouest, non loin de l'océan : plage, excellente cuisine du terroir, bons vins des régions voisines, climat agréable... Voici la trame d'une série franco-allemande, la première d'Amazon Prime Video.

Alors ? Le résultat semble consternant. Comment a-t-on pu en arriver là ?

Car au premier degré, c'est insupportable. Des stéréotypes attristants, un peu de vulgarité (le village s'appelle Jiscalosse !), une histoire peu crédible, des personnages presque tous inconsistants... dans une merveilleuse région où Dieu sait, justement, si l'on sait vivre. Quelques allusions gastronomiques confortantes, garbure et canard, au milieu d'allusions historiques confondantes (De Gaulle, la Résistance, la RDA, etc.). Comique d'exagération, certes... Les Allemands seront presque toujours ridicules, bichonnant sans cesse leur Mercedes (quel placement de produits !), naturistes et disciplinés (aux feux de circulation). Un personnage de chef d'entreprise, stéréotypé jusqu'à l'absurde. Pour les Français, l'allemand se réduit à Goethe ("Kennst Du das Land...") mis en musique par Franz Schubert (souvenirs scolaires ?), à la bière (Oktober Fest), au foot (cela se joue toujours à onze mais ce n'est plus l'Allemagne qui gagne !) et aux voitures. Quant aux Français, ce sont presque tous des ploucs ronchonneurs et chauvins, dotés d'une administration municipale coincée, d'une discipline scolaire inflexible... Malaise, inconfort du téléspectateur (Unbehagen !). Petit à petit, malgré tout, la pâte franco-allemande prend, des couples mixtes se forment et les nécessaires collaborations se mettent en place dans la bonne humeur tandis que de minces intrigues se dénouent. Les soi-disant ennemis héréditaires oublient l'histoire (Achdie sogenannte deutsch-französische Erbfeindschaft), histoire qu'ils n'ont d'ailleurs jamais connue et les amitiés franco-allemandes l'emportent (Freundschaft).
On a dit que l'esprit des "Cht'is" flottait sur "Deutsch-Les-Landes", c'est beaucoup dire... On peut penser aussi à "Que les gros salaires lèvent le doigt"... en vain. Mais que diable allait donc faire amazon prime video dans cette galère ?

Le traitement linguistique de la série est inconcevable, et il est difficile au téléspectateur de s'y retrouver : les supposés Allemands ne s'expriment qu'en français et même, en français comme des Français, sans accent, ce qui rend les situations incompréhensibles et peu crédibles, même avec beaucoup d'imagination. Ainsi n'y a-t-il aucun malentendu lié à la langue (Mißverständnis) : il y aurait pourtant beaucoup à exploiter. D'ailleurs, on n'entend guère qu'une dizaine de mots en allemand dans tout le film, langue présentée comme imprononçable, évidemment. On aurait préféré le parti pris consistant à garder la variété linguistique, quitte à sous-titrer dans la langue cible quand c'est nécessaire. Cf. Jane The Virgin ou Mozart in the Jungle (série d'amazon, justement).

Au second degré, on ne peut qu'ironiser à voir ainsi représentées les relations franco-allemandes, réduites à d'indécrottables clichés dont beaucoup sont fatigants à force d'être usés et anachroniques. La guerre est finie !
On est passé bien loin de "La grande illusion" des conflits franco-allemands (Jean Renoir, 1937) de la frontière arbitraire et de l'amour qui les bafoue et les transcende. Occasion manquée ? Confronter des Allemands et des Français réduits à leurs caricatures réciproques et à leur hostilité supposée - et constructrices des deux nationalismes - aurait pu être fécond. En France, on n'apprend plus l'allemand et, en Allemagne, on n'apprend guère le français. Les dernières générations à avoir été membres des Hitlerjugend ou des jeunesses maréchalistes ont vécu ; ceux qui ont connu la dernière guerre franco-allemande, Allemands ou Français, sont peu nombreux. Alors, qu'est-ce que les relations franco-allemandes aux yeux des Européens d'aujourd'hui ? Airbus, le foot, le hand-ball, ARTE, commerce et tourisme ? Quels clichés, quels lieux communs "nationalistes" survivent à l'Europe ? S'en est-il constitué de nouveaux ? Le film aurait pu partir de là : qu'est-ce qu'un cliché sinon le "développement d'un habitus" (pour reprendre les termes de Norbert Elias) ? Une bonne idée a été gaspillée. Si un match retour a lieu, en Allemagne, on ne peut que souhaiter mieux !


Références


  • Friedrich Sieburg, Gott in Frankreich ? Ein Versuch, Sozietäts-Verlag, 1929, Frankfurt, 321 p.
  • Michael Jeismann, Das Vaterlande der Feinde. Studien zum nationalen Feindbegriff und Selbstverständnis in Deutschland und Frankreich 1792-1918, Stuttgart, 1992 (traduit à CNRS édition, La patrie de l'ennemi, 1997.
  • Norbert Elias, Studien über die Deutschen, Machtkämpfe und Habitusentwicklung im 19. und 20. Jahrhundert, Herausgeben von Michael Schröter, 1989, 555 p. 


  • vendredi 7 décembre 2018

    Comcast - Disney, match retour sur terrain numérique


    Walt Disney, client de Google Ad Manager
    Comcast et Disney, deux méga-groupes de divertissement télévisuel, se sont opposés dans une double bataille pour l'achat. Disney a emporté XXI Century Fox tandis que Comcast emportait finalement le réseau européen Sky aux enchères.

    Jusqu'à présent, Disney (ABC, ESPN) utilisait les services de Freewheel pour la gestion publicitaire (video adserving). Or FreeWheel appartient à Comcast.
    Disney a donc lâché Freewheel. Et que pensez-vous qu'il arriva ? Ce fut Google Ad Manager qui l'emporta. Superbe occasion pour Google de pénétrer plus avant le marché publicitaire de la télévision :"With this new relationship, Disney will bring its entire global digital video and display business onto Google Ad Manager, which will serve as its core ad technology platform", déclare Google Ad Manager dans un bref communiqué de presse.

    Effet indirect des fusions et acquisitions, des démantèlements en tous genres et des recompositions. Paradoxe étonnant : Disney, comme les autres grands groupes de télévision (AT&T, CBS) redoute Netflix, alors ils s'allient à Google à qui appartient YouTube... Pour Google Ad Manager, c'est assurément le marché du siècle ("a strategic relationship") que de prendre en charge et orchestrer la totalité du numérique publicitaire de Walt Disney (mobile, vidéo, display, applis, streaming aux Etats-Unis et à l'étranger) ; on parle d'un budget de dizaines de millions de dollars ! N.B. Google Ad Manager compte déjà de nombreux clients dans la télévision américaine : CBS (dont CBS All Access), AMC, A&E Networks, Bloomberg, Lifetime, The CW, BBC America...

    Tout ceci confirme combien le marché de la télévision est la proie primordiale des GAFAM / FAANG : Netflix, Google, Apple, Facebook, Amazon ne pensent qu'à la télévision, depuis toujours. Chacun s'y attaque à sa manière.

    Références

    lundi 3 décembre 2018

    Nexstar, premier groupe de télévision locale américaine


    Nexstar Media achète les 42 stations de télévision du groupe Tribune Media Company pour 4,1 milliards de dollars (6.4 in accretive transaction) devenant ainsi le premier groupe de stations de télévision locale aux Etats-Unis. Le groupe Sinclair qui avait envisagé l'achat de Tribune Media Company (pour 3,9 milliards) a dû y renoncer alors que la FCC se montrait préoccupée ("serious concerns").
    Nexstar Media possède déjà et gère 174 stations dans 58 DMAs, petits et moyens.

    Au terme de la transaction, Nexstar acquiert 42 stations de Tribune Broadcasting dont trois lui donnent une présence dans de grands DMAs : San Francisco-Oakland-San Jose (N°6), Tampa-St. Petersbourg-Sarasota (N°11) et Phoenix-Prescott (N°12). Nexstar s'empare également de WGN America, chaîne cabsat accessible par 70% des foyers, et détiendra 31% de TV Food Network (le reste appartenant à Discovery) et d'une radio (WGN-AM). Mentionnons encore deux digicasts, Antenna TV and THIS TV ainsi que le site d'information sportive Covers Media et 5% dans l'équipe des Chicago Cubs (baseball, MLB). S'y ajoute encore un site d'analyse des programmes de télévision (TV By the numbers / Zap2it) Et, bien sûr, de l'immobilier.

    Une fois l'accord de cession signé, Nexstar détiendra 216 stations dans 118 DMAs ("216 combined, pre-divestiture full power, owned or serviced, television stations in 118 markets") ; il lui faudra alors mettre en vente (divest) un certain nombre d'entre elles, dans une quinzaine de DMAs, pour se conformer à la réglementation sur la concentration (39% des foyers TV, les stations UHF étant comptées pour 50%). La plupart des stations à revendre sont affiliées : on dit que Fox se porterait acquéreur de plusieurs.
    Dans le communiqué de presse, Nexstar réitère son engagement pour le localisme de la télévision.

    L'adaptation du marché des médias traditionnels américains au numérique provoque de nombreuses fusions et acquisitions, aboutissant à la constitution de groupes plus puissants. Ces groupes seront mieux à même de résister aux Facebook (cf. Today In), Amazon, Google, Microsoft qui visent leurs annonceurs locaux ; ils seront mieux à même, également, de négocier le montant des droits de retransmission (fees) que doivent leur verser les MVPD (retransmission consent). Certains estiment qu'une telle acquisition risque de compromettre la diversité des programmes locaux. Mais qu'en est-il  de la diversité avec les GAFAM ?


    Tribune + Nexstar



    dimanche 2 décembre 2018

    Gestion des médias numériques et morale


    The Drucker Institute a publié son classement annuel des entreprises américaines cotées (NYSE, NASDAQ) les mieux gérées (best run), pour reprendre l'expression de Wall Street Journal. Des grandes entreprises du numériques y occupent les premières places confirmant leur puissance et leur solidité tant financière que managériale. Notons toutefois que la satisfaction des consommateurs n'est pas optimale.
    IBM est à la dixième place, Facebook à la 23ème (insatisfaction des consommateurs), Disney à la 48ème, Netflix à la 126ème place tandis que Comcast est reléguée à la 186ème place, payant la légendaire insatisfaction de ses clients.
    Méthodologie : Ici. Définition de l'efficacité (effectiveness) par The Drucker Institute : "faire ce qu'il faut et le faire bien" ("doing the right things well"). N.B. je ne trouve pas meilleure traduction...

    Attention : il s'agit d'un classement qui ne concerne que les Etats-Unis. La situation serait sans doute différente si l'on prenait en compte la responsabilité sociale en Europe, notamment. Un bonne gestion ne doit-elle pas équilibrer responsabilité sociale et solidité financière ("financial strength"), le respect des lois et contribution au bien public ?

    Ce qui distingue entre elles, à première vue, ces entreprises numériques et média, ce sont la satisfaction des clients et la responsabilité sociale. La morale, l'éthique ? Dans ce cas, encore un effort ! (cf. tous les manquements : The year of the miss).

    Drucker Institute, Claremont Graduate University, December 2018





    jeudi 29 novembre 2018

    The Year of the mis(s)!


    Misinformation is "the word of the year", according to dictionary.com. The dictionary gives its own definition of the word: "false information that is spread, regardless of whether there is intent to mislead".

    Thanks to Facebook, of course but not only. Politicians contributed a lot too. Not to mention the historians (negationists of all kinds) and the propagators of "fake news", "alternative facts"...

    But there is more:
    Advertising brought its own "mis": misplacement. And, best of all: miscalculation. So many opportunities to miss the target. A wonderful prefix, so productive, so useful nowadays.
    But do not misunderstand me, this is nothing new: Socrates, about 380 BCE, used to complain about the Sophists and rhetoric: "a tool of persuasion" and not a tool for justice or for truth. "Thus rhetoric, it seems, is an operator (demiourgos, "δημιουργός") of persuasion for belief, not for instruction in right and wrong", (Plato, Gorgias, 455a).
    And worse, of course, there is misconduct in so many companies, sexual misconduct, financial misconduct...
    Misbehaving? "The year of our discontent"? We won't miss it. "The Uneasyness in Civilization", wrote Freud (Das Unbehagen in der Kultur)... Uneasiness, yes... really. And morality?

    mercredi 28 novembre 2018

    Magazines : des lieux qui ont une âme



    L'Ame des lieux. Les lieux qui font le monde, trimestriel, lancé au début de l'été 2018. 162 p. 15€. Abonnement : 60€. Editée par les éditions ScriNéo qui publient également les magazines l'éléphant (La revue de culture générale) et Aider (S'engager pour les autres).

    Les lieux ont-ils une âme ou bien ne sont-ils pas tout simplement remarquables pour des raisons historiques ou esthétiques générales, ou encore parce que nous les associons à des souvenirs personnels ? Tout comme les choses et autres "objets inanimés". L'édito du N°2 explique la vision du magazine : "La géographie le confirme : un lieu naît de son interaction avec l'homme. Il porte en lui une part de subjectivité, un peu de chacun de nous, un peu de nos histoires, de nos envies, de nos fantasmes..." (Stéphanie Tisserond, Jean-Paul Arif). Ouf ! On échappera donc au romantisme louche des racines et de la terre.
    Le concept de L'âme des lieux est d'associer histoire et tourisme, réalisant une "revue curieuse et voyageuse". Le premier numéro conduit les lecteurs dans des "endroits qui [nous] rendent heureux" : Venise, bien sûr, et de manière plus originale, l'Ile d'Elbe , Tipaza (Algérie), les volcans d'Islande, le Verdun des Vosges, les toits de Paris, la Dordogne et le Périgord, la Réunion : il y en a pour tous les gouts, Bohin dans l'Orne (où l'on fabrique des aiguilles), Le Touquet, Sancerre et Chavignol...

    La 4 de couverture du N°2 : un sommaire
    Le magazine traite "l'actu par les cartes", rubrique qui fait voyager dans le temps aussi. Dans le premier numéro, cela commence par la culture des cerises et le Vaucluse. Une carte et un peu d'histoire, la burlat. La nostalgie du temps des cerises nous prend "mais il est bien loin"... Puis la  rubrique traite de la bière, des glaces. Dans le deuxième numéro, la rubrique élargit son horizon au Brésil puis à l'Europe ("les migrants, géographie d'un malaise"), à la Nouvelle Calédonie, avant l'élection, à la Russie, à Israël. La rubrique continue avec "la désertification rurale en France". Car "le désert croît" ! : de la Corrèze à la Haute-Marne jusqu'aux Ardennes, se dessine une diagonale inquiétante où le nombre de médecins diminue et où il ne fera pas bon être malade. Enfin, la Pologne face à son histoire : après Auschwitz, un antisémitisme qui n'en finit pas de renaître, Solidarnosc, l'occupation soviétique...
    Le coeur du deuxième numéro, c'est Chicago, ses plages le long du lac, ses hauts immeubles (dont la Tribune Tower, immeuble néo-gothique, qui fut jusqu'en juin 2018 le siège du quotidien Chicago Tribune), Chicago river et ses canaux, le métro aérien ("the L"). "Windy city", certes mais "my kind of town", anyway). Bien vu. Une centaine de pages plus loin et l'on arrive à Lons-le-Saunier (Jura) patrie de La Vache qui Rit, qui germanophobe en temps de guerre, fut wagnérienne (Wachchyrie !).
    Chaque numéro s'achève par une recette de cuisine : risotto de la plaine du Pô et kouign-amann de Douarnenez pour les premiers numéros.
    Toutefois, un spectre hante cette géographie avenante : celui du tourisme qui défigure, des foules qui déferlent, compromettant la valeur et l'âme des lieux et risque de ruiner "l'esprit d'ici" que met en avant "le magazine de l'art de vivre en région" (ESPRIT D'ICI, 2012, Burda).

    En fait, ce magazine sans publicité a des airs de documentaire géographique, extrêmement varié et habilement conçu ; pour rêver, anticiper des voyages ou des lectures, apprendre et se distraire, entre anecdotes, cartes postales et cartographie. Magazine confortable, de garde, qui vieillira bien. Les articles sont parfaitement illustrés, clairs. Le pari cartographique apporte une lisibilité innovante et constitue une entrée féconde pour s'orienter dans les principaux sujets. Les notions de patrimoine ne sont jamais loin. Bien positionné entre histoire et territoire, traditions et terroirs, L'âme des lieux devrait avoir un bel avenir.

    lundi 19 novembre 2018

    The Kominski Method : le Paradoxe du comédien relu par Hollywood


    The Kominski Method, série de 8 épisodes de 30 mn, Netflix, 2018.

    Cette série originale de Netflix, produite par Warner Bros. et dirigée par Chuck Lorre ("The Big bang Theory") met en scène le métier d'acteur. Cela se passe à Los Angeles, bien sûr, où les immeubles de Netflix trônent désormais non loin de studios de cinéma presque centenaires !
    L'histoire est celle d'un acteur vieillissant et de son meilleur ami, un agent un peu plus âgé, qui a réussi. Deux thèmes s'entrelacent pour conduire l'intrigue : le métier d'acteur et le vieillissement.

    The Kominski Method est d'abord la tragi-comédie de l'âge, des grands et petits malheurs de vieillir au masculin. Cette série est un peu le pendant masculin, le négatif, de "Grace et Frankie" (Netflix), qui donne du vieillissement une image surtout féminine, plutôt heureuse et optimiste, l'humour aidant à dominer l'adversité. The Kominski Method donne de l'âge une image amère, férocement ironique, d'un réalisme souvent cynique : le deuil, la santé, les enfants, la sexualité vacillante... Beaucoup d'autodérision et d'humour dans des dialogues ciselés et calculés comme pour une stand-up comedy.
    Le troisième - et dernier - âge est à l'honneur, et ses héros sont fatigués. C'est la tonalité de la série, cela frise parfois la gérontologie.

    Un second thème est au cœur de la série : le métier d'acteur et comment l'apprendre. Un acteur autrefois adulé, maintenant sans rôle, enseigne pour survivre le métier d'acteur (coach). Mise en abyme ! Bien sûr, tout évoque l'Actors Studio (1947, à New York puis 1966, à Los Angeles) et sa "méthode" empruntée à Stanislavski (1863-1938, théoricien du théâtre russe) et Vakhtangov (1883-1922, Moscou) qui influenceront Lee Strasberg, créateur de l'Actors Studio.
    Avant Stanislavski, revenons toutefois à Diderot et au Paradoxe sur le comédien (1773). L'acteur doit-il, peut-il jouer ce qu'il ne ressent pas ? Dans The Kominski Method, l'acteur qui joue l'acteur joue à ne pas ressentir sa vie qu'il fait semblant de jouer. La vraie vie et ses émotions finissent pourtant par le rattraper et il est tenté de jouer pour s'en sortir. Le seul tournage auquel on assiste est celui d'un spot publicitaire : l'acteur s'y laisse aller à sa sensibilité, l'homme prenant le pas sur le personnage. Erreur ? Revient le fameux paradoxe. "Les larmes du comédien descendent de son cerveau ; celles de l'homme sensible montent de son cœur", et Diderot d'insister : "C'est l'extrême sensibilité qui fait les acteurs médiocres : c'est la sensibilité médiocre qui fait la multitude des mauvais acteurs ; et c'est le manque absolu de sensibilité qui prépare les acteurs sublimes". Tel est le paradoxe au cœur de The Kominski Method et d'abord au cœur de "The method" de l'Actors Studio ("the home of method acting", fondé en 1947). Le jeu de l'acteur doit équilibrer émotion ressentie et émotion jouée. Le métier s'apprend à coups de répétitions, de techniques et d'exercices (gestes psychologiques, décontraction, etc.). On peut imaginer également des allusions à la "biomécanique" de Vsevolod Meyerhold (1974-1940, Moscou). Michelangelo Antonioni dira le contraire : "Je m'efforce de solliciter chez l'acteur l'instinct plus que le cerveau" (o.c. p. 20 ; voir aussi p. 31).

    La série (single-camera setup) peut être regardée innocemment (sans savoir) ; elle peut aussi être regardée en pensant à tous les acteurs de cinéma issus de l'Actors Studio et à la fameuse émission qui les met en scène pour de longs interviews hors scène ("Inside the Actors Studio"). Pour ceux qui aiment le cinéma, série indispensable.
    Brillante distribution d'acteurs (Alan Arkin, Michael Douglas). Travail remarquable tant par la réflexion, en acte, sur le travail de l'acteur, que par le traitement parodique du vieillissement masculin. Au plan théorique, il faudrait sans doute approfondir la différence, pour le jeu d'acteur, entre le théâtre et le cinéma où le nombre de prises peut être réduit ou multiplié.

    MàJ 18 janvier 2019 La série ayant gagné deux Golden Globe Awards (meilleure "comedy series" et meilleur acteur, Michael Douglas), Netflix l'a renouvelée pour une saison.


    Références
    • Denis Diderot, Paradoxe sur le comédien
    • Inside the Actors Studio", émission de la chaîne Bravo, 1994 (Paris Première en France), tournée avec le public de l'Actors Studio Drama School
    • Molière, L'impromptu de Versailles, 1663 : "c’est en quoi vous faites mieux voir que vous êtes excellente comédienne de bien représenter un personnage qui est si contraire à votre humeur: tâchez donc de bien prendre tous le caractère de vos rôles, et de vous figurer que vous êtes ce que vous représentez", Scène 1)
    • Sonia Moore, The Stanislavski System: The Professional Training of an Actor, 1984
    • Famous alumni of The Actors Studio
    • Michelangelo Antonioni, "Paradoxes sur les acteurs" (1959), "Réflexion sur l'acteur" (1961) in Ecrits (Fare un film è per me vivere), Editions Images Modernes, 2003, 351 p.

    vendredi 16 novembre 2018

    TV: L'heure, c'est l'heure. Après l'heure, c'est plus l'heure

    Télé-Loisirs, Programmes du 10 au 16 novembre, p. 14

    L'hebdomadaire Télé- Loisirs se fait l'écho de téléspectateurs qui se plaignent des retards des émissions : l'horaire de diffusion n'est pas l'horaire annoncé dans la presse (l'écart étant parfois d'un quart d'heure). Le magazine a collecté une pétition de 22 000 signatures et a comptabilisé la durée hebdomadaire perdue à attendre les émissions attendues...

    Au moment où l'on évoque les succès de Netflix et du streaming à la demande (SVOD), où le binge-viewing semble une évidence partagée, il est intéressant d'observer qu'une partie de la population française vit toujours au rythme des chaînes traditionnelles, historiques même (TF1 d'abord). Et d'abord au rythme du prime time. L'expression peut sembler surannée, ringarde même alors que l'on affirme que "prime time is my time".
    La banalité des arguments rapportés par le magazine doit être soulignée : "Je me lève à 5h30 et j'aimerais pouvoir vois un film en entier un soir" ; quand on se lève tôt, on ne peut pas se coucher trop tard. La France qui se lève tôt !

    Au-delà des arguments et des récriminations, que nous apprennent cet article et cette pétition ?
    Ils nous rappellent que pour une partie de la population vivant en France, la télévision est affaire d'horaire : on attend qu'elle soit ponctuelle, politesse des rois ! Oubli, négligence des chaînes ? Ignorance ? Mais que savent les "chaînes" des téléspectateurs actuels et potentiels ? Elles ont les données d'audience a posteriori : en plus d'inspirer des tarifs publicitairesces comptages, effectués à partir d'un panel, traduisent des choix, des préférences de la population à un moment donné, rien de plus ; elles ne peuvent déceler des mécontentements qui montent et des changements de comportement en gestation.
     Les chaînes cherchent-elles à le savoir ? Les téléspectateurs ne sont pas si "enchaînés" à leur grille qu'elles veulent se l'imaginer. Les services de streaming à la demande (SVOD) en savent plus long sur les comportements de leurs abonnés (de TOUS leurs abonnés, à tout moment). Les résultats de la pétition de Télé-Loisirs, comme un élément d'un cahier de doléance, peuvent être perçus comme une involontaire et convaincante publicité pour Netflix et Amazon Prime Video dont le prime time est, par construction, toujours à l'heure de leurs abonnés. Alors, est-ce l'heure d'OTT qui vient de sonner pour les grandes chaînes ?

    Ne méprisons pas les usages traditionnels des médias traditionnels. Voyez Amazon qui imprime et envoie des millions de catalogues pour les achats (de jouets notamment) de fin d'année ou encore Facebook qui, aux Etats-Unis, fait connaître sa dernière innovation (Portal) à grands coups de GRP TV (50 millions de $ en un mois). Quant à Google, il fait la une de la publicité extérieure avec son téléphone Pixel.

    jeudi 8 novembre 2018

    Cord shaving, cord cutting, cord nevers... voici les cord shifters


    Les résultats trimestriels de Comcast viennent de tomber (T3, 2018).
    Comcast a gagné 334 000 abonnés broadband ("residential internet customers") mais a perdu 106 00 abonnés vidéo. Au cours d'une année, Comcast aura perdu 363 000 abonnés vidéo mais gagné 1,23 millions d'abonnés haut débit. Source : Multiscreen Index, Informitv.
    Bilan positif ?
    Sans doute, d'autant qu'il semble que la marge réalisée avec un abonné haut débit soit plus élevée que celle réalisée avec un abonné vidéo. Difficile de conclure précisément toutefois, faute de données (prise en compte des abonnements promotionnels, etc.). Néanmoins, il est raisonnable d'estimer que le modèle économique des câblo-opérateurs n'est pas aussi compromis que l'on a pu le craindre. Des abonnés se désabonnent du câble et de la réception des chaînes cab-sat (cord-cutting) et s'abonnent, ou restent abonnés au fournisseur pour la connection Internet (transfert : cord-shifting). Comcast passe progressivement du statut de câblo-opérateur à celui de Internet Service Provider (ISP, fournisseur d'accès Internet, FAI). Il compte davantage d'abonnés Internet haut débit que d'abonnés TV / vidéo, et l'écart se creuse.
    Une même situation semblable peut être observée pour Charter,/ Spectrum l'autre grand câblo-opérateur : 66 000 abonnés vidéo perdus, 266 000 abonnés haut débit gagnés (T3, 2018).

    "We surpassed 30 million customer relationships", a déclaré le P-DG de Comcast. "Customer relationship", relation client ; pour ne pas dire "abonné" (subscriber) ? "What's in a name"! Voici un nouveau KPI : l'ensemble de ceux qui souscrivent à un des deux types d'abonnements, au moins : l'ancien ou le nouveau ?

    La connexion Internet est désormais vitale, son importance s'accroît : Comcast ne court donc aucun risque. En revanche, l'abonnement aux chaînes vidéo (cab-sat) est en baisse ; les abonnés à Internet peuvent remplacer l'abonnement aux chaînes traditionnelles (legacy) par des abonnements streaming, souscrits auprès de Netflix ou Amazon Prime Video, notamment. D'ailleurs, Comcast se vante d'être le premier fournisseur d'abonnés Netflix aux Etats-Unis... Paradoxe ? Comcast développerait une set-top box dédiée exclusivement aux services de streaming et qui ne donnerait donc pas accès aux chaînes traditionnelles.
    • Pour palier ce transfert, Comcast pourrait lancer des services OTT accessibles aux Etats-Unis et en Europe, puisque Comcast vient d'acquérir Sky. NowTV pourrait constituer un tremplin tentant. 
    • Comcast pourrait aussi s'accorder avec Netflix... 
    • Comcast pourrait également se tenir à l'écart des services en streaming, au modèle économique incertain, et se concentrer sur la fourniture de connexion Internet, au modèle économique plus sûr : développer et améliorer son réseau, vendre davantage de produits aux abonnés (domotique, cloud, par exemple), ou encore vendre de la bande passante aux utilisateurs de son réseau puisqu'il n'y a plus de neutralité du Net pour l'interdire.
    Netflix sur xFinity par Comcast

    Voir aussi, sur MediaMediorum :

    mardi 6 novembre 2018

    And now, it's HBO that goes dark!


    A dispute is going on between an MVPD, Dish Network, and WarnerMedia (now part of AT&T). There is a disagreement over the pricing policy for HBO and its sister channel, Cinemax, both pay TV channels. Consequently, the 1st of November, HBO and Cinemax went dark for the first time in 46 years. Therefore, the 2.5 million households also subscribing to HBO, from among the 13 million Dish Network subscribers, no longer receive their channel. For how long? Who knows? For the time being, no negotiation is in sight.

    This situation could be - and has been - interpreted as an indirect consequence of the recent acquisition of Time Warner by AT&T. AT&T owns DirecTV, which is in head-on-competition with the satellite operator Dish Network.
    The Department of Justice (DoJ) has always questioned AT&T's acquisition, which could give ATT too much power over TV consumers. Does this situation mean the DoJ is right? Dish Network has testified against the acquisition and could take advantage of this blockage: according to Dish Network, AT&T tries to prevent Dish from distributing WarnerMedia channels (HBO being the most prestigious of them). Every concentration has side effects.

    The fight is just beginning. Next episode, the belligerents will meet in the Court of Appeals. HBO subscribers patiently (or not) wait until the end of the blackout... or subscribe to Netflix or Amazon Prime Video. These last two may well end up being the real winners of this battle.

    N.B. Dish Network lost 341,000 pay-TV subscribers (third quarter 2018), DirectTV lost 359,000.

    jeudi 1 novembre 2018

    Elle, Laeticia Halyday, des centaines de Unes : la presse populaire, limite des sciences sociales ?

    24/09/2018







    Laetitia Halliday ? Si elle n'existait pas, la presse aurait dû l'inventer. Mais d'ailleurs, ne l'a t-elle pas "inventée" ?
    Combien de unes sont consacrées chaque semaine à Laeticia Hallyday depuis la mort de Johnny ? Veuve joyeuse ? Mante religieuse ? Mère consciencieuse ? Amoureuse ? Pardonnera, pardonnera pas, pardonnera qui ? Héritera, n'héritera pas ? A-t-elle ou non retrouvé l'amour ? A-t-elle refait sa vie ? Avec qui ? Et le confinement ? Et près le confinement ? Que dit-elle ? Tout ?


     

    le 17/07/2020

    05/07/20202


    Comme le mass-médiologue se complait dans la condescendance, il adore la presse people ; d'ailleurs, il sait quels sont les "bons" magazines : ce sont ceux que lui-même lit, "presse de prestige", dit le politologue. Au mieux, les analyses de contenu, armes de sémiologues, désormais aux mains de data scientists, donnent à connaître les idées, le style voire - qui sait ? - les sentiments des producteurs de contenus, journalistes encartés, photographes, pigistes ou paparazzi (de quelle "Dolce Vita" ?). Décrire, compter, ce qui n'est pas rien. 
    Quant aux lecteurs et lectrices, de leurs raisons, de leurs intérêts, des effets de ces médias sur les comportements, on ne sait rien : on imagine, on croit savoir, on dénonce, et l'on se moque, surtout. La presse magazine s'intéresse à la vie amoureuses mais aussi aux enfants de "l'idole" des anciens jeunes. Laura et David. Et à la première des épouses, Sylvie. "Ex fan des sixties"...

    Même Charlie Hebdo prit parti dans le débat, avec humour. Caricature féroce qui sera reprise tous azimuts, avec avidité, par la presse quotidienne francophone. Laeticia Hallyday s'avère un formidable gisement de questions, d'étonnement, de compassion ou d'indignation pour la presse des célébrités presse dite people : CloserParis Match, Diva, Voici, Gala, Public... mais aussi L'OBS qui raconte le "polar de l'héritage" (second degré, bien sûr !) ou Télé Poche, Télé Star. En avril 2018, le directeur du Point s'était déplacé, en personne, "pour recueillir le témoignage de Laeticia", à Los Angeles : "c'est un document historique", dira-t-il. Premier degré 

    Toute presse n'est-elle pas, à sa manière, people et feuilleton ? Faut-il s'en moquer, s'en désintéresser ? 
    Voici plus d'une centaine de unes réparties sur plus de deux années. L'ensemble est cohérent, la combinatoire prévisible : l'amour, l'argent et la vie d'une femme ("Frauenliebe und Leben", auraient dit Chamisso et Schumann, 1840). Plus ou moins d'amour, plus ou moins d'argent aussi.

    Pensons aux travaux de Richard Hoggart sur "la culture du pauvre" pour reprendre le titre, bien discutable, de l'édition française de The Uses of Literacy: Aspects of Working Class Life with special reference to publications and entertainments. Richard Hoggart y évoque l'attention "oblique", "attention à éclipses", rusée en quelque sorte, dont sont capables les lecteurs de la presse dite populaire, capables d'y croire sans y croire. "Mentirvrai", dirait Louis Aragon, qui s'y perdait lui-même. Richard Hoggart, "ethnographe de la citadinité populaire", selon l'expression de Jean-Claude Passeron, décrit la "réception paradoxale" de cette presse que les classes intellectuelles moyennes fustigent, condescendantes. Car elles sont sûres, elles qui détestent le vulgaire profane et l'évitent, que les lecteurs des frasques et malheurs de Laeticia Hallyday y croient, et s'en soucient sincèrement. Mais ces lecteurs et lectrices savent bien, pourtant, aussi, que le "lundi au soleil", ce n'est pas pour eux : "Arrête de lire Ici Paris Paris/ Faudra r'tourner bosser lundi", chantait Patricia Kaas ("Regarde les riches").


















































    "Les  grecs ont-ils cru à leurs mythes", se demandait Paul Veynes. Comme lui, nous pourrions nous interroger : "que faire de cette masse de billevesées ? Comment tout cela n'aurait-il pas un sens, une motivation, une fonction ou au moins une structure ?" Tant de unes, ces centaines de milliers d'exemplaires achetés, consultés ne peuvent pas ne rien vouloir dire.





    A ce sujet, de tout cela, les "sciences" des médias ne veulent rien dire et restent muettes.
    Quel sens donner au mythe de Laeticia Hallyday (après celui de Johnny) ? "Opium du peuple", "soupir de la créature opprimée" (Karl Marx) ? Une enquête pourrait-elle le dire ? Quelle enquête ? Déclarative ? Certainement pas.

    Le personnage social de Laeticia Hallyday et sa réception privée semblent décidément réfractaires à l'analyse. Comme tous les médias et l'approche people-lisante qui domine de plus en plus la politique, le sport, le business et la littérature, le personnage public indique surtout la limite des sciences sociales : la subjectivité. Laeticia Hallyday renvoie les professionnels des médias à l'"injustifiable subjectivité" (Jean-Paul Sartre) des lecteurs, et à notre définitive mais bavarde ignorance. Le lectorat de nombreux segments de presse constitue une classe parlée ; par qui ? Des journalistes, des photographes ? Classe muette mais rémunérée... Catégorie de ciblages publicitaires ? Femmes...
    Revenir au moins à Marcel Proust qui prévenait : "Détestez la mauvaise musique, ne la méprisez pas". Donc, détestez cette presse, ne la méprisez pas. "Sa place, nulle dans l'histoire de l'Art, est immense dans l'histoire sentimentale des sociétés".

    N.B. En décembre 2018, edd a publié un classement des personnalités dont la presse française a parlé en 2018 : en tête vient Laeticia Hallyday, elle est suivie de Laura Smet, fille de Johnny Hallyday, puis de David, fils de Johnny Hallyday et Sylvie Vartan. CQFD !
    Références
    • Richard Hoggart,  The Uses of Literacy: Aspects of Working Class Life with special reference to publications and entertainments, Londres, Chatto & Windus, 1957 ; en français, La culture du pauvre. Étude sur le style de vie des classes populaires en Angleterre. Présentation de Jean-Claude Passeron, Paris, Editions de Minuit, 1970. 
    • Paul Veynes, Les  grecs ont-ils cru à leurs mythes? Essai sur l'imagination constituante, Paris, Seuil, 1983.
    • Jean-Claude Passeron, "Portrait de Richard Hoggart en sociologue", Enquête. Cahiers du CERCOM, N°8, 1993.
    • Marcel Proust, "Eloge de la mauvaise musique" in Les Plaisirs et les jours, XIII,  Paris, Gallimard, 1924
    •  Jean-Paul Sartre, L'être et le néant. Essai d'ontologie phénoménologique, Paris, Gallimard, 1943.