mardi 29 septembre 2015

Socio-démo : les Millennials


Les Millennials sont une catégorie socio-démographique forgée aux Etats-Unis pour désigner la génération venant après la "Gen X", celle des personnes nées après les années 1960. La génération des Millennials sera dite aussi "génération Y". On parle même de "Millennialization of America". Cette notion, d'apparence arbitraire, issue du journalisme et du marketing américains, peut-elle rendre compte de la situation socio-culturelle française ou, de manière plus pratique, être utilisée pour le ciblage publicitaire ?
Prenons 1990 comme point de repère, comme date de naissance des Millennials. Plus d'un quart de siècle, plus d'un quart de la population française, les millennials représentent une vingtaine de millions de personnes (INSEE, 2015).
Millenials, magazine français lancé en juin 2017
bimestriel, "une nouvelle génération" (4,9€)

Qu'est-ce qui distingue les Millennials des gérérations précédentes quant aux médias ? Leur équipement technologique personnel et son usage constant.
"Millennials have been shaped by technology", souligne le rapport des conseillers économiques de la Maison Blanche sur les Millennials (octobre 2014). Génération qui a grandi avec le Web, qui fut adolescente avec le smartphone et les réseaux sociaux, c'est la première génération de la communication mobile : pour les Millennials, le smartphone est un prolongement d'eux-mêmes, une extension de leurs mains, de leur cerveau. Littéralement incorporé, ils s'en servent partout, tout le temps, au-delà de toute restriction, illico texto ; ils savent tout le monde sur le bout du doigt et d'un clavier, l'écouteur sur les oreilles.
Habitus numérique ? Les Millennials font preuve d'une dextérité croissante avec les outils et services issus de la technologie et de l'intelligence artificielle (tech savvy) : recherche, automatisation, commande vocale, dextérité inculquée et renforcée depuis l'enfance par le jeu vidéo.
Pour les plus âgés, le mobile n'est souvent qu'un outil distinct de plus, pas un prolongement intégré. Quant à la smartwatch, elle n'est encore que la répétition, l'extension du smartphone.

Synesthésies, "Correspondances" numériques ? Progressivement, tous les sens sont touchés : après l'ouïe, l'écoute, la vue est façonnée par des médias moins linéaires, elle intègre l'image de soi (Go-Pro, selfie, FaceTime HD), les photos qui bougent, intègrant le moment d'avant et le moment d'après (Live Photo). Le smartphone et la montre intègrent le toucher : gestes multi-touch, le 3D Touch, pression tactile, vibrations du moteur haptique (Peek and Pop, Quick action), etc. Emoticônes, smileys, emoji : "forêt de symboles"...
Photographie et vidéo affectent l'économie de la "présentation de soi dans la vie quotidienne" et des "rituels d'interaction"(Erwing Goffman) : selfies, exposition visuelle continue de soi mise en scène dans des réseaux sociaux. Dans la communication, l'image remplace souvent le texte, l'enrichit, en tout cas ; d'où l'importance croissante de la reconnaissance automatique d'images et de la recherche visuelle, visual search. Comment trouver et se retrouver parmi les 2 milliards de photos mises en ligne chaque jour ?

Les médias de la mobilité rendent le temps et espace de plus en plus "liquides". Ils malmènent les distinctions strictes entre les lieux, entre les horaires : lieu de travail /domicile, semaine / week-end, jour / nuit, etc. comme en témoigne la confusion des équipements (BYOD).

Quelques autres aspects de la culture média des Millennials
  • La télévision est noyée ou au moins dissoute dans les pratiques numériques. Le téléviseur familiale n'est plus à l'horizon de la journée de cette génération. Si certaines émissions ont gardé beaucoup importance, elles sont vécues dans des contextes différents (multitasking) : ni chaîne, ni grille ! Emissions à horaires variables, en différé, sur des supports mobiles. Génération de YouTube, avec les mcn et le streaming illégal, qui devient adulte avec Netflix... et quitte le câble (cord cutters) : 67% des 18-29 ans américains sont abonnés à Netflix (source : Morning Consult, 2017).
    Time sur un linéaire de magazines américains, 18 octobre 2015
  • Méfiance prophylactique à l'égard des entreprises du numérique (vols de données, protection de la vie privée, adblocking). Inconséquence ou simple droit de se contredire ?
  • Relations de plus en plus espacées avec les supports papier (livre, presse, dictionnaire, etc.). Pour les Millennials, tout média doit être mobile, publié sur écran, synchronise. Seul résistent encore les manuels scolaires et universitaires, de moins en moins, pour combien de temps ?
  • La communication mobile a bousculé et sans doute réduit la socialisation spaciale des Millennials. Le point de vente, la salle de cours, les transports, la rue même sont affectés. Multitasking ?
  • Productivité professionelle et personnelle passent par des outils numériques (calendriers, listes, courrier, domotique, calculs, téléphonie, dictionnaires, plans des transports, fax, organisation des voyages, cartes, commerce, réservations, etc.). Toutes ces pratiques se combinent, se cumulent, se renforcent mutuellement (transferts d'ergonomie, habitus) formant une carapace sensorielle et intellectuelle intégrée.
Equipements semblables, beaucoup d'émissions semblables, les différences entre Millennials français et américains ne viennent guère des médias. En termes d'équipement de mobilité, les français ne se distinguent que par le sur-investissement des deux roues (au détriment de l'automobile ?). Pour l'essentiel, les différences proviennent de l'environnement économique : les millennials français vivent sous la menace d'un marché de l'emploi difficile et du chômage mais, en revanche, ne connaissent pas l'angoisse du remboursement des emprunts souscrits pour financer leur scolarité universitaire (cf. Mr. Robot).

Quelle est la valeur explicative de la notion de génération comparée à celle, plus courante, d'âge ? Une génération peut être décrite comme l'intégrale d'expériences et d'inculcations communes, de différences communes, elle survit à l'âge et, comme l'enfance, "nous suit dans tous les temps de la vie". L'âge est dans la synchronie, la génération dans la diachronie (cohorte). Peut-on parler d'une identité générationelle ? Pourtant, la plupart des Millennials américains ne se reconnaissent pas comme tels (cf. "Most Millennials Resist the ‘Millennial’ Label", Pew Research Center, Sept. 5, 2015).

Dans tout ce post, beaucoup d'intuition, de déclarations, d'évidences. Peu de données, de faits, de démonstration. Alors, à quoi sert la notion de Millennials ? Peut-on l'opérationaliser ? Que peuvent apporter les data ?


Autres posts socio-démos :

mercredi 23 septembre 2015

Investissements publicitaires : mobile et numérique hors du foyer


L'IREP donne la température de l'activité publicitaire du premier semestre 2015 (cf. infra tableau publié par l'IREP). Météo plutôt maussade. Le marché est globalement en baisse (- 1,6% pour les recettes publicitaires NETTES des médias). Insistons : nettes !

De cette grisaille, seuls émergent le mobile (display) et le numérique de la publicité hors du foyer (Digital Out Of Home, DOOH). Les recettes du DOOH comme du mobile dépassent maintenant celles du cinéma (salles), des quotidiens gratuits, de la PHR (publicité commerciale) ; elles se rapprochent de celles de la PQN...
Notons encore que les recettes nettes des moteurs de recherche seront bientôt au niveau de celles de l'ensemble de la presse (à périmètres constants). Mais où sont comptabilisées les recettes des supports numériques de la presse ? Dans l'agrégat "Internet" (display) ou dans l'agrégat "presse" ?
Par ailleurs, la question se posera bientôt d'une connaissance des recettes, encore méconnues, des applis mobiles (smartphone, tablette).

La photographie que donne l'IREP, outre des résultats nets, laisse apparaître, en marge, le besoin urgent de remise en chantier générale des catégories de description du marché publicitaire (cf. Les parts du marché publicitaire. Un problème média ?). Ainsi, les MCN (multi-channel networks) relèvent-ils de la télévision ou d'Internet (cf. mcn, nouvelles voies de la télévision ?) ? Des deux certainement...


lundi 21 septembre 2015

La Chine est proche : magazine en chinois et en français


La Chine n'est guère visible encore en France. Pourtant, on nous avait prévenus, il y a longtemps : "Quand la Chine s'éveillera..." , prémonition attribuée à Napoléon, en 1816 ! Elle s'est éveillée. La France numérique a les yeux fixés sur la Silicon Valley et sur Apple, Google, amazon, Microsoft, Facebook... tandis que ces entreprises, elles, n'ont d'yeux que pour la Chine... Tout comme les studios de cinéma américains qui se mettent à produire en chinois (Warner Bros., par exemple).

Voici un magazine publié par l'Institut Confucius en France (孔子学院). Présent dans de nombreuses villes universitaires et régions françaises (Alsace, Bretagne, La Rochelle, Montpellier, Pays de la Loire, Nice, Paris, Poitiers, etc.), l'Institut, ouvert en 2004, a pour vocation l'enseignement de la langue chinoise et la diffusion des cultures chinoises à l'étranger, à la manière du Goethe Institut, de l'Institut Cervantès, du British Council ou de l'Alliance française... Le site de l'Institut, en 7 langues dont le français, se consacre à l'enseignement du chinois.

Comme ces instituts dépendent d'un organisme gouvernemental chinois (Hanban), on y a vu parfois des instruments de propagande du gouvernement chinois (cf.  Pierre Bonnard, "Soft power chinois : faut-il fermer les Instituts Confucius ?", Rue 89, 4 novembre 2014). Un universitaire américain, Marshall Sahlins, y a même dénoncé un danger pour l'université ("Academic Malware") !

Institut Confucius. Magazine en chinois et en français, trimestriel, 5,99 €, 82 p, dos carré.

Ce magazine luxueux dédié à la langue et à la culture chinoises est bilingue. Le numéro en cours, propose des articles sur l'architecture, l'urbanisme, les villages, la peinture, la langue (un idéogramme expliqué : dans ce N°4, 家 qui signifie famille, chez soi, valeur fondamentale du confucianisme), la préparation aux examens de chinois (HSK), etc. Pas de publicité mais un peu d'autopromotion.
Une application a été développée qui, pour l'instant, reste rudimentaire, se contentant de publier les numéros du magazine en anglais (PDF).

Alors qu'il existe une presse à finalité didactique pour les langues (allemand, anglais ou espagnol), une place prometteuse est certainement à prendre pour le chinois. Plusieurs publication se positionnent déjà sur ce marché : Magazine Chine (Chine informations) lancé en janvier 2014 est consacré à l'actualité et au tourisme. Planète chinois, publication adaptée depuis 2009 par le CNDP de The World of Chinese se positionne comme la "revue de tous ceux qui étudient le chinois". Signalons encore Chine sur Seine, revue publiée par le Centre culturel de Chine à Paris ou Prespectives chinoises, revue académique du CECF (depuis 1992).

Le marché des langues (traduction automatique, assistée par ordinateur - TAO, entre autres) devrait prendre de l'importance, suivant la mondialisation des échanges commerciaux, universitaires, scientifiques, touristiques. L'école préparant mal à cette mondialisation, l'autodidaxie doit y pourvoir. Les supports numériques mobiles sont sans doute des moyens essentiels pour cet apprentissage continu, tout au long de la vie. Quelle sera la place du magazine dans ce monde plurimédia ? Quelles synergies entre ces divers supports tant il semble que les supports numériques ne condamnent pas le papier (cf. Deutsch perfekt, magazine du Goethe Institut).

vendredi 18 septembre 2015

"Humans" trop humains : des Synth en séries


Dans ce monde étrange, qui ressemble pourtant au nôtre, on peut s'acheter un Synth, créature artificielle à forme humaine, un robot qui obéit au doigt et à l'œil, un esclave presque. Science fiction. A l'origine, il s'agit d'une série suédoise ("Real Humans", 2012-2014, diffusée par ARTE) ; elle a été reprise et adaptée pour être diffusée aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne (remake). Huit épisodes, diffusés aux Etats-Unis de juin à août 2015 sur AMC, à qui l'on doit "Mad Men" et "The Walking Dead" ; en Grande-Bretagne, la série est diffusée par Channel Four. Huit nouveaux épisodes sont prévus pour 2016

Le lancement fit appel à un site Web et à une campagne sur eBay : les visiteurs pouvaient simuler l'achat d'un Synth, robot androïde produit en séries industrielles par la marque Persona Synthetics. Devant des vitrines de Regent Street à Londres, les passants pouvaient interagir avec des Synths grâce à une Kinect (Microsoft).

"Humans" raconte l'histoire d'une famille de trois enfants, aisée, qui achète un Synth pour effectuer les tâches domestiques. La coexistence quotidienne d'un robot et d'une famille est au cœur de l'intrigue. Où l'on retrouve les réflexions habituellement associées à l'intelligence artificielle, à l'esclavage (Aristote, Politique : "si les navettes tissaient d'elles-mêmes..."), aux hommes-machines... 
Des humains se révoltent contre les robots : "We are people", nous, s'indignent-ils, d'autres en tombent amoureux... On pense au film Ex_Machina


Dans la série, l'intelligence artificielle s'est rapprochée de ce point ultime où l'on ne peut plus guère distinguer l'intelligence artificielle de l'intelligence naturelle, humaine. On ne serait donc pas loin d'avoir passé le test de Turing et d'atteindre le stade de la "singularity" qu'envisage Ray Kurzweil. Reste la conscience, mais certains Synth en sont dotés, de sentiments aussi, de sens de la famille (comme dans Mr. Robot, le rapport au père, "père-sévère" / "non-duppes errent", est compliqué). Cela promet des développements romantiques !

Le développement de l'intelligence artificielle imaginé par "Humans" semble inégal : dans ce monde de robots intelligents, les objets ne semblent pas encore connectés ; il n'y a pas encore d'Internet des choses domestiques, d'où le besoin de robots ? La question de la concurrence entre humains et robots sur le marché de l'emploi n'est jamais loin mais elle n'est pas encore évoquée explicitement.

mardi 15 septembre 2015

Les parts du marché publicitaire. Un problème média ?


" Le mobile représentera 12,4 % des investissements publicitaires mondiaux contre 11,9 % pour la presse", selon le communiqué de presse mondial de Zenith Optimedia (Advertising Expenditure Forecasts).

Que faut-il comprendre ? Où sont classés les investissements publicitaires effectués sur les sites mobiles de la presse ? En "presse" ou en "mobile" ? S'agit-il d'Internet mobile uniquement ou bien cela inclut-il aussi la publicité insérée dans des applis ? De quel mobile s'agit-il ? Smartphone, tablette, phablette, ordinateur portable ?
Le même communiqué de presse conclut que "l'Internet mobile s'affirmera ainsi comme le troisième plus grand média après la télévision et l'Internet fixe". Mais si l'on affectait les investissements numériques de la presse, de la radio, de la télévision à chacun de ces médias respectivement, les excluant donc de l'Internet fixe et de l'Internet mobile, ce classement resterait-il exact ?

Plus loin, à propos de la France, le communiqué de presse précise : " enfin, la part de marché de la presse (papier uniquement) continue de se dégrader […]. Il convient toutefois de préciser que la partie presse numérique, qui résiste davantage, est comptabilisée dans les investissements Internet".

Au bout du compte, que savons-nous ?
Que, en ce qui concerne le média presse, les investissements publicitaires pour le support numérique s'accroissent tandis qu'ils diminuent pour le support papier. Les gains du premier compensent-t-ils les contractions du second ? Comment évolue la somme des deux ?

Quel intérêt présente un classement des médias selon leur part du marché des investissements publicitaires si l'on ne prend pas en compte l'ensemble des supports de chaque média ? Le raisonnement vaut pour la presse certes, mais il vaut également pour la télévision, les annuaires, la radio, la publicité extérieure (notons que l'IREP distingue, pour cette dernière, le papier et le DOOH).
"Dégrader", pas plus que "résister", ne sont peut-être pas les mots justes pour évoquer la stratégie, possible et probable, consistant, entre autres, pour un groupe de presse, à développer progressivement des lectures numériques.

Cette imprécision, qui est courante, met en évidence l'inadéquation de la terminologie et le flou des catégories et agrégats mobilisés pour décrire et comparer les médias sur le plan publicitaire. Les remettre en chantier est indispensable.
L'opposition média / Web qui structure les analyses économiques n'est pas pertinente, le Web étant devenu le média des médias : Media Mediorum !

dimanche 13 septembre 2015

Fous de cuisines : éloges de la folie culinaire


fou de cuisine, bimestriel 5€. 124 pages. Dos carré. Editions Pressmaker. Distribution Presstalis.

Le titre désigne, sans ambiguïté, les lecteurs que vise ce magazine : les fous et folles de cuisine. Le sous-titre donne d'emblée une idée du sommaire type : "Tendances. Inspirations. Pas à pas. Fiches techniques. Recettes."

Commençons par la fin du magazine, on y trouve : un index des recettes, un tableau des mesures et quantités (poids, températures, conversions) utilisées dans les recettes : bonne idée, car qui sait qu'une cuillerée à café de levure pèse 3 g et une cuillerée à café de café, 8 g ?
On y trouve encore une page rappelant les adresses citées, un cahier sur l'outillage (lexi-ustensiles), des fiches techniques, un lexique de l'équipement de base, un lexique des mots et expressions, clair et sans chichi, un cahier de recettes enfin. Inutile de préciser combien tout cela est utile, que l'on soit débutant ou amateur éclairé. Ou gourmand intrépide : si les photos séduisent et éblouissent, impressionnent même, ces pages didactiques à la fin peuvent rassurer, semblant dire aux lecteurs : mais si, osez, vous allez y arriver !

fou de cuisine est un très beau magazine. Avec des photos séduisantes et efficaces, une maquette claire, sans harcellement publicitaire, trois pages seulement et quelques promo discrètes, utiles. Continuez avec peu de pub, mais, à chiffre d'affaires constant, mais vendez la très cher : car vous le valez bien (que votre régie se souvienne : elle ne vend pas des pages mais plutôt des passionné-e-s qui achètent de bons produits), de l'engagement, dit-on ! fou de cuisine est un magine engageant.

Pressmaker publie aussi FOU de Pâtisserie depuis deux ans. La maquette de fou de cuisine reprend celle de fou de pâtisserie, le sucré avant le salé, tous deux aussi alléchants. Même recette pour les deux magazines, côte à côte sur les linéaires. Economies d'échelles. Commencer par le dessert est un rêve d'enfants.

Eloge de la folie culinaire
fou de cuisine met en scène une cuisine à la fois classique et créative. Cuisine avec parfois des produits rares, cuisine qui demande de la préparation. Les recettes ne semblent pas très simples à réaliser même si les textes rassurent et si le magazine n'est pas chiche en conseils : il présente habilement une dimension pédagogique avec des pas à pas commodes (20 photos légendées pour la recette du bar de ligne), pas à pas qui démontent et organisent les opérations en cuisine, depuis le choix et l'achat des produits jusqu'au dressage. De plus, la recette s'épice souvent d'un soupçon bienvenu d'histoire (cf. articles sur le magret de canard, la carotte, l'épine-vinette).

17 chefs imposants sont présents au générique, dès la couverture. Effet attendu de la médiatisation de la cuisine. Décidément, la peoplisation est partout, après les stars du cinéma et des variétés, celles des sports spectacles, des chefs d'entreprises numériques et des politiques - qui auraient pourtant, les uns comme les autres, mieux à faire que se donner en spectacles -, voici les stars montantes de la cuisine. Comme d'habitude, on ne parle que des chefs, dont on assure ainsi la promotion ! Dommage, car derrière tout chef, il y a une équipe, des apprentis, des stagiaires, "les petits, les obscurs, les sans-grades", cuisiniers inconnus... tuttistes. Mais rendre compte d'une équipe est sans doute d'un journalisme plus difficile, moins courant...

En plus des recettes : le magazine propose un gros plan gastronomico-touristique sur la ville d'Aix-en-Provence : tables, terrasses, boutiques, desserts... On pourra aussi lire une rubrique sur les livres de cuisine (2 pages) réalisée avec la Librairie gourmande, une rubrique shopping, et aussi des descritions de techniques (la cuisson au chalumeau), des curiosités (le vin orange), des enquêtes (l'introduction de la moutarde dans le Vexin, par exemple).
Magazine dense, sans en avoir l'air, et qui donne faim de gourmandise et envie de cuisiner. Muriel Tallandier, directrice de la publication et de la rédaction, dans un édito-manifeste, évoque nos humanités à propos de cette cuisine. Ecrire et décrire la cuisine, l'illustrer, comme le réussit fou de cuisine, contribue à la défense de cet humanisme. Du potager au marché, du verger aux épices, la cuisine française se voudrait un humanisme, et qui sans doute résistera longtemps à l'intelligence artificielle, à l'automatisation et aux algorithmes. Et aux pesticides ?


Plus belle la cuisine ?
A titre de rappel de l'importance de la cuisine pour la presse, notons que Prisma publie la même semaine, en parapresse, un livre de cuisine dérivé d'une série télévisée populaire, "Le cuisine de Plus belle la vie" (480 p., 12,99 €). Bouillabaisse et crème catalane, poivrons et sardines : il s'agit de cuisine méditerranéenne, évidemment, la série se déroulant à Marseille ("La Méditerranée dans vos assiettes"). "Régalez-vous à la table du Mistral", dit encore le sous-titre. Pour mémoire, "Plus belle la vie", une sorte de soap opera lancé en été 2004, sur FR3, compte en prime time près de 3 000 épisodes et, en moyenne, plus de 4 millions de téléspectateurs par épisode.

La cuisine est l'un des secteurs les plus dynamiques de la presse magazine française, avec une quinzaine de titres nouveaux et une cinquantaine de hors série en 2015 (de janvier au 15 septembre) pour la catégorie "cuisine, gastronomie, vins", près de mille titres depuis janvier 2003 (Source : MM). Voilà pour les magazines centrés sur le thème, car, bien sûr, il y a de la cuisine dans de nombreux titres classés maison, santé, féminins, jardin, loisirs créatifs, tourisme, et même dans des magazines pour enfants. D'ailleurs, chacune de ces catégories publie de temps en temps un hors série cuisine.
La puissance d'une catégorie de presse ne tient donc pas seulement à la puissance de ses titres classiques, titres phares, anciens, soutenus par une régie publicitaire puissante et des statistiques à fin publicitaire, elle tient aussi au renouvellement continu des titres par des créations, des hors séries - qui sont aussi hors mesure de diffusion ou de lectorat, pour le plus grand bénéfice de la part de marché des titres plus mûrs.
Le dynamisme de la presse cuisine se lit dans la composition d'un magazine comme fou de cuisine, dans son esthétique aussi : rôle de la photographie, du papier, outils didactiques pour des lecteurs à convertir qui passeront à l'acte culinaire. Structure que l'on peut appliquer à d'autres types de magazines. Lire pour faire, pour avoir envie de faire, pour acheter, pour raconter une recette, une dégustation... "How to do things with words?" Avec une telle qualité, qui n'a pas de prix, de tels magazines ont de beaux lectorats devant eux.

lundi 7 septembre 2015

Mr. Robot : l'habitus du hacker


La première saison de "Mr. Robotvient de s'achever (10 épisodes). Ce fut un succès d'audience et de notoriété pour la chaîne USA (Comcast / NBC Universal). Quelle audience, quelle notoriété pour ce psychological thriller ?
Beaucoup de différé (VOD, iTunes, etc.), deux fois plus que d'audience en direct, beaucoup de bruit sur les réseaux sociaux. Presque cent mille followers sur Twitter. Désormais, la réussite d'une série ne se mesure plus seulement aux GRP TV de Nielsen, mais aussi en retentissement sur les média sociaux. Faut-il y voir une indication indirecte du déclin social de la télévision, mais aussi, simultanément une indication de la prééminence des contenus, donc des studios ?
Avant le lancement, une campagne de promotion de la série a été effectuée sur un grand nombre de plateformes numériques, par exemple, la plateforme de jeux vidéo Twitch (rachetée par Amazon en septembre 2014) : USA proposait d'effacer les dettes de participants en direct (cf. infra) indiquant ainsi, à la fois l'importance du thème de l'endettement et le cœur de la population en affinité avec la série.

"Affiche" de la série
La série fut diffusée de juin à septembre, la diffusion de l'épisode final du cyber-thriller ayant été repoussée suite à l'assassinat en Virginie d'un journaliste et d'un caméraman dans une station de télévision. La réalité a semblé par trop rattraper la fiction...
La série de Sam Esmail reviendra pour une nouvelle saison en 2016. Elle a tout pour devenir une série culte comme Mad Men. Elle sera disponible en streaming sur Amazon Prime en 2016.

Le sujet : le piratage informatique, son univers, ses personnages. Elliot Alderson, le héros de la série, est un informaticien génial travaillant dans une entreprise new-yorkaise de sécurité informatique, Allsafe. Paranoïaque, accro à la morphine, il est recruté par FSociety, un groupe d'"anarchistes", pour attaquer une grande entreprise multinationale, E-Corp, symbole du mal. E-Corp est client de AllSafe pour sa cyber-protection.
Elliot semble atteint du syndrome de Asperger, une sorte d'autisme, dont les principaux symptômes sont notamment la difficulté du rapport aux autres. La série peut être comprise aussi, au-delà de l'intrigue, comme une observation clinique de la maladie. On assiste d'ailleurs à des séances de psycho-thérapie ; l'interprétation psychanalytique est suggérée : le "père sévère", "les noms-du-père /non-duppes errent ? On évoque aussi les personnages du film "The Fight Club" (roman de Chuck Palahniuk).

Le microcosme du piratage (Subculture ?) semble évoqué de manière réaliste et exacte, tant sur le plan technique (vocabulaire, code, écrans, etc.) que social. La série dresse le portrait robot du hacker, de ses habitudes, de ses gestes, de sa manière d'être (hoodie noir et sac à dos pour transporter un PC peu portable), de son habitus. Cliché ? Le rapport au monde de notre hacktivist passe par le piratage, il se représente le monde comme un monde à pirater. Ainsi, pour faire connaissance avec quelqu'un, il pirate les réseaux sociaux, les serveurs de courrier, les communications téléphoniques, les transactions bancaires... Anticipation rationnelle d'une société future ?
Mr. Robot constitue un tournant dans la culture des séries américaines. Ancrée dans la culture la plus contemporaine, la série fourmille de citations, d'allusions, à des films, des séries, des musiques. Sam Esmail, le réalisateur, cite, entre autres influences, celles de films comme "Taxi Driver", "American Psycho", "A Clockwork Orange", "Blade Runner", etc. L'esthétique est délibérément glauque.

La série illustre la dépendance technologique de nos sociétés, leur vulnérabilité ; elle illustre la fragilité de la société numérique américaine (européenne bientôt ?) sur-déterminée par les drames de l'endettement ("prisons of debt" : 40 millions de personnes avec des emprunts étudiants). Les allusions à des événements américains récents sont nombreuses : le téléspectateur pensera aux subprimes, au NSA, à Ellen Pao et la situation des femmes ingénieurs dans l'économie numérique, à Occupy Wall Street, Anonymous, aux innommbrables vols de données récents (data / security breach) touchant de grandes entreprises (Target, Sony, iTunes, Akamaïetc.), à la révélation publique d'éléments de vie intime (Apple et "the celebrity photo hack", Ashley Madison piraté par The Impact Team, etc.)... Les DDoS évoqués dans la série sont courants (Distributed-denial-of-service).
Le héros aide des personnes en difficulté, se bat pour des causes qu'il estime justes : pirater pour changer le monde, le sauver, le rendre meilleur, le rendre à tous ("democracy has been hacked") ? Le piratage se met ainsi au service de la justice sociale et du Bien, comme dans le cas des héros de "Person of Interest", la série de CBS. La révolution par l'ordinateur et le piratage (hacktivism, cyberinsurgents), certes, mais quand même, cette révolution est télévisée  (cf. le dernier épisode) !

Copie d'écran de Twitch à propos de Mr. Robot

mercredi 2 septembre 2015

Presse locale ou nationale ? Vers un média de transition numérique


"Local-to-national". En juillet, le groupe américain Gannett a annoncé la création d'un network d'information, USA TODAY Media Network. Ce  network est constitué par l'association de titres locaux (numérique et papier) provenant de 92 communautés (110 marchés de taille moyenne et petite, surtout) avec le quotidien national, USA Today.
La création de ce network mixte fait suite à la coupure en deux de l'ancien groupe Gannett (spin-off), en juin 2015 ; deux entitiés ont été créées : Gannett, d'une part, qui conserve le nom et le symbole boursier (CGI au NYSE), contrôle les activités d'information écrite; et TEGNA, d'autre part, qui rassemble la télévision (46 stations, un tiers des foyers TV américains) et des activités numériques (Cars.com, CareerBuilder, G/O Digital). L'objectif déclaré de ce spin-off est d'isoler cette partie du déclin des activités presse que l'on a observé au cours des dernières années. Eviter la contagion ? La télévision va bientôt connnaître ce que la presse a vécu.

Ecran Apple Watch de l'appli 
Gannett dispose avec ce spin-off d'une force de frappe éditoriale de plus de 4 000 journalistes aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne où il détient le premier groupe de presse régionale, Newsquest. Gannett n'étant pas endetté ("virtually debt-free") envisage des acquisitions d'autres titres de presse locale dans des marchés importants (500 000 à 3 millions d'habitants) et disposant notamment d'une présence universitaire, gage de modernité et de dynamisme.
D'emblée, le nouveau groupe Gannett met l'accent sur sa pénétration numérique ; tandis qu'il réduit la diffusion d'exemplaires papier du quotidien national USA Today, il assure l'adaptation de son format publicitaire video, Gravity, au mobile. Le groupe vient de passer un accord avec Taboola pour intégrer une fonction de recommandation des contenus. La stratégie est claire et déterminée : tout vers le numérique et le mobile en s'appuyant sur la notoriété locale et la réputation des titres dans leurs communautés.

Mise à jour, 14 octobre 2015 : Gannett rachète Journal Media Group (15 journaux et 18 hebdomadaires)

Alors que la presse souffre partout dans le monde et peine à rentrer dans le numérique, cette opération permet d'observer la tentative de transition numérique d'un grand groupe de presse américain. Déjà, il y a trente ans, Gannett avait révolutionné la presse quotidienne, recourant au satellite, à la couleur. Aujourd'hui, il faut désenliser ce média d'un lectorat âgé et lui redonner son dynamisme : "media that drive action, not passive consumption".  Pour autant, Gannett veille sur l'historique et passe un accord avec Ancestry pour la numérisation des archives de plus de 80 titres.
Local is National. One network, many voices. The voice of the nation. Autant de slogans proclamés à la une du site pour dire les atouts irréfutables du groupe de presse (USP), la puissance nationale de l'union des différences locales. Aux lecteurs comme aux annonceurs, Gannett propose une présence locale et nationale dont la précision géographique et socio-culturelle est assurée par une DMP associant first-party data et "reputable" third-party data (développement et traitement par la société norvégienne cXense). La DMP se veut l'outil de reconquête de générations qui ont la presse au bout des doigts (at their fingertips).
Quant au débat rituel sur l'opposition numérique / papier, il n'est même plus évoqué : l'information locale est numérique, le papier n'est qu'un support parmi d'autres (cf. ci-dessous), un vestige bientôt. Il faut décidément changer de nom : la "presse", ce mot vieux de cinq siècles, ne dit plus rien aux lecteurs du XXIème siècle, de même que la fameuse "galaxie Gutenberg" maintenant à des années lumières de l'appli du smartphone et de la montre.




Copie de pages du média kit (Gannett advertising kit, septembre 2015)

lundi 24 août 2015

Media for equity (M4E): la publicité comme monnaie courante pour les startups


Des médias qui sont aussi des diffuseurs d'information commerciale (publicité) échangent des campagnes publicitaires contre une participation au capital de l'entreprise annonceur (media for equity, M4E), généralement une start-up.
Les termes de l'échange ? La start-up compte sur la publicité pour développer sa notoriété (branding), augmenter sa clientèle, son chiffre d'affaires, sa marge brute, afin de convaincre de nouveaux investisseurs. C'est un élément complémentaire du plan d'affaires. De son côté, le média peut ainsi exploiter ses espaces publicitaires invendus et aussi suivre, et apprendre, en actes, les transformations du marché publicitaire numérique (veille engagée, etc.). Amorçage d'une diversification numérique.

Le modèle de media for equity a été développé d'abord par Times of India (Bennett, Coleman and Co. Ltd) suivi par d'autres médias indiens, puis repris par des médias européens. L'opération la plus connue en Europe est celle lancée en Allemagne, dès 2009 par Zalando (ventes de chaussures et de vêtements en ligne) avec les groupes ProSiebenSat.1 Media, RTL (TV). Expériences avec le e-commerce surtout. D'autres expériences ont eu lieu à la même époque avec le groupe Ströer (affichage). Récemment, ProSiebenSat.1 et Springer (presse, Bild Zeitung) ont pris une participation dans la startup de billeterie (Ticketbörse) MyTicket (20% chacun).
En France, TF1 a pris une participation dans Sejourning (location entre particuliers avec assurance), M6 avec le site Famihero (aide à la personne)... TF1 a passé un accord avec ProSiebenSat.1 Media, qui dispose d'une filiale spécialisée (SevenVentures). Le groupe Les Echos et le cabinet Roland Berger s'associent pour favoriser  le développement de start-up (juin 2016, conseil et publicité contre parts de capital). En juillet 2016, à l'occasion d'une levée de fonds, TF1 prend avec Mediaset une participation dans Corner Job (appli d'emploi), ceci dans le cadre européen de Media Alliance.

Des sociétés intermédiaires se sont développées pour faciliter la mise en place de telles transactions, qui s'inspirent par de nombreux aspects de l'incubation dont elles peuvent constituer une étape.
  • en France
    • 5M Ventures a ainsi déjà contribué à plusieurs sociétés avec des groupes média : albert-learning.com (avec 20 minutes), sefaireaider.com (avec TF1 et Clear Channel France), easycartouche.fr (avec NextRadioTV), E-Loue, Job around me, Youboox.
    • le groupe La Dépêche du Midi entre au capital de SchoolMouv (soutien scolaire)
    • RTL investit dans la startup ILockYou qui devient AlloVoisin (entr'aide entre voisins) suite à sa levée de fonds. 
  • en Allemagne
    • GermanMediaPool a pour partenaire RTL2 (TV), Wall / JCDecaux (affichage), Regiocast (radio). 
    • Le groupe Axel Springer projette d'acquérir des startups dans le cadre d'un montage avec la Deutsche Bank et Axzl Springer Plug and Play (JV de Springer installée à SunnyVale en Californie). Le principe serait d'échanger l'incubation dans Plug and Play (coaching + locaux + 25 000 €) contre 5% du capital des startup dans le secteur de la banque et de l'assurance. Axel Springer a déjà investi dans 86 sociétés. Septembre 2016.
  • aux Etats-Unis, BuiltByLocal
  • en Autriche, Media4Equity
La capacité de générer des contacts publicitaires s'apparente à un équivalent général (marchandise monnaie), pour devenir monnaie d'échange. C'est déjà ce que l'on observe dans le cas de la barter syndication américaine où une émission est échangée, partiellement ou totalement, contre du temps de publicité de la station locale dans l'émission qui la diffusera. Pour la station, la barter syndication assure une partie du financement de la grille sans prendre de risques, sans tendre la trésorerie.
Le troc sur le modèle media for equity semble s'étendre sous la forme généralisée de shares-for-service tel que, par exemple, le propose Red Antler (New York) qui se déclare branding company : "We build brands for startups that are changing how the world works".

Sources :
Lisa Weihäupl, Horizont, So funktionniert Media For Equity, 02/10/2013
Für-Gründer.de, Media for Equity: Fernseh-, Radio und Printwerbung für Start-ups
Ken Doctor, "What are they thinking? Gazette tries ‘media for equity’ with start-ups", Politico Media, July 7, 2015
Sanat Vallikappen, "We have made our mistakes in ad-for-equity transactions", Live Mint, Feb. 24, 2009
Alexander Hüsing, "RTL macht sich endlich gezielt an Start-ups ran", Deutsche Startups, 29. November 2013
Telis Demos, Liz Hoffman,"Service Providers See Gold in Shares of Startups", The Wall Street Journal, August 31, 2015.
Deutsche Bank, "Deutsche Bank and Axel Springer Plug and Play join forces to invest in technology start-ups", Septembrer 19, 2016.
  • Sur la marchandise devenant monnaie (Geldware) : Karl Marx, Le capital, Livre 1 : "La marchandise spécifique avec la forme naturelle de laquelle la forme équivalent s'identifie socialement devient marchandise monnaie ou fonctionne comme monnaie". 


dimanche 16 août 2015

Le Crieur, revue critique


Une nouvelle revue, c'est toujours une très bonne nouvelle pour la vie intellectuelle et les libertés. Réjouissons-nous. Celle-ci est belle et revigorante. Le titre est bien choisi : le crieur est un mécontent qui manifeste, c'est aussi quelqu'un qui publie, mène les enchères (bourse, criée), annonce les nouvelles et vend les journaux dans les rues... (voir le travail de Nicolas Offenstadt, "un crieur dans la ville au Moyen-Âge"). Penser aussi à Arthur Rimbaud et "Les poètes de sept ans" :

"Il n'aimait pas Dieu, mais les hommes, qu'au soir fauve,
Noirs, en blouse, il voyait rentrer dans le faubourg,
0ù les crieurs, en trois roulements de tambours,
Font autour des édits rire et gronder les foules."

Publiée par Mediapart et les Editions La Découverte. 162 pages. Sans publicité : les lecteurs paient, gage d'indépendance souhaitable pour une revue critique.
Premier numéro, juin 2015. 15 €.
La Revue du crieur est publiée trois fois par an, 39 € l'abonnement.

Le positionnement de la revue semble encore hésiter ; le ton évoque parfois la sociologie de la culture à la manière d'Actes de la recherche en sciences sociales (Pierre Bourdieu), parfois Esprit ou Les Temps Modernes, voire même Le Canard Enchaîné (faire "rire et gronder les foules", ce serait bien aussi !). Laissons Le Crieur chercher sa voix.
Les articles gagneraient souvent à recourir à des illustrations graphiques ou photo-graphiques pour expliquer les raisonnements. Ainsi, quand, par exemple, Ludivine Bantigny et Julien-Théry Astruc évoquent "la puissance des réseaux" de Marcel Gauchet, une représentation graphique de ces réseaux aiderait les lecteurs à en percevoir la puissance, la multi-positionalité, l'organisation et la logique. Même suggestion à propos de l'art, des musées et des industriels du luxe, ou encore, des relations de Google avec la presse.

Le contenu de la revue est alléchant pour qui s'intéresse aux médias : un article sur Google et la presse (Dan Israel) aborde un sujet délicat puisque Google contribue au financement de certains titres de la presse française. Article fouillé, à lire pour comprendre les médias français et leur développement numérique.
Un sujet sur YouTube, facteur de conformisme, et le marché télévisuel, et donc sur Google encore, décidément, par Olivier Alexandre : "L'imaginaire sous contrôle : voyage dans les images formatées et monétisées des Youtubers".
Pour les spécialistes des médias, signalons encore l'article de Marc Saint-Upery sur la pop coréenne et sa déferlante internationale. Phénomène à suivre et approfondir.

Que se passe-t-il en Chine ? Les médias devraient se poser la question tous les matins. Un article de Thomas Brisson examine les traces du retour de Confucius (孔子) dans la "pensée chinoise", suite au succès en 2007 d'une émission de télévision de CCTV et d'un livre de Yu Dan (于丹). Articulation intéressante de deux médias pour provoquer un événement.
Mais Confucius, dénoncé par les dirigeants du moment, avait-il vraiment disparu pendant la période dite maoïste ? N'y a-t-il pas beaucoup de confucianisme dans les raisonnements et les formulations de Mao ? Décrit aujourd'hui comme un "VRP de la Chine capitaliste", Confucius a été dénoncé comme un penseur réactionnaire, notamment à propos du statut social accordé aux femmes et au respect indiscuté dû aux anciennes générations. Certains aspects de sa morale toutefois, sous la forme de la "règle d'or", ne semblent pas éloignés de la morale kantienne. L'auteur pointe les signes visibles d'un renouveau confucéen : création d'un lieu de mémoire à Qufu, lieu de naissance de Confucius (曲阜), érections de statues, enseignement. Quelle signification donner à cette apparente reconfucianisation de la Chine ? Qu'en diraient nos sinologues, Anne Cheng, François Jullien, Jean-François Billeter ? N.B. Professeur de média à l'université de Beijing et vulgarisatrice à succès, Yu Dan publie en français, chez Belfond, des livres sur les philosophes chinois : "Le bonheur selon Confucius. Petit manuel de sagesse universelle", "Le bonheur selon Tchouang-Tseu"...

Marion Rousset consacre un travail stimulant au marché de l'art sous pression de l'industrie florissante du luxe : "Ce que l'argent fait à l'art. L'art contemporain dévoré par l'industrie du luxe" ; quelle collaboration des institutions publiques. L'art est-il un luxe ? Comment va, à quoi sert "l'amour de l'art" ?
Retenons aussi les études de quelques spécialités intellectuelles nationales (Marcel Gauchet, Michel Onfray), études qui rompent avec les célébrations à la mode. Nouveaux "chiens de garde" ? Mentionnons encore un article sur "Le pseudo complot Iluminati" (Yves Pagès), un article documenté et iconoclaste d'Eric Chamaillou sur la NSA et le renseignement...

Dans l'ensemble, du beau travail. Beaucoup d'opinions qui contestent les opinions les plus courantes. Salutaire. Mais on attend plus que des opinions. A propos, comment sont choisis les auteurs, à quel(s) réseau(x) appartiennent-ils ? La revue manque d'humour ; pourtant les sujets et les personnages évoqués s'y prêteraient, le ridicule leur irait bien. Peut-on marier pamphlet et démonstration ? Sans doute, certains articles, certains auteurs, certains engagements déplairont. C'est bon signe, la presse n'a pas pour mission de plaire.

samedi 8 août 2015

Friends and followers for sale: the famous French duck is buying fame


"Les tromperies de l'e-renommée sont bien mal embouchées" says the title in Le Canard enchainé  Wednesday, August 5, 2015) about "The duperie of e-reputations", a play on the refrain of a Georges Brassens song. "Trumpets of fame, you're talking dirty" ("Trompettes de la renommée, vous êtes bien mal embouchées"). Le Canard enchainé is a well-known satirical weekly newspaper ("canard" - duck - is French slang for newspaper). 1,20 € per issue, carries no advertising.

The song by Georges Brassens, French poet and singer, made fun of the people press (cf. video, infra, 1961). Newspapers and magazines were publishing articles at that time about Brassens' health and he was complaining: "trompettes de la renommée vous êtes bien mal embouchées". Already a question of privacy.
The article is about fake Facebook fans or Twitter followers. To make its point, the Duck (Le Canard) opened a Twitter account and bought followers (150 for 10 € / $). In less than two hours, the Duck boasted 527 followers... and the deed was done.
The journalist, Sorj Chalandon, then reminds us of the number of followers and fans that the former and the actual French president have (850,000 and more than a million respectively)...

Non viewable ads for sale, fake fans and followers, views resulting from bots counted as audience: obviously, something is rotten in the state of the Web!




mercredi 5 août 2015

Homeshopping : du télé-achat au e-commerce, un écran de plus


Le e-commerce n'a pas tué le télé-achat. Leur coexistence pacifique pourrait même devenir féconde, élargissant leur public et leur clientèle.
La fin des années 1980 a connu le développement de chaînes de télévision consacrées au télé-achat. HSN (Home Shopping Network) fut la première à diffuser aux Etats-Unis, en 1985, suivie de QVC en 1986. Trente ans après, le télé-achat est toujours là.
HSN et QVC sont présents dans presque tous les foyers TV américains. QVC Group détient 38% du capital de HSN, 100% de QVC, 18% de Expedia (cf. Liberty Interactive Corporation Investment Summary, juin 2015).

Un grand écran de plus
La seule différence entre un groupe de télé-achat comme QVC ou HSN, d'une part, et un pur acteur de e-commerce Amazon, d'autre part, c'est le mode d'exposition des produits. D'une certaine manière, on peut considérer que le télé-achat dispose d'un écran de plus que le e-commerce classique.
HSN se définit ainsi justement comme distributeur interactif multiplateforme ("interactive multichannel retailer") recourant à la télévision (câble, satellite, ADSL) et au Web.

Avec la télévision, le télé-achat dispose de linéaires et de points de vente spectaculaires : les émissions. L'enjeu stratégique pour le télé-achat consiste à maintenir son avantage télévisuel historique tout en l'intégrant dans le e-commerce, désormais pour plus de moitié le fait du mobile. Le téléspectateur demande au télé-achat un grand écran, une mise en scène des produits, une histoire à raconter, des présentateurs ; comme sur le Web, bien sûr, l'acheteur attend des produits, des prix bas en permanence (Every Day Low Price, EDLP), des délais de livraison...
Mise à jour : mai 2017  En mai 2017, Amazon stoppe son émission de type télé-achat, "Style Code live", qui avait été lancée pour samrtphone en mars 2016.

La logistique et les données, clés de voûte du modèle économique du télé-achat
La clé de voûte commune à ces entreprises est la logistique. Leur modèle économique leur impose de développer l'automatisation de la distribution. Le recours ostentatoire aux robots par Amazon est symbolique.
L'expertise dans la logistique et la prise de commandes, la recherche et la découverte de produits - sont communes au e-commerce et au télé-achat ; elles peuvent déboucher sur des économies d'échelle au plan européen.
Le télé-achat rassemble et traite des données riches, multiplateforme, au croisement de la télévision et du Web, du mobile et de l'interaction TV. Synergies. Nul doute qu'une DMP tirera le meilleur profit de ces données massives pour la partie éditoriale : choix des produits, recommandation, personnalisation, retargeting... La publicité n'est pas essentielle dans cette partie.

Déjà présent en Allemagne et en Grande-Bretagne (300 millions de foyers dans le monde, réalisant 8,8 milliards de $ de chiffre d'affaires en 2014), QVC se lance en France (Liberty Media) simultanément sur le câble, le satellite et le Web. On prévoit une initialisation d'un foyer français sur deux sur ce marché où TF1 (Téléshopping) et M6 sont actifs dans le télé-achat (M6Boutique & Co,  Best of Shopping, ex. Canal Plus repris à 51% par M6). QVC annonce déjà le recrutement de 250 personnes, sans doute prioritairement pour les plateformes logistiques. Pour l'instant nul ne saurait prétendre connaître la réaction des publics français à ce nouveau canal commercial.
QVC est présent dans le e-commerce en Chine (j.v.), au Japon et en Italie. Près de la moitié de son chiffre d'affaires global provient du Web, dont la moitié à partir du mobile.

En 2016, le modèle du télé-achat a inspiré à Packagd (incubée par Kleiner Perkins) une application permettant d'acheter des produits vendus par un présentateur sur une chaîne YouTube (cfUnboxed, lancée en juin 2017).

Copie d'écran du site de QVC effectuée le 4 août 2015 à 17 heures
Références

Mindy Grossman, "HSN’s CEO on Fixing the Shopping Network’s Culture", Harvard Business Review, December 2011

QVC, Investor Fact Sheet FY 2014

François Mariet, "Télé-achat", chapitre 8 de La télévision américaine. Média marketing et publicité, Economica, pp. 398-411

jeudi 30 juillet 2015

Interaction with a screen. Could beacons make it smarter?


Screens are all over the place. Indoor and outdoor. Out of home, they invade retail stores, subways, restaurants, malls, universities, museums, stadiums, train stations... For the time being, communication goes mostly one-way: from an organization, an advertiser, an administration to a passer-by, a prospect, a client. Advertisers use them for branding, to build and increase awareness. Of course, we would like these screens to be smart. Above all, we would like them to be able to gather data, smart data, and by so doing, become smarter. Data, only data, will make a screen smart. How?
How to make a screen, a shelf, street furniture, smart ? Adding Wi-fi, NFC, Bluetooth, QR...The screens used for Digital Out Of Home (DOOH), outdoor and indoors, are part of the Internet of Things. They can be monitored to save energy, manage content and advertising, measure audience (reach, demos, dwell time, frequency capping, etc.).

But, since communication with a screen takes place in a public situation, there are nevertheless some obvious limitations to interaction. Even if a message can be somehow personalized for a given passer-by according to gender, age (face recognition), or according to what she or he did just before or where (a precedent location), there remains a serious question of privacy and discretion.  There could also be a risk with crowds and security: no store, no transport facility wants too many people lining up in front of a screen.

Then come the Beacons for communication and location awareness. First Apple's iBeacon, and now Google's Eddystone. A beacon, as a wireless sensor, uses a battery to broadcast a signal around the beacon (via built-in antenna) ; that signal can be identified (Universal Unique IDentifier) and received by any device entering the range. The beacon leverages Bluetooth Low Energy to estimate the user proximity (distance between the responding app and the beacon). The beacons are therefore perfect for retail environments. The interaction is personal, intimate: the passer-by's device receives a notification and does or does not do what is suggested: looks at a product, purchases an article, shares information with a friend, etc.
You need an app designed to communicate with the beacon. You can configure apps to trigger events once you enter or leave the beacon's range (opt-in /opt-out). With beacons, advertisers can also broadcast the URL of their website (pushed in iOS Notification Center). In a retail store, when a customer picks up a product with a beacon or a sticker attached, the screen nearby shows a commercial about the product in question...

Beacons are bringing proximity and context to mobile, in a way that is simple and cheap. It works like geolocalization, allowing location-based actions. The beacon can trigger actions on the screen: suggest a coupon, show transit information, schedules, weather, traffic, nearby stores (maps), maps (path finding)... For instance, someone close to a screen, watching movie trailers may receive a coupon to visit the theater next door... Screens become smart.

Physical Web is on its way

N.B. Screens can also communicate with smartphones using Aware, a new Wi-fi standard that enables communication between Wi-Fi devices.

dimanche 26 juillet 2015

Amazon devant Wal-Mart ?


La capitalisation boursière d'Amazon (248 milliards de $) est passée devant celle de Wal-Mart (233 milliards de $). La presse et la bourse en ont parlé, beaucoup.
Si le sens économique de la capitalisation boursière est discutable, au plan des symboles (image), en revanche, ce dépassement est remarquable. Premier distributeur mondial, la marque Wal-Mart est une institution de la vie quotidienne américaine, et notamment de la population la plus modeste. Wal-Mart, c'est l'Amérique profonde. Wal-Mart, il y a 50 ans, transforma la grande distribution ; Amazon qui vient de fêter ses 20 ans avec amazonPrime, la transforma à son tour.

Wal-Mart en seconde position ?
Globalement, les chiffres d'affaires d'Amazon et de Walmart sont incommensurables, mais Amazon domine Wal-Mart en matière de e-commerce pour le plus grand bénéfice des marchands utilisant sa place de marché qui représentent plus de la moitié des ventes. Amazon est le premier acteur mondial du e-commerce. Le succès (déclaré) de son Prime Day (pour 99 $, livraison gratuite sous 2 jours pendant un an, cf. infra) confirme la forte pénétration d'Amazon dans la population américaine, sa popularité croissante et sa pugnacité (le Prime Day deviendrait un Black Friday ?). Et sa capacité de fidélisation : on parle de 40 millions de amazonPrime members ! En riposte, walmart.com propose pour 50 $, un ShippingPass promettant une livraison gratuite en 3 jours... La bataille se livre à coup de livraisons, donc d'entrepôts, de robotisation... et de prix : Wal-Mart demande aux marques présentes dans les magasins d'investir moins dans le marketing et de baisser leurs prix (Every Day Low Price... ).

Avec 183 000 employés, le poids économique et politique d'Amazon est déjà formidable. Mais tellement loin encore derrière Wal-Mart avec ses 2,2 millions d'employés travaillant dans des milliers de magasins. Menacé, Wal-Mart se met au numérique, s'inspirant manifestement d'Amazon, juste retour des choses. Qui gagnera cette bataille ? Les consommateurs ? L'enjeu est culturel, opposant deux conceptions de l'aménagement du territoire commercial et de la vie sociale qu'elles engagent. Notons que la réputation des deux entreprises est médiocre quant aux conditions de travail : cf. dans d'Amazon, l'article du NY Times : "Inside Amazon", 15 août 2015 et la réponse d'Amazon). Voir aussi : "La gestion selon Amazon" ainsi que le livre de Jean-Baptiste Malet, En Amazonie. Infiltré dans le "meilleur des mondes".


Copies d'écran de walmart.com et de amazon.com (26 juillet 2015)

lundi 13 juillet 2015

mcn (YouTube), nouvelles voies pour la télévision ?


La télévision et la vidéo, c'est pareil. Pour les consommateurs, du moins ; donc bientôt pour les grands annonceurs aussi. Des spécialistes ergoteront encore longtemps sur les nuances et différences. Casuistique, stérile.
Les chaînes dites historiques (i.e. anciennes) n'ont plus le monopole que leur ont longtemps valu la complexité et la lourdeur de la distribution terrestre du signal télévisuel (réseau terrestre, satellite, networks, câble, etc.). Cette lourdeur s'est accompagnée en Europe de centralisation politique, intéressée (autorisation de diffusion, réglementation, financement par l'impôt) et de contrôle étatique : "la télévision fait l'élection", disait-on.

Mise à jour avril 2017

Aujourd'hui la création vidéo se développe ailleurs et les jeunes générations ignorent une culture télévisuelle viellissante. La distribution de la vidéo sur le Web naît sous d'autres cieux, elle relève du streaming (OTT). Le modèle original en est YouTube, racheté par Google en 2006. Facebook puis Snapchat se font également diffuseurs de vidéo et tentent de concurrencer YouTube et ses mcn. YouTube apparaît de plus en plus comme une plateforme où viennent se développer de nouvelles formes de télévision et de publicité : Susan Wojcicki, qui dirige YouTube, déclarera en mars 2017 que les vidéo-bloggers sont les prochaines entreprerises média" : "Unsere Video-Blogger sind die nächsten Medien-Unternehmen".
 Les chaînes plus ou moins anciennes se réveillent de leur sommeil dogmatique : elles empruntent la voie que YouTube a ouverte avec les réseaux multi-chaînes (mcn, multi-channel networks). Les mcn sont un moyen pour les groupes télévisuels de collecter les innovations, de les aider à décoller, à trouver leur public, de faire leur place sur le Web et sur le marché américain. De facto, ils jouent un rôle d'incubateur multiplateforme ; ils permettent d'amortir la création et la production sur des espaces mondiaux et linguistiques, donc publicitaires. Ce faisant, Google s'attaque au marché publicitaire télévisuel international, visant surtout les cibles jeunes et mobiles, YouTube proposant ses GRP estampillés par les mesureurs des performances de la télévision traditionnelle. Son seul problème est la mauvaise gestion des emplacements publicitaires, dont la médiocre sécurisation a été dénoncée par les grands annonceurs.

Nous avons déjà souligné les investissements de BSkyB, de Disney, de RTL; de Comcast... Le développement des mcn, amorcé il y a quelques années, s'accentue. Ajoutons quelques exemples récents, européens notamment.
  • Pro7Sat1 vient de racheter la totalité du réseau multi-chaîne Collective Digital Studio (CDS) dont il détenait 20%, acquis en 2014. L'ensemble, CDS 71 (250 personnes), regroupera un millier de chaînes après fusion avec le MCN de Pro7Sat1, Studio71 (créé en 2013). Les visites se comptent en milliards. CDS produit "Epic Meal Time", "Good Mythical Morning" (émission quotidienne avec Rhett et Link), Lilli Singh (dite "Superwoman"). Il produit également avec Rocket Jump Studios "Video Game High School" (VGHS)
  • TF1 et Mediaset ont pris une participation dans Studio71 tandis que Pro7Sat1 prenait une participation dans le mcn de TF1, Finder Studio.
  • Modern Times Group (Kinnevik) a acheté Splay, un MCN scandinave de 420 chaines, dont le slogan est : "connecting brands and influencers". Splay se définit comme the next generation digital media house". Quelques jours plus tard, en juillet, MTG achète 51% de Zoomin.TV, un mcn de 2000 chaînes (100 millions d'abonnés dans le monde) créé aux Pays-Bas.
  • Le MCN francetv a signé un accord avec Studio 100 Media pour la distribution de dessins animés (Zigby, Blinky Bill, etc.) sur YouTube et Dailymotion.
  • Vivendi a racheté Dailymotion à Orange. Dailymotion pourrait-il développer une stratégie semblable à celle de YouTube ?
  • ITV prend en Grande-Bretagne une participation dans Channel Mum (une quinzaine de chaînes s'adressant à des jeunes mères, "mummy vloggers", "the honest face of parenting").
  • Aux Etats-Unis le network hispanophone Univision, à la recherche de nouveaux talents, lance un mcn, Univision Creators Network.
  • WPP prend des participations dans des mcn : dans Fullscreen en 2012 (avec partenariat publicitaire), dans All Def Digital (ADD, 3 millions d'abonnés), en juin 2016.
  • En France, M6 lance deux chaînes sur YouTube en janvier 2016, l'une consacrée à la danse (DotMove), l'autre, Vloggist, est consacrée à la beauté féminine.
  • En mars 2017, Sky rachète Diagonal View (15 millions d'abonnés) : "All Time 10s", "Football Daily", "All Time Movies ", "Draw my Life", "All Time Conspiracies", etc.
Capture d'écran de splay mcn (juillet 2015)

lundi 6 juillet 2015

Socio-démo : les grands-parents


Une catégorie massive
Hebdomadaire Pèlerin, 2 juillet 2015
Il y a plus de 15 millions de grands-parents en France ; on n'en comptait que 12,6 millions en 1999, selon l'INSEE. Les grands-parents sont de plus en plus nombreux et ils sont de plus en plus jeunes. Le premier des petits-enfants arrive quand les grands-parents ont passé la cinquantaine, vers 55 ans en moyenne, les femmes un peu plus tôt que les hommes. Les grands-parents sont donc en majorité des grands-mères (7 sur 10). A partir de 70 ans, 80% des français sont grands-parents (cf. histogramme ci-dessous, source : Nathalie Blanpain,  Liliane Lincot, INSEE Première, N° 1469, octobre 2014 ). C'est donc une catégorie socio-démographique importante autant par son nombre que par les budgets de consommation qu'elle contrôle. De plus, en contact fréquent avec ses petits-enfants, elle bénéficie de leur incitation et de leur sympathie numériques.

Les grands-parents sont partie intégrante de la famille. D'ailleurs, le droit des grands-parents ressemble par de nombreux aspects à celui des parents : droit de visite et d'hébergement, droit de correspondance ; obligation alimentaire en cas de défaillance des parents. La relation, en cas de conflit, est confiée au juge des affaires familiales.

La grand-parentalité : catégorie socio-démographique ?
Les grands-parents ne constituent pas une catégorie première, il s'agit d'une catégorie floue, mixte, relevant autant de l'âge (séniors) que de la situation familiale : adultes avec enfants, mais sans responsabilité directe, immédiate, les enfants étant la plupart du temps hors du foyer grand-parental. Cette catégorie renvoie à une dimension de l'appartenance familiale, à un lien entre générations, à une dépendance flexible. Comme catégorie socio-économique, elle se compose d'actifs et d'inactifs, de retraités au statut économique et professionnel très variable.
Pour toutes ces raisons, les grands parents s'avèrent difficiles à cibler, d'autant que n'y correspond pas de média spécifique, même s'il existe un magazine s'adressant à eux : GRANDS-parents. Le magazine des grands-parents actuels // Le magazine des jeunes séniors actifs (bimestriel, lancé en 2010, 2,9€) ; de temps en temps, est publié un numéro spécial ou un hors-série, par exemple, "Être grands-parents", hors-série de La Croix (décembre 2008, 7 €). Une marque de café (Grand'mère) a tenté de faire événement en lançant une fête des grands-mères (premier dimanche de mars, depuis 1987). Le succès est encore mitigé.
En termes de ciblage, ce n'est donc que des données que peut venir une solution. Quels comportements, quelles données caractérisent et identifient les grands-parents ?

Le métier de grand-parents
GP GRANDS-parents juillet 2015
A la fin du XIXème siècle, L'art d'être grand père, le recueuil de vers de Victor Hugo (1877) a inauguré une nouvelle "politique de l'intime", mettant en valeur l'indulgence, l'art pour les adultes de "gâter" les enfants, et les enfants des enfants. Puisque l'enfant est innnocence, sa place dans la société, l'attitude des adultes à son égard doivent être reconsidérées. Tout comme la pédagogie qui s'apparente encore à la discipline militaire (cf. à la même époque, la dénonciation des parents violents dans le roman de Jules Vallès, L'enfant, publié en 1878 en feuilleton).

Dans son dossier intitulé "Au bonheur d'être grands-parents", le magazine Pèlerin (Editions Bayard) illustre ce qui était, il y a un siècle et demi, une révolution et qui est devenu la règle : les grands-parents apparaissent comme des "passeurs de vie et d'amour", des "confidents de tous les instants". Grands parents + petits-enfants, c'est la formule pour un bonheur et une complicité partagés, en marge des parents : s'ils sont - et ont été - des parents, les grands-parents ne sont pas les parents et ne veulent pas l'être.

A la relation affective et éducative, s'ajoute souvent une relation économique : les grands-parents aident les familles de leurs enfants (transferts générationnels). "Nounou avant tout", ils gardent les petits-enfants après l'école, et, pour les enfants scolarisés en maternelle, le mercredi (cf. Olivia Sautory, Drees, Vincent Biausque et Joëlle Vidalenc, Le temps périscolaire et les contraintes professionnelles des parents, INSEE Première, septembre 2011). Les grands-parents accompagnent aussi les enfants à leurs activités péri-scolaires ("Mamie taxi"). De plus, ils s'occupent aussi des petits-enfants pendant les grandes vacances. Solidarité essentielle qui aide les parents des petits-enfants à traverser les périodes difficiles. Mais que les grands-parents trouvent parfois fatigante.

Aux grands-parents, on attribue les bénéfices de l'âge et de la tradition, du bonheur domestique. Les trucs et les recettes des grands-mères occupent une place importante dans les magazines de loisirs créatifs. La grand-mère évoque surtout la cuisine et notamment la pâtisserie et les gâteaux des fêtes.
"EWA La pâtisserie de nos grands-mères" (février 2005, 4 €) ; Femme Actuelle propose un hors-série avec "750 astuces et trucs de grand-mère" (janvier 2015, 4,5 €), "La pâtisserie de Noël de grand-mère", Les bonnes recettes d'autrefois (octobre 2014), "Les gâteaux préférés de grand-mère" (mars 2013), La cuisine des grands-mères (Télé CAB SAT, septembre 2012), "105 recettes et astuces de grand-mère" (Cuisine actuelle, août 2011, 3,5 €), "Pâtisserie façon grand-mère" (Cuisine sympa, novembre 2010, 3,5 €), "La bonne cuisine aux herbes de grand-mère", Les bonnes recettes d'autrefois (mars 2009), "Les recettes de pâtisserie de grand-mère" (DIANA La pâtisserie facile, novembre 2008, 5 €). Souvent, la grand-mère ou le grand-père cuisinent mieux que les parents : ils prennent le temps de gâter leurs petits-enfants et de cuisiner avec eux.

Libérés des contraintes du métier de parent, les grands parents partagent des propriétés qui en font une cible primordiale, tant pour les contenus éditoriaux que pour le marketing. Même si leur participation économique est appéciée, il voudraient plutôt être du côté des loisirs, du temps libre avec leurs petits enfants que du côté de la contrainte, scolaire ou autre. A eux les jeux, les voyages, les randonnées, les spectacles...
Copie d'écran. Source : INSEE, 15 millions de grands-parents, octobre 2013

Autres posts socio-démos :
Références

Claudine Attias-Donfut, François-Charles Wolff, "Les comportements de transferts intergénérationnels en Europe", Économie et statistique, N° 403-404, 2007

Nathalie Blanpain,  Liliane Lincot, "15 millions de grands-parents", INSEE Première, N° 1469, octobre 2014

 Francine Cassan, Magali Mazuy, Laurent Toulemon, "Douze millions et demi de grands-parents",  INSEE Première, N° 776, mai 2001

Vincent Gourdon, Histoire des grands parents, Paris, Perrin, 2001, 702 p. Bibliogr., Index.

Hugo (Victor), L'art d'être grand-père, 1877

Benini Romain, "La religion dans l'Art d'être grand-père de Victor Hugo : une politique de l'intime", Etudes romantiques, novembre 2009, ENS-LSH, 10 p.

Olivia Sautory, Drees, Vincent Biausque et Joëlle Vidalenc, "Le temps périscolaire et les contraintes professionnelles des parents", INSEE Première, N° 1370, septembre 2011

vendredi 3 juillet 2015

Dé-bloquer le marché publicitaire


L'involontaire est ce à quoi l'on consent, disait-on.
La publicité a été mise sur notre chemin, un message a été rendu public : nous le voyons, l'entendons. Involontairement, nous y consentons. De là, parfois, nous en venons à le regarder, à l'écouter. Le premier geste est involontaire, le second est volontaire : curiosité, attention, intérêt, intention, etc. C'est le territoire de la publicité.

Les outils pour éviter la publicité involontaire sont nés d'un détournement de technologies des médias : pour la TV, la télécommande a inventé zapping et ad-skipping...
Le technologie du Web, à son tour, inventa son zapping, fin 2009, c'est AdBlock. AdBlock, extension des navigateurs, filtre et bloque la publicité. Il y a un an, on évaluait le nombre d'adbloqueurs actifs à 144 millions (Adblocking goes mainstream). La pénétration aujourd'hui concernerait plus de 30% des internautes : les plus jeunes étant les plus bloqueurs, les joueurs de jeux vidéo, les utilisateurs de sites techno, etc. AdBlock touche également le mobile, Facebook (Facebook Cleaner), etc.
C'est une culture qui se généralise
Devant la menace, on a imaginé des procès, des interdictions. Réaction agressive, vaine.

Pourquoi les internautes bloquent-ils les messages publicitaires ?
Parce que ces messages sont inadéquats : mal ciblés, mal personnalisés, mal faits. La solution serait donc de les améliorer. D'abord la création : on l'a dit depuis longtemps, Jacques Séguéla (Havas) l'a répété : si la création est bonne, plus n'est besoin de tant de répétition. Etant donnée la couverture de la cible, une bonne créa devrait suffire. Investir dans la créa plutôt que multiplier les contacts ou les occasions de contacts. Ceci vaut également pour les contenus éditoriaux.

Le numérique a compliqué la situation du consommateur en permettant la collecte de ses données par les médias et les annonceurs. Au dés-agrément suscité par la publicité, cette collecte involontaire ajoute la méfiance. Qui veut donner ses données ? Pour protéger le consommateur, ses données et sa vie privée, la loi s'en mêle, la déontologie. CNIL, ARPP...

Pour nous éclairer, nous disposons d'une enquête de YouGov pour l'IAB UK publiée début juillet (cf. infra). Première raison de bloquer les messages publicitaires ? Ils gênent, interrompent, dérangent, ralentissent la navigation (un adblocker économise 25 à 40% de bande passante, d'près une étude de SFU). Deuxième raison : ils sont souvent sans intérêt, sans pertinence. Et pour finir, une inquiétude quant au respect de la vie privée. Tout est dit, que l'on ne peut guère contester.


Il ne s'agit donc pas pour les internautes usagers d'AdBlock de bloquer toute publicité, mais, en simplifiant, de bloquer la mauvaise publicité, mauvaise pour les diverses raisons citées ci-dessus.
Pour échapper au blocage, il faut de la bonne publicité. Celle-ci ne sera pas de si tôt automatique, planifiée par des algorithmes ; pour l'instant, il faut des messages conçus et planifiés par beaucoup d'intelligence naturelle, aidée par beaucoup d'intelligence artificielle et de données.
Les données collectables, tant par la publicité que par les contenus éditoriaux, doivent permettre d'améliorer ces contenus (DMP), dont la publicité. Ne perdons pas de vue que, dans l'appréciation de l'impact d'une communication, intervient le plaisir de la publicité (agrément / likeability).

A qui appartiennent les données ?
Les données sont désormais les moyens essentiels de la communication. A leur propos, Maurice Lévy (Publicis) pose, en toute rigueur et lucidité, des questions décisives aux acteurs des médias et de la publicité, aux législateurs aussi. A qui appartiennent les données ? Qui peut autoriser leur utilisation ? Qui est en droit d'être rémunéré pour cette utilisation ?

On n'échappera pas à ces questions explosives ; elles ne manqueront pas, à terme, de bousculer les modèles économiques de la communication.